Les forces de l’ordre à l’épreuve du mouvement des Gilets jaunes : les racines du malaise policier sous la présidence d’Emmanuel Macron<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Les forces de l’ordre à l’épreuve du mouvement des Gilets jaunes : les racines du malaise policier sous la présidence d’Emmanuel Macron
©ALAIN JOCARD / AFP

Bonnes feuilles

Jean-Louis Arajol publie "Police en péril" (Cherche Midi). Manque de moyens, politique du chiffre, échec des politiques publiques mais aussi intensification des violences au sein de notre société... : les causes du malaise sont multiples. Extrait 1/2.

Jean-Louis  Arajol

Jean-Louis Arajol

Jean-Louis Arajol est major de police à la retraite. Aujourd’hui consultant, il a exercé dix ans à la préfecture de Police avant de devenir secrétaire général du Syndicat général de la police et de la Fédération autonome des syndicats de police. Il est l’auteur de Mais que fait la police ? et Police, une affaire d’État.

Voir la bio »

5 janvier 2019, acte VIII des Gilets jaunes : Christophe Dettinger frappe deux gendarmes en marge de la manifestation. L’ancien boxeur, surnommé « le gitan de Massy », armé de gants de moto coqués sur les phalanges et lestés de plomb, tente de se faire passer pour un Bon Samaritain. Il a voulu venger une manifestante, victime des policiers. 

Alors qu’il est en garde à vue, une cagnotte Leetchi est créée afin de récolter des fonds pour le soutenir. Dénonçant des irrégularités, la plate-forme décide de fermer cette cagnotte au bout de deux jours alors qu’elle a atteint plus de… 145 000 euros ! L’ancien champion de France de boxe fait délivrer le mardi 18  mars une assignation à Leetchi dans laquelle il réclame 3 120 768 euros de dommages et intérêts. 

Le ministère public recquiert trois ans de prison, dont un avec sursis et de mise à l’épreuve. Christophe Dettinger est finalement condamné par le tribunal correctionnel de Paris à deux ans et demi de prison, dont dix-huit mois avec sursis et de mise à l’épreuve et ainsi qu’une interdiction de séjour à Paris de six mois. Il doit également à indemniser ses deux victimes, respectivement à hauteur de 2 000 et 3 000 euros. 

Christophe Dettinger est en semi-liberté. Karine, son épouse, dit que leur vie est devenue un enfer. Pourtant, lorsqu’ils sortent, des dizaines de personne veulent faire des photos avec lui, lui serrent la main. Une vraie star… même en prison. D’ailleurs, dans sa prison, il reçoit 30 à 40 courriers par semaine. Des dessins, des montages mais aussi des chèques ! Le message semble être le suivant  : « Si tu frappes un flic, finalement tu ne risques pas grand-chose. Tu peux regagner tes pénates de temps en temps, voir ta famille, plus souvent que ce que les flics ne voient là leur, et ta peine ne dure pas très longtemps. Lorsque tu sortiras, tu seras un héros. Mieux encore, tu pourras récolter une coquette somme grâce à une cagnotte en ligne. » 

Entre 2016 et 2017, un peu plus de 35 000 personnes ont été mises en cause pour des faits de violences commises sur un fonctionnaire de la Police nationale, un militaire de la gendarmerie, un membre du personnel de l’administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l’autorité publique. 

Si la loi prévoit des sanctions très lourdes pour les auteurs d’agressions contre les forces de l’ordre, la réalité de la peine est tout autre - en cas de violences sur un représentant de l’autorité publique (policier, douanier, magistrat…), trois ans de prison et 45 000 euros d’amende sont encourus si la victime a une incapacité temporaire de travail de moins de huit jours, et cinq ans de prison avec 75 000 euros d’amende sont encourus au-delà de huit jours d’arrêt de travail (code pénal art. 222-12). En pratique, les peines prononcées sont moins sévères. 

Compte tenu de cette disproportion entre la peine encourue et celle prononcée, un parlementaire a récemment réclamé un durcissement de la législation. Le gouvernement a répondu qu’au vu de la palette de sanctions, il n’envisageait pas de modifier les dispositions existantes en cas de violences commises sur les forces de l’ordre. 

« Suicidez-vous ! » Trop, c’est trop ! 

Samedi 20 avril, acte XXIII des Gilets jaunes : des slogans et autres banderoles invitent publiquement les forces de l’ordre à… se suicider ! L’un des auteurs de la formule, un cuisinier au chômage, est identifié et condamné dix jours plus tard à huit mois de prison avec sursis, cent quatre-vingt heures de travail d’intérêt général, ainsi qu’à verser 500 euros à chacun des deux policiers plaignants. Et pour les autres ? 

« Suicidez-vous ! » ont donc lancé certains manifestants aux forces de l’ordre alors que, depuis le début de l’année, les suicides au sein de cette catégorie professionnelle sont en moyenne de deux par semaine depuis le début de l’année. 

Certains Gilets jaunes, ou ceux qui profitent de ce mouvement, sont-ils devenus fous, inconscients, immoraux ? Qu’y a-t-il de plus odieux que de lancer à une personne que l’on sait affaiblie : « Tu te sens mal dans ta peau, tu as des problèmes, tu es victime d’un mal-être social, alors vas-y, retourne contre toi l’arme que tu braques sur nous ! » Parce que l’homme est policier, il ne mérite donc pas de vivre ? 

Linda Kebbab, jeune et brillante syndicaliste, s’évertue à défendre la profession de policier dans les médias. Secrétaire nationale et porte-parole, elle est aussi en charge du pôle « féminisation » au sein de son organisation.

Cette structure a été mise en place en 1995 pour prendre en considération la spécificité des femmes dans la police. Linda sera peut-être un jour la première femme à prendre la tête d’un syndicat de police, elle a en elle la fibre du syndicalisme républicain. Mais elle est aussi en permanence l’objet de menaces de mort ou de viol, d’insultes sexistes et racistes  : « La beurette, faut la faire disparaître », « Faut la violer pour qu’elle comprenne », « Fais comme tes collègues, suicide-toi »… En février 2018, l’un des auteurs de ces messages a été condamné à quatre mois de prison ferme et à 1 000 euros de dommages et intérêts. 

«  La femme a le droit de monter à l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune » (Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791) ! 

Notre société est malade. Elle est inquiète sur son identité, ses valeurs, ses repères. Nombre de citoyens ont tendance à attendre de la police des solutions à tous leurs maux. Des solutions immédiates que les policiers ne peuvent, évidemment, leur donner. Mais une société a aussi la police qu’elle mérite. Si elle préfère trouver des boucs émissaires ou se laisser aller à tous les fantasmes notamment vis-à-vis des flics comme des étrangers, elle n’est guère apte à relever les défis de l’avenir. 

C’est à la Révolution française et à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen que nous devons les principes qui doivent guider l’organisation et l’action de l’État de droit. Notre modèle n’a rien à envier aux autres nations. Alors pourquoi renier ce modèle républicain au profit d’un autre dont les Français ne veulent pas ?

Jean-Louis Arajol a publié "Police en péril, la grande maison brûle", aux éditions du Cherche Midi. 

Lien vers la boutique : ICI et ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !