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Fillon : une condamnation pour l’exemple, mais une justice loin d’être exemplaire
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Affaire Fillon

François Fillon a été condamné à cinq ans de prison dont deux fermes et dix ans d'inéligibilité dans l'affaire des emplois fictifs. Penelope Fillon a été condamnée à trois ans de prison avec sursis. Ils ont fait appel. Cette décision du tribunal peut-elle ébranler le sentiment de justice équitable ?

Guillaume Jeanson

Guillaume Jeanson

Maître Guillaume Jeanson est avocat au Barreau de Paris. 

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Atlantico.fr : Cinq ans de prison dont deux fermes et dix ans d'inéligibilité pour François Fillon, trois ans de prison avec sursis pour Penelope Fillon assortis de lourdes amendes : le verdict du procès des époux Fillon sur les emplois fictifs vous surprend-il par sa sévérité ?

Hervé Lehman : La sanction est très lourde. Une peine d’emprisonnement ferme à l’égard d’un homme qui n’a jamais été condamné et n’a en tout cas pas commis de montage frauduleux à l’étranger ni de corruption est très sévère, d’autant que les amendes prononcées, deux fois 375.000€ pour le couple Fillon, sont également très élevées. A peu près la valeur de leur manoir …

Un autre point doit être relevé : le tribunal a pris soin de prononcer des peines strictement équivalentes à ce qui avait été requis par le parquet national financier, pas un jour de prison, pas un euro d’amende de plus ou de moins. Cela n’est pas exceptionnel, mais le plus souvent le tribunal prend soin de se démarquer, plus ou moins, des réquisitions du parquet pour marquer son pouvoir d’appréciation. C’est donc le choix contraire qui a été fait. Comme ce n’est pas un hasard, il faut l’interpréter comme une marque de solidarité à l’égard du parquet national financier, au moment où celui-ci est mis en cause à la  suite des déclarations d’Eliane Houlette et des révélations sur les fadettes des avocats.

Guillaume Jeanson : C’est évidemment une décision sévère. L’avocat de la partie civile l’a d’ailleurs lui-même reconnu. Mais cela ne me surprend pas vraiment. Du moins à l’aune d’autres condamnations intervenues dans des affaires aussi retentissantes que celles des Balkany ou de Jérôme Cahuzac. Ce qui continue de surprendre en revanche c’est, au-delà de la seule lourdeur de la condamnation, le traitement particulier dont semble tout de même avoir fait l’objet François Fillon dans le déclenchement et le traitement de cette affaire : révélations en feuilleton pour des faits assez anciens exactement au moment opportun pour compromettre sa candidature, saisine du fameux parquet national financier pour des faits qui n’en relevaient pas nécessairement, « recommandations » du parquet général à Eliane Houlette pour ouvrir une instruction (seule voie procédurale permettant la « mise en examen » de l’intéressé) alors que la faible complexité de l’affaire ne le justifiait probablement pas non plus et qu’une autre voie avait d’ailleurs semble-t-il été initialement privilégiée (sauf que cette dernière voie n’aurait sans doute pas suffit à éliminer politiquement celui qui avait si imprudemment raillé quelques mois plus tôt : « qui imagine un seul instant le général de gaulle mis en examen ? »). On pourrait continuer en évoquant les différences sensibles de calendrier et, semble-t-il d’importance accordées, aux affaires judiciaires ayant éclaboussé de si nombreux soutiens et alliés d’Emmanuel Macron. Toutes révélées d’ailleurs uniquement après l’élection présidentielle. On pourrait aussi rappeler que François et Pénélope Fillon paient seuls le prix fort pour une pratique certes choquante mais qui était jusqu’alors très largement répandue. Puisqu’à l’époque, on estimait grossièrement que près du tiers des parlementaires embauchaient ainsi les membres de leur famille pour bénéficier de cette réserve. Au regard de cette seule énumération, comment donc ne pas s’étonner qu’une frange de l’électorat puisse continuer à s’estimer avoir été volé politiquement en 2017 par toute cette affaire ?

Alors que de nombreux délinquants sont condamnés à des peines mineures, rarement appliquées, cette décision du tribunal peut-elle ébranler le sentiment du justice équitable ?

Hervé Lehman : Les sanctions prononcées par le tribunal de Paris dans les affaires politico-financières se comptent maintenant en années de prison ferme: Cahuzac, Balkany, Attentat de Karachi. Manifestement le message est que les hommes politiques ne peuvent plus compter sur la moindre tolérance de la part des juges. 

La difficulté pour apprécier les sanctions des tribunaux est qu’elles ne sont pas appliquées : condamné à deux ans de prison ferme, Jérôme Cahuzac n’a pas mis le pied dans une maison d’arrêt. Et la Chancellerie vient de faire libérer par anticipation ou renoncer à incarcérer 13.000 condamnés. A quoi bon prononcer des peines fermes si elles ne sont pas appliquées ? Cela discrédite la justice qui prononce des peines qui ne sont pas mises à exécution. L’efficacité d’une politique pénale, c’est une sanction rapide et exécutée, quelle qu’elle soit. La justice fait tout le contraire : des procédures interminables et des sanctions mal et peu exécutées.

Guillaume Jeanson : Ce qui choque légitimement d’une manière générale c’est le deux poids deux mesures. Ici, la lourdeur de cette peine, surtout pour un « primo délinquant », aurait bien sûr de quoi en inquiéter plus d’un. Elle tranche, il est vrai, avec l’image d’une justice souvent pleine de mansuétude envers de nombreux multirécidivistes et multiréitérants pour le plus grand désarroi, hélas, de leurs victimes. A l’inverse, il a longtemps été reproché à la justice financière de se cantonner à certains types de sanctions particulières. Les délinquants financiers ont en effet longtemps été préservés en France de l’âpreté de la prison. Une approche différente de celle qui prévaut dans d’autres pays étrangers tels que les USA ou le Japon comme on l’a encore vu ces derniers mois avec l’affaire Carlos Ghosn. Cette différence de traitement pouvait légitimement heurter car je le répète, ce qui choque le plus c’est le deux poids deux mesures. Mais ce qui est tout de même curieux, c’est le glissement qui semble être désormais en train de s’opérer. Un glissement vers un autre deux poids deux mesures mais… inversé. Celui qui pousse par exemple certaines personnes tenant des discours anti-carcéraux catégoriques à se réjouir néanmoins de ces condamnations à de la prison ferme dès lors qu’elles viennent sanctionner la commission d’infractions financières (on pourrait d’ailleurs décliner cette remarque avec le mouvement également à l’œuvre autours du droit pénal de l’environnement). C’est cet ensemble de disparités qui risque avant tout d’ébranler comme vous le dites le sentiment de justice équitable. Il faut donc s’essayer à retrouver urgemment un plus juste équilibre : Si François Fillon est coupable de ce dont on l’accuse, il mérite évidemment d’être jugé comme n’importe qui. Il ne mérite pas à cet égard d’être condamné plus lourdement qu’un autre. Mais il ne mérite certainement pas non plus d’être condamné moins lourdement.   

Cette décision semble contenter une grande partie de l'opinion publique française, comme lors du procès Balkany. Comment l'expliquer ?

Hervé Lehman : Les Français ont quelques convictions simplistes bien ancrées : la justice n’est pas indépendante, les politiques sont tous pourris, la justice les couvre. Cela dispense malheureusement d’analyses plus fines. Ainsi les juges sont indépendants mais pas toujours impartiaux, tandis que les procureurs ne sont pas indépendants, ce qui ne pose un problème que dans les dossiers politiques. Les hommes et femmes politiques sont exactement comme le reste  de la population, ni pires ni meilleurs : on a découvert lors des élections législatives de 2017 qu’un certain nombre de candidats LREM issus de « la société civile » avaient déjà eu à faire à la justice. Et la justice n’est pas complaisante avec les hommes politiques : la liste des anciens présidents de la République, Premier ministres, ministres, condamnés est impressionnante. Paradoxalement, cette sévérité ne fait qu’empirer le sentiment du « tous pourris ».

Dans le cas de François Fillon, il y a en plus la joie du lynchage. Le procureur avait commencé le procès en exposant que sous l’Ancien Régime, le détournement de fonds public était puni de mort par pendaison. La référence à l’Ancien Régime n’était pas neutre : le châtelain catholique de la Sarthe qui voulait faire une politique de rigueur attire à l’évidence une certaine hostilité. Les manifestations de joie que l’on peut voir sur les réseaux sociaux rappellent le bon peuple de Paris qui promenait les têtes des nobles au bout d’une pique. A l’inverse, on s’agenouille devant les délinquants de droit commun.

Guillaume Jeanson : Je pense que cela peut tenir à plusieurs choses. D’abord à la satisfaction de voir que les puissants n’échappent pas à la justice. Que tôt ou tard, la justice finit toujours par passer. Ce qui est en soi un sentiment légitime. Mais ce qui n’en demeure pas moins empreint d’une certaine dose de naïveté. Du moins, dès lors que ceux qui l’éprouvent oublient dans le même temps un peu vite que les « puissants » du jour, c’est-à-dire ceux qui sont aujourd’hui du côté du pouvoir, semblent quant à eux toujours bénéficier superbement d’une toute autre mansuétude. 

Cela peut tenir ensuite à la déception réelle qu’ont pu ressentir de nombreux citoyens dans un premier temps désireux de voter pour lui qui n’ont pas compris dans un second temps son refus de se retirer. Tous ceux qui lui imputent donc directement cette défaite là où la victoire de la droite leur semblait assurée après le quinquennat de François Hollande. Une déception muée depuis les vicissitudes du quinquennat Macron en véritable rancœur.

Cela peut tenir enfin au grand écart révélé par toute cette affaire entre deux images publiques antagonistes du même homme politique. D’une part, celle d’un homme sobre et intègre se pliant par devoir d’homme d’état à la nécessité de se faire élire sur un programme difficile et courageux. Et, d’autre part, l’image d’un homme vénal exigeant des autres des efforts et une rectitude si éloignée de celle qu’il s’imposait semble-t-il à lui-même et à ses proches. De quoi, surtout en des temps aussi incertains que les nôtres, éveiller l’appétit des critiques les plus féroces.

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