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Amine El Khatmi : "Les Arabes et les Noirs ne sont pas des victimes de la France blanche"
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Mise au point

L'universalisme, qui était le pilier et la condition même de l’antiracisme, est attaqué par des individus qui rêvent d’importer en France le modèle américain, regrette le président du Printemps Républicain, Amine El Khatmi.

Amine El Khatmi

Amine El Khatmi

Amine El Khatmi est militant politique depuis l’âge de 15 ans. Élu municipal socialiste d’Avignon entre 2014 et 2020, il a présidé de 2016 à 2023 le Printemps Républicain. Il est l’auteur de plusieurs essais : Non, je ne me tairai plus publié en 2017 aux éditions Lattès, Combats pour la France en 2019 chez Fayard, Printemps Républicain publié aux éditions de l’Observatoire en 2021 et Cynisme, dérives et trahisons chez Harper Collins en 2024.

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Atlantico : Pourquoi le discours antiraciste vous met-il en colère ? Quel regard portez-vous sur les propos d'Hélène Sy, la femme de l’acteur français, qui a accusé un policier noir d'être dans le mauvais camp ?

Amine El Khatmi : Entendons-nous bien, ce n’est pas le discours antiraciste qui me met en colère mais son dévoiement par quelques-uns. Lutter contre le racisme et les discriminations qui frappent une partie de nos concitoyens est une impérieuse nécessité. Mais ce à quoi nous assistons est l’illustration parfaite de ce que le politologue et co-fondateur du Printemps Républicain Laurent Bouvet nomme « l’âge identitaire ». L’universalisme, qui était le pilier et la condition même de l’antiracisme, est attaqué par des individus qui rêvent d’importer en France le modèle américain. On ne parle plus de commun mais de « racisés », de « concernés », « d’indigènes », « d’alliés » que l’on oppose à la « blanchité » et à un prétendu « racisme d’Etat » qui régnerait en France. C’est le triomphe de l’assignation à résidence identitaire, une surenchère qui au lieu d’un combat commun et universel contre le racisme aboutit à un choc des communautés. Les noirs d’un côté, les arabes de l’autre, les blancs ailleurs et ainsi de suite.

Selon cette logique délétère, un policier comme Abdoulaye Kanté est donc d’abord perçu comme noir, membre d’une communauté, tenu d’être solidaire. Le fait que lui-même se voie d’abord comme un citoyen français ne compte plus, puisque d’autres ont décrété pour lui qu’il était d’abord noir. Et ce faisant, exerçant le métier de policier, il apparaît alors comme un traître à sa communauté, un « vendu », un « nègre de maison », puisque dans le monde imaginaire et manichéen de ces gens, la police est structurellement raciste et est en guerre contre les Noirs.

Policière et porte-parole d’un syndicat, Linda Kebbab a elle aussi eu droit à son « Arabe de service », insulte proférée par l’agitateur professionnel Taha Bouhafs, qui devra d’ailleurs en répondre puisque plainte a été déposée contre lui. Certes, Hélène Sy, sans doute plus urbaine que Monsieur Bouhafs, n’a pas eu de mots aussi crus et violents mais lorsqu’elle dit à Abdoulaye Kanté « ils ont fait de vous le porte-parole noir de la police qui va faire tous les médias afin de les déculpabiliser », elle réduit Monsieur Kanté à la couleur de sa peau, la pose comme un préalable. Les mots sont certes choisis mais le fond de l’affaire est le même : c’est une façon de dire que vous devez penser selon votre origine, faute de quoi vous êtes un traître. Décréter que les individus appartiennent à leur sang, n’est-ce pas le début du racisme ?

De quoi ce discours antiraciste dominant dans les médias est-il le symptôme ?

Je ne sais pas s’il est déjà dominant, mais il est en passe de le devenir. Cela s’explique par plusieurs facteurs, et notamment par l’arrivée dans nombre de rédactions ces dernières années de jeunes journalistes sensibles aux thèses d’universitaires américains qui se sont progressivement enracinées en France. En partant de réalités vécues, qui existent indubitablement, on élabore une théorie générale qui ne souffre ni nuance, ni exception. Les Noirs, les Arabes, les Musulmans sont des « racisés », désignés par nature et à vie comme les victimes éternelles du Blanc, de la colonisation, de la traite, de l’esclavage, comme si personne n’avait ôté les chaînes immondes de ce qui fut un crime contre l’humanité. Finalement, nous serions condamnés à faire « commerce de nos cicatrices » selon l’expression de Raphaël Enthoven, alors que nous demandons juste à vivre comme tous les autres citoyens, et à offrir un avenir à nos enfants.

Cette semaine encore, le site internet de France Info, grand média du service public rappelons-le, publiait un reportage dont le titre était : « On a peur qu’ils soient blessés ou tués : comment des familles noires et arabes apprennent à leurs enfants à vivre avec les forces de l’ordre ». J’ignore quel est le profil des personnes interrogées par la journaliste mais les « Noirs et les Arabes » que je connais et côtoie, en particulier ceux avec qui j’ai grandi en cité, n’apprennent pas à leurs enfants à avoir peur de la police : ils leur apprennent à bien se comporter, à travailler à l’école, à respecter l’autorité de l’enseignant, de l’animateur du centre social, de l’entraîneur du club de foot. Je pense aux habitants des quartiers nord d’Avignon dont j’ai été le maire de quartier. Ils n’avaient pas peur de la police et me demandaient justement plus de présence policière et l’ouverture d’une antenne de police municipale, excédés qu’ils étaient par les trafics, les rodéos, les intimidations quotidiennes, les règlements de comptes permanents. Je pense à ces mères de familles isolées ; je puis vous assurer qu’elles avaient moins peur de la police que de voir leurs enfants sombrer dans la délinquance. Je rappelle que le taux de personnes qui « se disent en insécurité » était en 2018 de 26% dans les quartiers sensibles, contre 10% sur le reste du territoire national, selon l’enquête « Cadre de vie et sécurité 2018 » du ministère de l’Intérieur.

Disant cela, je n’ignore rien des débats qui traversent notre société sur la relation entre la police et les citoyens mais ce débat doit être traité avec sérieux, rigueur et sérénité et non à coup de déclarations ou d’articles incendiaires et totalement à l’opposé de ce qu’est la réalité du terrain.

Quelle sortie de crise peut-on imaginer ?

Il faut d’abord cesser la surenchère que nous connaissons depuis quelques semaines. L’émotion autour de la mort de George Floyd, je l’éprouve, comme des millions de personnes à travers le monde. Raison de plus pour ne pas mélanger tous les sujets, ni annexer à cette légitime indignation des combats respectables pour certains, douteux pour d’autres. La lutte contre les discriminations doit rester une priorité des pouvoirs publics. Je ne peux accepter qu’aujourd’hui, un enfant né dans un quartier sensible parte avec plus de handicaps dans la vie qu’un autre. En ce sens, la question sociale est irrémédiablement liée à la question républicaine.

Il faut une vaste réforme de la politique de la ville pour lutter efficacement contre les problèmes structurels qui s’y déploient : taux de pauvreté (37% dans ces quartiers contre 14% sur le reste du territoire selon l’INSEE), lutte contre la délinquance qui mine le quotidien des habitants, mobilisation contre le décrochage scolaire. Pourquoi, d’ailleurs, ne pas imaginer des dispositifs exceptionnels et temporaires en dérogeant au droit commun de la fonction publique pour augmenter les rémunérations des enseignants et policiers qui y interviennent, et ainsi attirer les profils les plus expérimentés ? Pourquoi ne pas généraliser le dédoublement classes jusqu’au jusqu’au bac dans les secteurs les plus en difficulté ? Elargir la possibilité d’affecter les élèves des réseaux d’éducation prioritaire (REP/REP+) dans des établissements plus prestigieux de centre-ville ?

La bataille doit aussi être menée sur le plan culturel, dans nos universités où les thèses indigénistes et racialistes ne cessent de s’enraciner. Défendre la liberté d’expression et la création artistique qui ne peuvent se soumettre à la morale de quelques-uns. On ne revisite pas les œuvres d’il y a un siècle à l’aune de critères contemporains.

Il est, enfin, urgent de remettre l’essentiel à sa place et dire que nous refusons une société où certains voudraient faire de la couleur de votre peau, de votre religion ou de votre athéisme, de votre sexualité, de votre lieu de résidence, ce qui doit déterminer votre vie et celle de la République. Ils rêvent de nous diviser en groupes, en sous-groupes, pour organiser l’affrontement. Face à cela, il est temps de faire de la République une idée neuve, et du commun, son ciment !

 Amine El Khatmi est l'auteur de Combats pour la France, paru aux éditions Fayard.

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