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Oser dire ce que les autres n’osent plus : le pari de Marion Maréchal peut-il réussir ?
©Sameer Al-Doumy / AFP

Voix libre

Alors que le RN joue la carte de l'apaisement, de la poursuite de la dédiabolisation, Marion Maréchal a choisi de se poser en défenseur de tous les Français excédés par la culture de la repentance et de la culpabilisation que les nouveaux militants identitaires imposent au pays.

Anita Hausser

Anita Hausser

Anita Hausser, journaliste, est éditorialiste à Atlantico, et offre à ses lecteurs un décryptage des coulisses de la politique française et internationale. Elle a notamment publié Sarkozy, itinéraire d'une ambition (Editions l'Archipel, 2003). Elle a également réalisé les documentaires Femme députée, un homme comme les autres ? (2014) et Bruno Le Maire, l'Affranchi (2015). 

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Au lieu de chercher à apaiser les tensions, Marion Maréchal semble vouloir les raviver à dessein. Que risque-t-elle en prenant ce pari ?

Christophe Boutin : Je ne pense pas que l'on puisse dire que Marion Maréchal cherche à « raviver les tensions » en exprimant très simplement son désaccord. La situation française est effectivement très tendue, et l'on entend depuis quelques jours s’exprimer des discours violents, sectaires et intransigeants, mais on à peine à trouver de tels accents dans les déclarations faites par l'ancienne députée. Aussi bien dans la vidéo postée sur les réseaux sociaux que lors de son passage dans l'émission de Daniel Pujadas - et j’invite ceux de vos lecteurs qui ne l’auraient pas fait à les regarder pour se faire leur propre idée -, Marion Maréchal fait preuve de calme, de retenue et de distanciation. À aucun moment elle n'appelle à la violence, comme à aucun d’ailleurs moment elle ne nie les problèmes qui peuvent exister de manière ponctuelle, que ce soit au sein de la société en général ou au sein des forces de police en particulier, et ce tant au niveau national que dans le cas des USA où a débuté la crise actuelle.

Si le discours de Marion Maréchal peut surprendre et paraître « clivant », c'est qu'il est actuellement l'un des très rares venus des politiques à ne pas céder à l'émotion, comme nous y appelle pourtant le ministre de l'intérieur Christophe Castaner. Même si son statut la place un peu à la marge du monde politique de nos jours, elle a choisi de prendre la parole pour remettre en perspective les tensions actuelles, et évoquer notamment l'absence de limites auxquelles aboutit le discours communautariste ou multiculturaliste dans la remise en cause de l'histoire de notre pays. Son discours n'apparaît en fait tranché que comparé au vide sidéral qui existe par ailleurs : quand il ne s’agit pas en effet d’un discours de totale soumission aux diktats de ces groupes ultra minoritaires qui entendent faire voler en éclats l'universalisme républicain, on trouve de la part des politiques un silence gêné, et le plus souvent une réaction de fuite : on n’aura rarement entendu si peu ceux qui recherchent d’habitude les moindres occasions de passer devant les caméras.

Marion Maréchal pense que cette lâcheté devant les pressions doit cesser, et si elle est donc presque seule parmi les politiques, j’invite vos lecteurs à lire la tribune récemment publiée par Jean-Éric Schoettl dans le Figaro. Écrivant que « nos ministres mettent genou en terre devant les activistes », cet ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, haut fonctionnaire que nul ne saurait soupçonner de la moindre inclinaison envers le racisme ou la violence, va rigoureusement dans le même sens que les déclarations de Marion Maréchal.

Quant au risque que pourrait courir Marion Maréchal avec de telles déclarations, ce sont les mêmes que pour tous ceux qui tiennent dans la France de 2020 un discours différent de la doxa politiquement correcte : cela va de l’exclusion de fait du corps social aux menaces – Christine Kelly, dont le seul tort est de savoir maîtriser Éric Zemmour tout en le laissant s’exprimer sur son plateau de télévision, vient de dire combien elle était meurtrie de celles qu’elle reçoit - à l'agression physique pure et simple, comme l'a démontré récemment le cas d'Éric Zemmour.

Anita Hausser : En prenant la parole, Marion Maréchal se pose, sans en avoir l'air, en première et meilleure opposante à la mouvance indigéniste, racialiste, post colonialiste, que la France découvre à la faveur du mouvement de protestation contre la mort de George Floyd. Cette mouvance a greffé, avec un certain succès, l'affaire Adama Traoré sur l'affaire Floyd. En France, dans une certaine confusion, se mêlent attaques contre l'"Etat colonialiste", les violences policières, et les " Blancs esclavagistes". Un discours racisé, que Marion Maréchal tente de contrer avec un autre discours racisé en déclarant qu'elle n'a pas à "s'excuser en tant que blanche et tant que Française pour la mort d'un afro-américain aux Etats-Unis...Je n'ai pas à m'excuser parce que je n'ai pas colonisé, je n'ai colonisé personne, je n'ai mis personne en esclavage..." Pour l'ancienne députée, pas question de mémoire ou de repentance.

Ces propos lui ont valu d'être aussitôt reprise à la volée par sa tante Marine Le Pen, qui entend rester sur "un plan républicain " et refuse de "tomber dans le piège des indigénistes et des racialistes", ainsi que dans le piège de l’américanisation, alors que rien ne se construit, en France, en fonction de communautés".

Son discours identitaire est-il différent du discours tenu habituellement par le RN ? En quoi se démarque-t-elle de son ancien parti ?

Christophe Boutin : Le parti de Marine Le Pen, comme d'ailleurs beaucoup de réflexions actuelles, faites ou non sous des formes partisanes, qui s’interrogent sur la manière dont il convient de lutter contre ce progressisme dont le multiculturalisme communautarisé est un des visages, semble ne plus se préoccuper que du « comment ». C'est flagrant dans le cadre d’un discours souverainiste qui se veut actuellement l’un des éléments centraux de la lutte contre le progressisme. On l'a vu lorsque le parti de Marine Le Pen, coachée alors par Florian Philippot, cherchait à réunir la France du « non » - entendons par là du « non » à la constitution européenne - et à réunir les souverainistes de droite et de gauche. On le voit aujourd'hui, de manière d'ailleurs concurrentielle avec le RN, dans la tentative de Michel Onfray de proposer avec sa revue Front populaire une autre alliance des souverainistes – le souverainisme faisant l'objet de son premier numéro.

On évacue alors pourtant, comme cela a été très bien mis en exergue dans le débat télévisé qui a opposé Michel Onfray et Éric Zemmour dans l'émission de ce dernier, la question de savoir qui est souverain, et donc celle de l’identité. Tous sont en effet d’accord pour que la France retrouve sa souveraineté, politique face à l'Union européenne, juridique face à des juges européens comme ceux de la Cour européenne des droits de l'homme, économique face à d'autres pays, USA, Chine ou Allemagne, mais il faut bien un jour répondre à la question de savoir ce qu’est cette France souveraine.

Ressurgit alors la question de l'identité nationale, débattue au XIXe siècle, quand les nations se sont clairement affirmées comme étant les éléments centraux du jeu politique international - mais en sachant que la création de la nation France, l’une des plus vieilles du monde, remonte à la Guerre de Cent ans. Ernest Renan, dans sa célèbre conférence intitulée « Qu'est-ce qu'une nation ? », dans laquelle il s'oppose aux thèses allemandes, définit très clairement les critères d’appartenance à une nation, et, contrairement à ce que l'on veut souvent lui faire dire, s’il met en exergue le volontarisme - c'est la thèse du fameux « plébiscite de tous les jours » - écrit que l’on ne saurait « faire nation » en partageant seulement des formalités administratives. « Avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore », telle est la formule de Renan, qui insiste sur le nécessaire souvenir commun des « grandes gloires du passé ».

Or, dans la France de 2020, les minorités communautaristes qui battent le pavé n'entendent pas partager la moindre histoire commune avec le peuple historiquement présent sur le territoire où elles se sont installées, mais bien réécrire cette histoire, uniquement à charge, dans les manuels scolaires, et interdire toute manifestation qu’elles jugeraient « offensantes » de cette histoire, par des statues aujourd’hui, par les portraits des musées ou les noms de lieux demain.

Contre ce qui n’est pas seulement cette table rase voulue par tous les révolutionnaires, l’histoire de France devant commencer en 2020, mais est aussi et surtout une véritable falsification destinée, comme Marion Maréchal le dit très bien, à alimenter une discrimination qui n’est jamais « positive » que pour les groupes qui en bénéficient et s’inscrit à rebours de la méritocratie républicaine, il n’est pas de compromis possible, sauf à acter la disparition de notre nation historique comme de ce qui a fait l’essence même de notre République.

Contestée par Marine Le Pen, la stratégie de Marion Maréchal a-t-elle une chance de réussir à l'élection présidentielle ? N'aurait-elle pas intérêt à jouer la carte de l'apaisement plutôt que de séduire des électeurs déjà acquis ?

Christophe Boutin : Il est vraisemblable d’abord que Marion Maréchal ne pense pas aux élections présidentielles, en tout cas pas celle de 2022, comme elle l'a une nouvelle fois clairement laissé entendre chez Daniel Pujadas. Quant à la meilleure tactique on rappellera deux choses. La première est que lors des présidentielles, au second tour, il ne s'agit pas de réunir derrière soi l'ensemble de la population, mais avant tout l’ensemble de ceux qui s'opposent à l'autre candidat : lorsque Jacques Chirac est élu contre Jean-Marie Le Pen, ce ne sont pas ses qualités « d'apaisement » qui ont attiré à lui les électeurs de gauche.

Reste bien sur, autre point, à être présent au second tour. Or ce que vous appelez « l'apaisement », en fait la modération du discours politique pour, sans séduire tout le monde, ne rebuter personne, peut être en fait contre-productif. Cela aboutit en effet à créer l'impression que les différents partis… ne sont justement pas différents, et propagent la même doxa en se partageant le pouvoir au terme de joutes bien symboliques. Une impression qui d'ailleurs, en France, est loin d'être erronée, et l’élection d’Emmanuel Macron relève au moins autant de la lassitude de l'électorat devant une droite et une gauche dites « de gouvernement », modérées, « apaisées » et interchangeables, que de « l’apaisement » de l’auteur de « Révolution ». Cet « apaisement » conduit en effet à la montée des discours de rupture, ce dont bénéficient depuis des années les mouvements populistes de droite et de gauche, LFI et le RN devant chacun beaucoup aux discours « apaisés » tenus par le PS et LR.

Quant aux « électeurs acquis », il est certain que de très nombreux Français ont de plus en plus clairement l’impression d’être trahis par les élites au pouvoir. L’arbitraire qui prévaut dans l’application du droit, d’une sévérité sans faille contre certains, d’un laxisme coupable envers d’autres, le fait que le simple droit à la sûreté, l’un de ces « droits naturels et imprescriptibles de l'homme » dont « la conservation » est, selon l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le « but de toute association politique » n’existe plus pour une partie de la population, soumise à des risques quotidiens de violences – que l’on liste par exemple les agressions au couteau -, l’impunité dont bénéficient les attaques contre l’histoire nationale qui déguisent mal la haine qui les sous-tend, sont autant d’éléments qui sont en train de faire voler en éclat le pacte national. Cela peut amener à celui – ou celle – qui dira simplement les choses en face bien des électeurs venus d’ailleurs et qui, devant l’état de leur société, et les craintes qu’ils ressentent pour eux et leurs enfants, feront évoluer leurs priorités et donc leurs choix politiques.

Anita Hausser : Marion Maréchal affirme ne plus faire de politique; elle dit et redit qu'elle ne sera pas candidate contre sa tante "avec qui elle n'entretient que des relations familiales", en 2022. Pour autant Marion Maréchal n'a jamais dit qu'elle abandonnait le terrain des idées et elle n'entend pas disparaître du paysage, loin de là. La preuve: ces "cartes postales-vidéos" qu'elle envoie pour se rappeler au bon souvenir des Français. De l'extérieur du parti, avec une audience dans l'opinion de droite, elle peut se poser en aiguillon et embarrasser la candidate à l'élection présidentielle Marine Le Pen, qui cherche à élargir son assise électorale, à peaufiner une image républicaine, voire à embrasser la geste gaullienne...

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