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Les chefs d’entreprises demandent à Emmanuel Macron de clarifier sa stratégie économique et de lever trois hypothèques qui bloquent tout...
©Laurent Cipriani / POOL / AFP

Atlantico Business

Après avoir levé les dernières entraves liées au confinement, Emmanuel Macron a regagné « une petite partie de la confiance » dans l’opinion. Mais sur le fond, rien n’est réglé. Sur l’économie, sur les réformes nécessaires et sur l’organisation de l’exécutif. Tout est à refaire.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Les propos du président de la République étaient attendus. En confirmant officiellement que l’épidémie était sous contrôle, en levant les dernières entraves liées au confinement, Emmanuel Macron a tenté de redonner le moral à cette opinion qui a vécu trois mois dans l’angoisse d’un virus qui garde encore beaucoup de ses mystères. Il a répondu à une demande pressante des populations qui ont envie de revivre normalement, mais surtout, il a invité toutes les strates de la population active, chefs d’entreprises, indépendants et salariés, à reprendre le travail. Parce qu’après cette crise sanitaire, le pays court tout droit à la catastrophe économique et sociale.

On ne peut évidemment plus continuer de vivre sous perfusion avec de l’argent emprunté aux quatre coins du monde et qui pourrait hypothéquer complètement l’avenir de toute une génération. Pôle emploi est proche de la saturation avec près de 10% de chômeurs, le régime de chômage partiel ne décroit pas assez vite, le budget déborde de dettes  (120% du PIB), celui de la Sécurité sociale prend l’eau jusqu’aux régimes de retraite parmi les mieux gérés, qui doivent emprunter pour payer les pensions.

Le président de la République peut se réjouir de la victoire gagnée sur le virus. Il a raison. Les risques étaient énormes puisqu’on a quand même encaissé près de 30 000 décès, mais ça aurait pu être bien pire.  Et il faut reconnaître qu‘il a été assez seul pour décider d’un confinement dont une majorité de la classe politique ne voulait pas, et assez seul pour imposer un déconfinement dès la mi-mai, que là encore la majorité politique ne souhaitait pas (y compris dans la majorité), reflétant ainsi la position partagée par une grande part de la population. Donc sur ces points, le président a pris ses responsabilités.

Reste qu’il va lui falloir assumer la suite. Et ça va être compliqué parce qu‘a priori, il se retrouve face à des contradictions et même des hypothèques qu'il va falloir lever.

Pour simplifier, il y en trois. Les deux premières hypothèques vont passionner la classe politique, mais il y en a surtout une qui interpellent les chefs d’entreprises parce qu’elle conditionne la situation économique et sociale dès cette année.

1) Le premier débat porte sur les disfonctionnements observés dans la gestion de la crise : l’impréparation, l’imprévoyance, le cafouillage au niveau des prises de décision, l’absence de masques, de tests, de traitements fiables, l’imprécision des protocoles, l'overdose des egos d’experts médicaux. Ces disfonctionnements vont donner lieu à des polémiques sans fin et des procédures judiciaires qui vont laisser des traces profondes. Mais il sera difficile de revenir en arrière, les fautes se sont accumulées depuis 20 ans pour aboutir à la situation que nous avons vécue. L’exécutif a surtout aujourd'hui la responsabilité de remettre à plat la totalité du système de santé. C’est plus un problème de management, d’organisation, de techniques qu’un problème de choix politique. Le pouvoir a une obligation de moyens et de résultats.

2) Le deuxième débat est lui beaucoup plus politique. Il est même idéologique voire éthique.Dans cette affaire, la France comme beaucoup de pays occidentaux dans le monde a, face à la pandémie, fait le choix de protéger des vies humaines plutôt que de protéger l’économie. Le confinement total de la population a empêché le virus de circuler. C’est un fait. Le confinement a été réussi puisque l‘épidémie a fini par rendre les armes. Mais on ne sait pas le nombre de morts que l’on a évité, on ne sait pas quel aurait été le bilan si nous avions été mieux préparés avec un confinement plus light. Ce que l’on sait c’est qu'on a mis l’économie française à genoux. Ce qu'on sait, c’est que nous avons perdu 11 % de PIB, du jamais vu dans l’histoire avec sans doute plus de 9 millions de chômeurs dans l’année.

Alors il faudra attendre la fin de l‘année pour dresser le bilan exact de la situation économique, en production de richesse, en endettement, en chômeurs, en faillites... Le pire n’étant jamais sûr, les organisations patronales crient leur inquiétude et craignent un effondrement du monde des PME-PMI.

Cela dit, beaucoup de responsables économiques ne sont pas aussi pessimistes. Ils rappellent que l’État a fait son job pour protéger le système. Ils savent que les appareils de production n’ont pas été détruits et que les contrats de travails n’ont pas été déchirés. Beaucoup, dans les milieux patronaux, ajoutent qu’il y aura forcément des dégâts mais qu‘il faudrait avoir le courage et l’honnêteté de reconnaitre que les entreprises qui se retrouvent en difficultés après le passage du Covid 19, l’étaient déjà avant. Air France ou Renault ne sont pas tombés malades avec la pandémie. Ils étaient en risque depuis des mois auparavant. C’est vrai pour des milliers de petites entreprises, moins de 10 salariés qui n’avaient déjà pas, avant l’épidémie, les moyens de survivre.

La question pour tout le monde est de savoir si ces entreprises méritent que l'État ou les banques continuent de les soutenir à bout de bras ou alors si on les laisse périr en aidant les victimes à se réadapter. L’Etat peut se targuer d’avoir mobilisé 500 milliards d’euros pour soutenir le système, mais en réalité sur ces 500 milliards d’euros, plus de 400 milliards sont des prêts garantis. Et les prêts ne paient pas d’intérêt puisque les taux sont proches de zéro pour tout le monde, mais ces prêts devront être remboursés un jour ou l’autre. L‘argent public est relativement limité. Ajoutons qu‘on peut très bien assister à une reprise rapide et même violente, compte tenu des masses d’argent qui ont été mises dans les moteurs et des masses d’épargne précaution qui sont stockées. Une courbe en V... après un effondrement à partir de mars, une reprise aussi rapide en septembre. C’est possible. Mais ça n‘empêchera pas le 3e débat.

3) Le troisième débat, lui est beaucoup plus lourd et conséquent. Il porte sur le modèle économique qui sera développé pour tenir compte des changements possibles et là, les responsables patronaux, syndicaux et politiques sont partagés, tout comme l’opinion publique.

D‘un côté, vous avez ceux qui considèrent que la vie économique et sociale va reprendre son trend d’évolution marqué par la croissance et le progrès, si possible au bénéfice du plus grand nombre.

De l’autre, vous avez tous ceux qui pensent que cette épidémie catastrophe est le résultat de la mondialisation effrénée depuis 20 ans et du capitalisme financier et sans doute du réchauffement climatique. Ceux-là pensent que l'occasion est forte pour faire évoluer le modèle avec moins de croissance, moins de CO2 , moins d’énergies fossiles…etc.

Et bien, entre ces deux thèses apparemment contradictoires, Emmanuel Macron est complètement coincé. Dans ses propos de dimanche, il n’a pas échappé à ce piège. Il commence par annoncer le retour à une vie normale, à la nécessité de retourner au travail, à l’ouverture des frontières et même au redémarrage des aéroports. La libre circulation aérienne sera sans doute rétablie au niveau international à la fin de l‘été et c’est un marqueur de la fin du virus.

Mais dans la deuxième partie de son discours, il prophétise un monde nouveau, un monde différent, un monde plus calme, plus vert, plus propre. Bref, il parle non plus aux chefs d’entreprise actuels qui attendent depuis deux mois la réouverture de leur commerce, il parle à tous les amis de Greta Thunberg, de Yann-Arthus Bertrand ou même de son ancien ministre Nicolas Hulot qui expliquent que le modèle de croissance productiviste n’est plus le bon, qu'il va falloir arrêter les voyages en avion, qu’il va falloir croitre moins vite et se soigner avec une médecine naturelle...

Alors les courants écologistes les plus pragmatiques savent bien qu’il faudra trouver une compatibilité entre les objectifs de croissance et les contraintes de protection de l’environnement.

Les chefs d’entreprises savent aussi qu’il leur faut satisfaire leurs salariés qui demandent du pouvoir d’achat, leurs actionnaires qui ont besoin de rendement et leurs clients qui veulent des produits de qualité sans défaut mais à prix bas.

Cette contradiction-là, le président de la République la connaît évidemment. Mais, il la pratique allègrement pour des raisons politiques, il l'a survolée sans jamais la lever.

Les chefs d’entreprise ont besoin de savoir. Ceux qui construisent des automobiles ont besoin de vendre dans les pays émergents. Ceux qui sont dans le tourisme et qui sont les premiers employeurs de France veulent savoir comment faire tourner leurs établissements sans pouvoir accueillir les visiteurs étrangers qui ne peuvent plus venir du monde entier et à qui on a commencé à leur expliquer que ça n’était pas bien que d’émettre ainsi du CO2. Pas bien de « ne pas lutter » contre le réchauffement climatique.

Si le seul moyen de protéger l’environnement est de freiner la croissance en faisant la morale, on n’est pas sorti de ce dilemme.

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