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La désindustrialisation : un moteur du vote nationaliste
©MYCHELE DANIAU / AFP

Bonnes feuilles

Anaïs Voy-Gillis a publié "L'Union européenne à l'épreuve des nationalismes" aux éditions du Rocher. Du Brexit aux élections européennes de 2019, en passant par la qualification de Marine Le Pen pour le second tour de l'élection présidentielle de 2017, les partis nationalistes-identitaires ont le vent en poupe dans toute l'Union européenne. Extrait 2/2.

Anaïs Voy-Gillis

Anaïs Voy-Gillis

Anaïs Voy-Gillis est docteur en géographie de l'Institut Français de Géopolitique. Ses recherches concernent la montée des nationalismes et des droites extrêmes en Europe.

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La désindustrialisation alliée à la précarisation des emplois et des salariés a des conséquences sociales et politiques indéniables. Elle est venue déséquilibrer les territoires et a contribué à créer des zones totalement sinistrées. En outre, la vente des fleurons industriels à des groupes étrangers, notamment au Royaume-Uni, a eu des conséquences sur l’imaginaire, l’inconscient collectif et les représentations de la nation. Il existe également de nombreuses disparités au sein de l’Angleterre qui sont apparues au début des années 1930 et ont été intensifiées par la désindustrialisation et la politique de Margaret Thatcher. Même si des politiques ont été mises en œuvre pour réduire ces inégalités, elles perdurent. Londres et sa périphérie demeurent plus aisées que les autres territoires. Mark Bailoni considère que ces fractures sont à la fois socio-économiques, politiques et identitaires. Nul doute qu’elles n’ont pas été sans influence sur le Brexit. 

Par ailleurs, les années 1980 ont été marquées par une large diffusion, dans le monde occidental, d’un discours sur la fin de l’industrie. La logique industrialiste a cédé le pas à un consensus idéologique bâti sur un discours à propos de la fin du travail posté, la mort de l’ouvrier et l’abandon du secteur productif. Cette déstructuration du système productif a eu des conséquences sur les territoires, mais également sur les esprits. Rappelons que l’industrie, notamment en France, a été pendant longtemps un outil au service de la préservation de la souveraineté nationale et le rayonnement de la nation. La destruction des emplois industriels n’a pas été compensée par la création d’emplois administratifs ou de services à la personne dans tous les territoires. 

Au Royaume-Uni, la politique de Margaret Thatcher et de ses successeurs en faveur des investissements directs étrangers (IDE) a permis de sauver les fleurons industriels britanniques et d’amortir les effets de la désindustrialisation sur l’emploi industriel. Mais l’arrivée de capitaux étrangers n’a pas eu que des conséquences positives. En effet, les représentations de nombreux Britanniques ont été impactées par le rachat de fleurons industriels par un groupe d’une ancienne colonie britannique. Il y a également une crainte qu’un jour ces groupes décident de transférer l’ensemble de la production vers des sites de production asiatiques. Mark Bailoni estime que : « Le destin de MG, Rover ou LDV a profondément peiné et marqué les Britanniques. Beaucoup ont le sentiment que leur patrimoine et le prestige de leur nation sont peu à peu dilapidés et dépecés par des firmes étrangères sans scrupules, d’autant plus quand les Chinois se permettent de commercialiser ce qui est perçu comme des contrefaçons de Rover. Pour de nombreux Britanniques, c’est la fierté nationale qui est bafouée. En dehors de l’industrie automobile, d’autres affaires renforcent ce sentiment8 . » Les travaux sur l’impact de la cession des fleurons industriels nationaux sur la fierté nationale sont encore trop rares. Pourtant, l’industrie a participé au rayonnement des nations, tout comme la désindustrialisation a participé à l’effondrement de certains territoires. Les cessions d’entreprises industrielles britanniques (Cadbury, Rover, LDV, etc.) à des entreprises étrangères ont toujours fait l’objet d’une forte mobilisation de la part des citoyens britanniques. Ces mobilisations se font derrière le drapeau de l’Union Jack alors que dans d’autres manifestations, il était plutôt délaissé au profit des drapeaux écossais et anglais. Pour de nombreux Britanniques, le rachat de ces entreprises est menace pour le prestige du Royaume-Uni.

Ces entreprises sont des symboles de la puissance britannique et elles font partie du patrimoine et de l’identité nationale du pays. 

Dans son programme présidentiel de 2017, Marine Le Pen voulait « mettre en place un plan de réindustrialisation dans le cadre d’une coopération associant l’industrie et l’État stratège pour privilégier l’économie réelle face à la finance spéculative ». Elle entend protéger l’industrie nationale de la concurrence et les petites entreprises face aux prélèvements de l’État et aux exigences des banques (baisse du taux d’imposition, accès facilité aux crédits bancaires). Le Rassemblement national ne montre pas d’hostilité aux programmes sociaux, mais entend les réserver aux nationaux. Devant ce constat, la principale proposition d’une partie des nationalismes est le patriotisme économique, synonyme de fermeture des frontières, considéré comme des choix permettant de restaurer la souveraineté nationale dans l’intérêt de la population. Donald Trump a été élu sur le discours isolationniste « America First ». Une des premières mesures prises, quand il a été élu, a été d’imposer des droits de douane à l’importation de 25% sur l’acier et de 10% sur l’aluminium. Le premier pays visé par cette décision était la Chine, désignée comme la principale responsable des destructions d’emplois dans la Rust Belt. 

La mondialisation a induit une mise en concurrence des systèmes sociaux et fiscaux. Ce processus a eu des effets directs sur certaines couches de la population dans les pays développés, avec des pertes d’emplois liées aux délocalisations, une pression à la baisse sur les salaires pour les personnels non qualifiés et peu mobiles, une érosion des systèmes de protection sociale. La victoire électorale de Donald Trump aux États-Unis, en novembre 2016, s’explique en grande partie par le vote de la population affectée par la concurrence internationale, notamment des habitants de la Rust Belt (« ceinture de rouille »), région industrielle du nord-est des États-Unis dévastée par la concurrence des pays dits « émergents ». En outre, l’effritement de la classe moyenne alimente le discours populiste qui vise les élites présentées comme les responsables de la situation et les bénéficiaires de la mondialisation. Par ailleurs, le comportement des dites élites donne du crédit à ce discours. Leur concentration dans les centres-villes, l’exode fiscal de certaines personnalités sont des phénomènes qui viennent alimenter le sentiment que les élites refusent de participer à la solidarité nationale, qu’elle soit financière ou économique. Jérôme Fourquet parle à ce titre de « sécession des élites » pour qualifier la mise en retrait des élites de la nation pour mieux protéger leurs privilèges.

Pour retrouver un premier extrait du livre d'Anaïs Voy-Gillis, cliquez ICI

Extrait du livre de Anaïs Voy-Gillis, "L'Union européenne à l'épreuve des nationalismes", publié aux éditions du Rocher. 

Lien vers la boutique : ICI et ICI

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