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Radicalisation des uns ou apaisement des autres... Marine Le Pen, Rachida Dati et les balbutiements d’une nouvelle histoire de la droite ?
©THOMAS COEX / POOL / AFP

Consignes de vote

Marine Le Pen a indiqué sur France Inter que si elle était parisienne, elle voterait pour Rachida Dati lors du second tour des municipales. Ces déclarations ne sont elles-pas le symptôme d’une évolution du RN qui pourrait à terme rendre la question du cordon sanitaire caduque ?

Dominique Jamet

Dominique Jamet

Dominique Jamet est journaliste et écrivain français.

Il a présidé la Bibliothèque de France et a publié plus d'une vingtaine de romans et d'essais.

Parmi eux : Un traître (Flammarion, 2008), Le Roi est mort, vive la République (Balland, 2009) et Jean-Jaurès, le rêve et l'action (Bayard, 2009)

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Jean-Yves Camus

Jean-Yves Camus

Chercheur associé à l'Iris, Jean-Yves Camus est un spécialiste reconnu des questions liées aux nationalismes européens et de l'extrême-droite. Il est directeur de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès et senior fellow au Centre for the Analysis of the Radical Right (CARR)

Il a notamment co-publié Les droites extrêmes en Europe (2015, éditions du Seuil).

 

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Atlantico.fr : Comment le Rassemblement national a-t-il évolué ces dernières années pour s'associer aux valeurs républicaines ?

Dominique Jamet : L'entreprise de dédiabolisation entamée il y a des années maintenant, et notamment à l’époque où Florian Philippot était numéro deux du FN, se poursuit, malgré la brouille entre Florian Philippot et Marine Le Pen. C'est, sinon une preuve, du moins un signe. En effet, le RN, par la voix de Marine Le Pen, a rappelé à maintes reprises au cours de ces dernières années et encore récemment qu'il est un parti légal et républicain - c'est en tout cas ce qu'il dit -, et est allé plus loin encore dans ce sens-là, puisque Marine Le Pen a mis fin à un tabou que son père tenait : elle est devenu gaullienne récemment. Elle va aussi loin que possible dans la démonstration de sa volonté ou de son désir d’être intégrée dans l’arc en ciel des partis admis et fréquentables. À défaut - ce qui changerait tout pour elle - de ne plus être maudit et boycotté par les autres, elle donne, par sa consigne de voter pour Rachida Dati, un signe de bonne volonté, d’ouverture. En fin de compte, c'est assez conforme à la logique du RN depuis quelques années, d'autant plus d'ailleurs qu’avant le premier tour des municipales qui n'a pas été excellent pour le RN, Marine Le Pen et un certain nombre de cadres de son parti avaient fait savoir qu'ils espéraient et envisageaient, ici et là, des rapprochements avec la droite classique et républicaine.

Jean-Yves Camus : Les discours de Marine Le Pen se terminent toujours par "Vive la République, Vive la France". Elle fait sienne la devise républicaine, alors que son père, formellement républicain, mais de tendance autoritaire-plébiscitaire, avait exprimé dans Le Progrès, en 2007, des réserves, objectant que la devise proposait des objectifs, et de plus, contradictoires. Cependant Dominique Rousseau explique très justement que la réforme constitutionnelle que Marine Le Pen veut mettre en oeuvre dès son élection modifie non pas la lettre, mais la nature du projet républicain puisqu'elle souhaite inscrire dans la Constitution la préférence nationale, qui restreint aux seuls nationaux les principes d'égalité et de fraternité. Contrairement à une apparence trompeuse, la République est non seulement contenue dans la lettre, et de ce point de vue le RN est républicain, mais aussi dans une coutume, une tradition. Et là, si le RN s'associe à la lettre, il s'éloigne nettement de l'esprit.

En quoi les propos de Marine Le Pen au sujet de Rachida Dati, tenus hier dans la matinale de France Inter, peuvent-ils surprendre ?

Dominique Jamet : S'agissant de Paris et de la réclamation sur France Inter de Marine Le Pen, il faut d'abord admettre qu’il s’agit d’une attitude réaliste, puisque le RN à Paris a été, non seulement éliminé, mais éliminé avec le plus mauvais score qu'il ait jamais fait dans la capitale (un petit magot de 1,5% de voix) ce qui lui interdisait de rester présent au second tour ainsi que toute possibilité de fusions et laisser ses voix en déshérence. D'ailleurs, il y a eu récemment un sondage qui attribuait à Rachida Dati 33% des intentions de vote, au lieu des 20% du premier tour. On peut imaginer que la tendance des électeurs du RN à Paris allait dans le sens de la déclaration de Marine Le Pen, c’est-à-dire qu’ils auraient plutôt tendance à rejoindre la principale adversaire d’Hidalgo spontanément. Cela va dans le sens de leur pente idéologique et électorale. Troisième élément de réalisme : il est certain qu’Anne Hidalgo pour beaucoup de gens, à Paris et en dehors de Paris, est quelqu'un qui s'est attiré, tant par son positionnement très à gauche et les mesures qu'elle a prises, l'hostilité de beaucoup de gens : il est assez normal qu'elle soit, en l'absence d'un candidat du RN, la candidate que le RN souhaite faire perdre.

Jean-Yves Camus : Vous avez remarqué que les propos de soutien de Marine Le Pen à l'égard de Rachida Dati arrivent au lendemain de la sortie de Mme Dati sur la racisme, en relatant à la fois sa propre expérience familiale et sa difficulté à ne pas se couper de sa famille politique sur cette question. Cette sortie de Marine Le Pen prouve deux choses : d'abord que le RN ne réussit toujours pas à percer à Paris. Ce n’est pas une ville favorable à l’extrême droite depuis le début des années 80. Cela s’est encore vérifié au premier tour des municipales avec 0 candidat issu de l’extrême droite au second tour. 

Ce qui étonne, c’est de voir Marine Le Pen, habituellement partisane du « ni droite ni gauche », soutenir une candidate qui n'est pas issue de sa famille politique, mais qui incarne tout ce sur quoi le discours de l’extrême droite cogne depuis des années. Marine Le Pen relativise donc aujourd’hui son positionnement politique habituel du ni - ni pour rejoindre le grand camp de la droite contre le grand camp de la gauche dans cette course à la maire de Paris.  

Cette évolution de la pensée politique du RN pourrait-elle rendre à terme le cordon sanitaire entre l'extrême droite et la droite traditionnelle caduque ?

Dominique Jamet : Il y a évidemment une affinité entre les électeurs du RN et les positions et propositions que Rachida Dati fait pour Paris. Rachida Dati insiste beaucoup sur sa volonté de faire de Paris une ville propre, dans tous les sens du terme, c'est-à-dire mieux nettoyée et en même temps mieux policée. Face à Anne Hidalgo, qu'elle considère comme une dangereuse gauchiste, elle représente la loi et l'ordre : cela ne peut pas déplaire aux électeurs du RN. Cela dit, parce que ça s'inscrit dans l'évolution générale du RN, cela paraît plus proche du non-événement que de l’événement. En effet, cela aurait été un événement important si Rachida Dati avait sollicité l'apport du RN et s’il y avait eu une véritable fusion. Non seulement Marine Le Pen apporte à Rachida Dati un soutien qu’elle ne lui avait pas demandé, mais sa réaction a été de ne pas lui répondre. Elle est dans la position d'une personne qui reçoit une lettre recommandée sans donner d’accusé de réception. L’apport du RN à Paris étant négligeable et Agnès Buzyn ayant persisté à se présenter, tout donne à penser que Rachida Dati a peu de chance de gagner le second tour.

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