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Après la lutte des classes, la guerre des races ? Non. Mais le clash de minorités politiques qui prennent en otage la société française
©Thomas SAMSON / AFP

Discriminations

S’il est difficile de ne pas voir la montée des tensions communautaires, une majorité de Français, toutes origines confondues, n’applique aucun prisme racial à la réalité. Les fractures politiques et économiques et les points de tension culturels ou religieux sont en revanche instrumentalisés.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico.fr : Dans une interview donnée à Valeurs Actuelles, Manuel Valls a établi que la lutte des classes disparaissait au profit de la "lutte des races". Est-ce la bonne analyse pour comprendre la nature des discriminations en France ?

Guylain Chevrier : Bien sûr, on peut constater que le recul des organisations ouvrières qui étaient porteuses de ce concept de lutte des classes, a laissé la place à une montée des revendications identitaires. Mais la lutte des classes visait à la suppression des classes pour imposer une égalité vue sur un mode collectiviste qui a été abandonnée, ce n’est pas le recul de ce projet qui est en cause, mais celui d’enjeux propres à une cohésion de la nation fondée sur un contrat social.

On ne doit pas confondre ici les conflits sociaux, du travail, avec cette conception de la lutte des classes, car ils sont eux, le processus normal de règlement des oppositions d’intérêts. Ils prennent pour objet la répartition des richesses dans une société démocratique, dont les classes moyennes représentent aussi le modèle, reflet des progrès de l’égalisation des conditions des uns et des autres, comprenant un processus de promotion sociale selon le talent et le mérite. C’est plutôt la crise de ce modèle démocratique qui est en jeu, et qui par son affaiblissement lié à un chômage chronique, une mise en retrait de l’Etat et une libéralisation effrénée, a favorisé l’émergence de ces revendications identitaires.

Les populations immigrées ont naturellement plus de difficultés que les autres à s’intégrer, puisqu’ils doivent passer par un processus accéléré d’insertion économique et sociale, d’appropriation de codes communs, souvent en partant d’un niveau de diplôme moindre que le reste de la population dans un contexte déprimé. Ils peuvent avoir le sentiment, pour les plus fragiles d’entre eux, de ne plus pouvoir trouver leur place ni profiter du mouvement de promotion sociale, qui est le marqueur du modèle républicain.

On a pu ainsi donner l’initiative à ceux qui ont pour fonds de commerce les discriminations, justifiant la promotion de la logique des minorités vues comme opprimées. Alors que justement, tous les indicateurs dans ce domaine nous disent que ce problème, s’il existe et ne doit pas être négligé, est un facteur faible. Le baromètre de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, portant sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie (2018), montre depuis plusieurs années la poursuite d’une tendance au recul des préjugés racistes et du rejet de l’immigration. 6000 affaires chaque année sont concernées par les discriminations, dont environ dix pour cent reçoivent une condamnation pénale. Un ordre de grandeur qui reste relativement limité. Et comme j’aime à le dire, même en multipliant par dix ces chiffres, on arrive à quelque chose qui ne saurait être identifié à une ségrégation ou un racisme dit « systémique ».

Rappelons ici que l’observatoire des inégalités constate qu’à classe sociale égale, la réussite des enfants d’immigrés est la même que celle des non-immigrés, renvoyant à la problématique des inégalités entre classes sociales, et non à une logique d’oppression des minorités soumises à un « « privilège blanc ».

Quel rôle joue actuellement l'extrême gauche sur cette question ?

Il existe une extrême gauche, ultra-internationaliste hors sol, qui est contre les frontières et les Etats-nation, considérés comme des entités par nature raciste, puisque ne laissant pas librement circuler des immigrés qui seraient les pauvres du monde et devraient pouvoir partager les fruits de la richesse des pays développés. Ce qui tend à opposer pays blancs riches et pays autres, pauvres. Ce qui est une belle caricature, car déjà à l’Est de l’Europe, il y a des pays pauvres de blancs. Et puis l’histoire des sociétés suit des chemins divers, le colonialisme ne saurait être rendu aujourd’hui responsable du non-développement de bien des pays d’immigration, qui sont minés par la corruption ou par la guerre. D’autant que la France est devenue cette année la première terre d’asile d’Europe et donc, n’a pas grand-chose à se reprocher dans ce domaine. C’est encore plus vrai de l’accueil réservé aux migrants en général qui viennent sur notre sol légalement, pour justement ce qu’est la France qui sur le plan social n’a pas d’équivalent, d’où l’utilité des frontières. Une France au passage qui a fait le choix de l’intégration par la citoyenneté et favorise ainsi l’accès à la nationalité française par acquisition. Nous sommes passés depuis les années 90 de 45.000 personnes à 130.000 par an qui aujourd’hui y accèdent. Ni Etat raciste donc, ni racisme d’Etat !  

Mais tout cela est balayé par un discours de victimisation outrancier, qui rabat systématiquement la question sociale sur celle des discriminations. Cela, jusqu’à prétendre que l’importance du nombre d’écroués étrangers ou issu de l’immigration serait le fait d’une politique de l’Etat visant les quartiers, encourageant ainsi, le rejet de l’intégration, et même la délinquance sinon la radicalisation. Une démarche qui débouche sur l’idée de minorités opprimées, auxquelles il faudrait reconnaitre des droits spécifiques pour compenser cet état de fait, accepter le séparatisme, et ainsi le multiculturalisme normatif. C’est dans ce contexte que s’est formé un front commun entre un gauchisme anti-impérialiste, pro-immigrés, rejetant la nation et la république, la laïcité, avec un islam politique qui se coule dans ce moule. On retrouve autour du Comité Adama, aux côtés de ce type de gauchistes, les tenants médiatiques de cet islam politique, les indigénistes et décoloniaux Youcef Brakni, Madjid Messaoudène ou Fatima Ouassak. Cette dernière à la tête du mouvement du Front des mères, à Montreuil (93), dont le thème favori est le « racisme d’Etat », livre dans une interview donnée à un média en ligne sans ambiguïté ce qu’elle met en avant comme motivation de son combat, sa foi : « La foi islamique n’est pas compatible avec les rapports sociaux basés sur l’oppression (classiste, raciste, patriarcale) et la prédation (capitaliste et impérialiste) » On jugera de ces affirmations qui peuvent faire sourire. Il y a de quoi par leur imposture, qui vise à faire de la foi un instrument de conquête politique passant pour moyen d’émancipation. Mais surtout, ce qui constitue un appel à nos concitoyens de confession musulmane à considérer comme leur ennemi la République, en les faisant complètement se tromper de combat. On se remémorera que tout ce beau monde, Comité Adama en tête, a participé à la manifestation du 10 décembre contre « l’islamophobie », ou avait été repris en cœur, à l’initiative de l’ancien président du CCIF, Allah akbar. En réalité, pour ces tenants de l’islam politique, cette reconnaissance des minorités est l’étape nécessaire à mettre sous leur main une population qu’ils veulent y assigner, pour l’utiliser comme moyen de déstabilisation et de désordre, et imposer à la société française des normes religieuses d’un autre âge au-dessus du droit. On peut imaginer l’étape d’après, un risque d’affrontement pouvant conduire au pire. 

Le comptage racial, les quotas que demandent certains ou la discrimination positive, qui vont avec la mise en place d’un séparatisme communautaire, pour ne pas dire d’un communautarisme, sont la pire des solutions. L’enfermement communautaire a pour principe la perte pour les individus de leurs droits derrière l’intérêt supérieur du groupe, et l’organisation clanique à laquelle il donne lieu. Les quotas et la discrimination positive font que la personne qui en bénéficie ne saura jamais si elle a été choisie pour ses talents ou par un simple mécanisme de tri. Ce qui maintient un ressentiment d’autant plus fort au regard de la notion de différence, qu’il est vécu dans la soumission à un système censé rétablir l’égalité, et qui reproduit en fait des discriminations.

À quels dangers expose-t-on notre démocratie en ne répondant pas clairement à la question des discriminations ? Comment peut-on y faire face ?

Bien que cette question des discriminations ne soit pas première dans l’ordre des facteurs d’inégalités, on doit la prendre au sérieux, en étant intraitable au regard de la moindre d’entre elles, sans tomber dans les amalgames et les généralisations. On parle beaucoup de la police en l’accusant de racisme, en mettant ainsi en cause ceux qui garantissent l’ordre républicain, et protègent notre démocratie. Il faut y regarder à deux fois. Notre Défenseur des droits est particulièrement préoccupé par les discriminations, il est très présent sur le sujet du contrôle au faciès. Pour autant, s’il existe ici des pratiques discriminatoires condamnables devant un tribunal, on ne saurait donner l’impression d’une pratique généralisée, qui alimente l’image d’une police obsédée par les races. N’y a-t-il pas en France une politique de maitrise des flux migratoires, tout pays ayant ses limites dans ce domaine, pour éviter d’exclure plus, faute de moyens d’intégrer ? Les policiers n’ont-ils pas dans leurs missions de réaliser dans ce prolongement un contrôle du statut de légalité des personnes se trouvant sur notre territoire ? Est-ce du racisme ? Lèverais-je ici un tabou ? Il y en a d’autres à lever si on veut faire face à la réalité. S’il faut plus de moyens de contrôle du travail de la police dans ce domaine, pour garantir les droits, ce doit être en clarifiant ici son rôle, et non en le cachant comme s’il fallait en avoir honte, justifiant encore plus de penser qu’il y aurait là quelque chose à se reprocher. Ne devrait-on pas insister autant sur les droits que sur les devoirs pour ramener de la rationalité dans les débats ?

Par ailleurs, on ne peut dire d’un côté que seule l’égalité est émancipatrice, qu’il en va du respect des principes de la République, et flatter la logique des minorités par ce qui apparait comme un clientélisme politique, qui dans le cadre des municipales actuelles, ne manque pas de se faire jour. Pour tenter de prendre la mairie de Vénissieux, le député LREM du Rhône et candidat du parti présidentiel, Yves Blein, a fusionné sa liste avec celle de Yalcin Ayvali, idéologiquement proche de Recep Tayyip Erdogan. Yalcin Ayvali s'était présenté aux dernières élections législatives sous la bannière du Parti égalité justice (PEJ), considéré comme islamo-conservateur et communautariste. Au programme, notamment, une redéfinition du concept de laïcité. Sur la liste du candidat Gaël Perdriau, maire sortant « Les Républicains » de Saint-Etienne, figure Abdelouahab Bakli, présenté comme « Directeur d’établissement de placement éducatif » et « Président d’association », est connu comme ayant été un militant actif au sein de l’UOIF, branche française de l’organisation des Frères musulmans, renommée depuis 2017 « Musulmans de France ».

Redonner du sens à notre démocratie, passe par une intégration républicaine fondée sur une dynamique de l’égalité, qui seule émancipe et ramène vers la citoyenneté, où la question sociale doit pouvoir tenir toute sa place. Tout le contraire d’une logique de séparation et d’assignation identitaire. Cela étant, qui passe aussi sans doute par de l’intégrité, de l’exemplarité, un discours de vérité et de responsabilité.

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