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Le courage du personnel soignant face au Covid-19 : une médecine de guerre sans protection
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Bonnes feuilles

Claudia Chatelus et Stéphane Loignon ont publié "Ma guerre du Covid, journal d’une urgentiste alsacienne" aux éditions des Equateurs. Dans la foulée du rassemblement évangélique de Mulhouse, mi-février, les hôpitaux du Haut-Rhin sont les premiers en France à connaître un afflux de patients atteints du Covid-19. Extrait 1/2.

Stéphane Loignon

Stéphane Loignon

Stéphane Loignon est grand-reporter au Parisien Week-end

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Claudia Chatelus

Claudia Chatelus

Praticien hospitalier au pôle urgences/SMUR à l’hôpital Pasteur de Colmar, Claudia Chatelus est responsable du plan blanc, spécialiste de la médecine de catastrophe, expert du mécanisme européen de protection civile, médecin pompier et réserviste du service de santé des armées.

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En théorie, mercredi devait être dédié au repos. Mais au final, ce jour-là, je n’ai pas chômé non plus. À Pasteur, le manque de matériel devient critique. L’ancienne nounou de Louis, Océane, qui travaille maintenant comme technicienne dans un laboratoire près de Strasbourg, m’a envoyé un message pour m’informer que son patron souhaitait offrir 1500 masques FFP2. Or il ne parvenait pas à joindre l’hôpital. Je l’ai appelé et nous nous sommes donné rendez-vous devant Pasteur, pour les déposer directement au magasin. « N’hésitez pas à activer vos réseaux, parce qu’on n’a presque plus de charlottes, ni de blouses non plus », m’a glissé l’employée qui a reçu le matériel. De retour chez moi, j’ai contacté tous les amis que je connaissais dans le monde de l’entreprise. J’ai fini par obtenir les coordonnées d’une personne à l’antenne locale de l’Institut national de recherche agronomique, à Colmar, qui a accepté de nous fournir des blouses. J’ai passé ma journée au téléphone. Heureusement, mes enfants se montrent compréhensifs. Ils ont l’habitude de me voir occupée et savent quand il ne faut pas me déranger, même le plus petit. 

En revenant travailler le lendemain, j’apprends que de grandes entreprises du département – Recipharm, Werey, Vialis… – nous ont, elles aussi, livré des milliers de masques. Des distilleries locales nous ont également offert de larges quantités d’alcool pour que les pharmaciens de l’hôpital produisent pour nous du gel hydroalcoolique. Grâce à l’activation des réseaux de chacun, grâce à la générosité de ces entreprises, la menace de la rupture de stock s’éloigne. Jusqu’ici, nous sommes parvenus, parfois in extremis, à l’éviter. Je suis quand même abasourdie que, en 2020, l’hôpital public français en soit réduit à compter sur des dons. C’est un peu comme si notre système de santé dépendait des Restos du cœur…

Depuis ma prise de service ce jeudi midi, je n’arrête pas une minute. Ma tenue enfilée, je me rends en « salle tiède », une grande pièce équipée de respirateurs et de plusieurs scopes (des écrans de suivi des paramètres vitaux) où nous avons installé nos patients en urgence absolue, car la salle voisine de déchocage ne suffit plus. 

À peine la porte franchie, le confrère que je relève, Nicolas K., dont je devine tout juste la barbe derrière son masque FFP2, me lance d’un ton calme : « Est-ce que tu veux l’intuber ? Je viens d’en enchaîner trois, comme ça, je pourrai peut-être aller manger. » Je réponds : « OK, j’y vais. » Ma collègue Leslie D., avec qui je discute souvent après nos gardes, car nous partageons le même bureau, m’interroge : « T’as déjà intubé ce type de patient ? » Non, c’est une première. C’est une technique que je maîtrise, mais je ne l’ai encore jamais pratiquée sur un patient Covid en syndrome de détresse respiratoire aigu. « Attention », me prévient-elle, « ce type de malade désature anormalement vite. » Une fois le patient endormi avec des hypnotiques et curares, il faut, avant de l’intuber, cesser la ventilation dont il bénéficie pour ouvrir sa bouche et visualiser sa glotte à l’aide d’un laryngoscope, qui dégage la langue, afin d’insérer la sonde d’intubation, laquelle sera reliée au respirateur. La manipulation, qui se fait généralement en binôme médecin/ infirmier, est risquée pour la personne soignée. Pendant ces quelques secondes sans ventilation, son taux d’oxygène dans le sang tombe en flèche et passe très vite de 80 % à 40 %, voire 20 %. Après l’intubation, il remonte lentement. Une fois qu’on l’a fait, on le sait, mais sur le coup, ça surprend. La chute est bien plus brutale que lors des intubations habituelles. Il faut agir vite, très vite. Les réglages du respirateur sont également différents, il faut insuffler de plus petits volumes. Au final, ça se passe très bien. Mais heureusement que Leslie m’a avertie. 

Aux urgences, nous n’avons que des cas graves. La vitesse à laquelle les gens se dégradent continue de me surprendre. Ils entrent parfois en détresse respiratoire dans l’heure de leur arrivée, alors même qu’ils sont venus sans ambulance jusque chez nous. L’intubation les maintient en vie de justesse. Dans la salle tiède, je lis sur le visage de certains malades une grande angoisse. C’est impressionnant d’arriver là-dedans. Ils nous découvrent dans nos tenues blanches hermétiques, ça leur fait peur. Je discute beaucoup avec eux, notamment avec une femme qui a exactement mon âge, quarante-neuf ans. L’expression figée, le teint pâle, les yeux effrayés, elle reste muette. Je tente de la détendre un peu, d’expliquer la situation et de rationaliser : « Vous êtes là parce que vous avez des signes de difficultés respiratoires, c’est probablement le coronavirus. Ce n’est pas parce que vous êtes ici que c’est grave, beaucoup en guérissent. » Je lui donne des précisions sur les examens qu’on doit pratiquer et les raisons pour lesquelles il faut la garder pour l’instant, le temps d’avoir les résultats. Après avoir parlé quelques minutes avec elle, je vois ses traits se relâcher et la sens un peu moins anxieuse. Malheureusement, dans l’action, et ce contexte si particulier, on est tellement concentré sur la pathologie et le virus qu’on oublie parfois la femme ou l’homme qui en souffre. 

Le bilan, ce soir, est alarmant. Nous comptons 2 décès aux urgences, parmi les patients dont mes collègues se sont occupés. L’établissement accueille 78 malades du Covid, dont 33 dans le secteur de réanimation et de soins intensifs, où tous nos lits sont déjà pleins alors que le dernier service de réa non-Covid vient d’être absorbé lui aussi. C’est la même chose dans tout le Haut-Rhin, le département de France le plus touché à ce jour. La situation devient de plus en plus compliquée. Avant chaque intubation, on vérifie qu’on a de la place derrière. Après, on se demande si on a bien fait. Quand la personne intubée a des comorbidités, quand on sait que la probabilité qu’elle s’en tire est faible malgré les soins qui lui seront apportés en réanimation, on espère qu’elle n’a pas pris la place d’une personne qui arrivera demain et aura plus de chances de survie. 

Pour l’instant, il n’existe pas de remède miracle. Nous ne faisons que donner aux patients de l’oxygène, le temps que leur corps surmonte l’inflammation qui menace de les tuer. Nous prescrivons souvent aussi des antibiotiques, en cas de surinfection. Les anesthésistes-réanimateurs peuvent essayer d’autres traitements, antiviraux, mais aucun n’a encore fait ses preuves sur le plan scientifique. Le professeur Didier Raoult, au centre de recherche de l’Institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection, à Marseille, vante les mérites de la chloroquine. Les médias en parlent de plus en plus. C’est une piste intéressante, un traitement pas cher. Cela donne de l’espoir. On aimerait tellement pouvoir administrer quelque chose aux patients dès le test positif, pour éviter qu’ils se dégradent, un peu comme le Tamiflu que l’on prescrit habituellement contre la grippe. Il va falloir patienter. 

En attendant, l’oxygénation, voire, si nécessaire, l’intubation, sont nos seules armes. Encore faut-il pouvoir les utiliser !

Extrait du livre de Claudia Chatelus et Stéphae Loignon, "Ma guerre du Covid, journal d’une urgentiste alsacienne", publié aux éditions des Equateurs.

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