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Covid-19 : le point sur la 2eme vague dans le monde (et ce qu’elle peut nous apprendre)
©ROSLAN RAHMAN / AFP

Résurgence du virus

L'indicateur des nouvelles contaminations de Covid-19 est reparti à la hausse depuis un mois à Singapour et en Iran, tandis que l'OMS alerte sur le risque d'une seconde vague en Europe l'hiver prochain.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Alors que l'épidémie semble sous contrôle, certains pays comme l'Iran ou Singapour subissent une deuxième vague extrêmement forte. Comment expliquer ces disparités entre les pays face au virus ?

Stéphane Gayet : Cette question de la deuxième vague agite beaucoup les esprits, depuis quelques semaines déjà. En effet, alors que la pandémie semble plutôt marquer le pas dans nombre de pays, beaucoup se posent la question de l’éventualité d’une nouvelle vague. C’est même devenu le sujet phare depuis plusieurs jours : d’assez nombreux médias en font leur thème numéro un. Des experts de la question semblent fleurir de jour en jour, on en sollicite chaque jour ou presque de nouveaux. On organise des séances de formation à distance et des débats à distance sur la deuxième vague. Il est assez surprenant de voir de quelle façon ces experts surgis de toutes parts acceptent de prendre position : il y a les « pour » et il y a les « contre » la deuxième vague ; on pourrait même parler des « pro-deuxième vague » et des « anti-deuxième vague ».

En réalité, tout phénomène épidémique infectieux connaît une extinction progressive, mais qui se fait parfois avec quelques soubresauts. Il n’est pas du tout sûr que cette extinction ait vraiment commencé maintenant, mais il est sûr qu’elle se produira tôt ou tard. Aussi, pour pouvoir parler véritablement de deuxième vague, il faut encore que la situation satisfasse à deux conditions : qu’il y ait eu une vraie première vague et qu’elle se soit vraiment terminée. En France, nous avons bel et bien subi une forte première vague dont nous connaissons effectivement la fin actuellement.

Illustrons cette notion avec les cas de Singapour et de l’Iran. Si, au début de la pandémie, on a louangé la remarquable maîtrise du phénomène à Singapour, cela signifie en réalité que ce petit État a tellement bien œuvré pour réduire le risque, qu’il n’y a à proprement parler pas eu véritablement de première vague. Ils ont en quelque sorte été trop efficaces, ce qui a empêché le phénomène de première vague de se produire. C’est là que l’on voit que l’analogie avec le raz-de-marée a ses limites : dans un raz-de-marée, la première et la deuxième vagues viennent de la mer et la terre ne fait que les subir passivement ; alors que dans une épidémie, la première vague semble venir d’ailleurs, mais la réalité est qu’elle résulte de la réaction de la population à une contamination arrivante. Il faut bien comprendre qu’un phénomène épidémique n’est pas un phénomène physique : il résulte de la réponse de la population à une agression microbienne ; une épidémie est en cela tout à fait différente d’une intoxication massive de type chimique ou nucléaire.

Il faut vraiment insister sur le fait que l’on ne peut pas parler de deuxième vague s’il n’y a pas eu de première vague et si celle-ci n’est pas terminée.

À Singapour, la première vague a donc été stoppée, ce qui fait qu’elle ne s’est pas produite. Les Singapouriens s’en sont réjouis, à juste titre. Ensuite, ils se sont crus à l’abri. Mais c’était sans connaître le processus infectieux épidémique : il fallait que cette première vague se produise, ou alors il fallait qu’ils s’isolent complètement du reste du Monde. En d’autres termes, ce que l’on appelle la deuxième vague à Singapour n’est que la première vague qui a été décalée dans le temps. On peut essayer une comparaison avec la succession des saisons : l’hiver est nécessaire au printemps ; s’il n’y a pas d’hiver, il n’y aura pas vraiment de printemps, car l’hiver doit obligatoirement le préparer.

Une épidémie transforme une population : elle n’est plus du tout la même après la première vague ; les plus fragiles sont morts et beaucoup de personnes sont immunisées ; la population est avertie du danger, elle est échaudée, elle se tient sur ses gardes. C’est la première vague qui transforme la population et la rend moins réceptive à l’agent infectieux. On a toujours à l’esprit d’exemple de la deuxième vague particulièrement meurtrière de grippe A-H1N1 en septembre 1918 ; mais il s’agissait d’un virus grippal, donc d’un virus au génome instable, qui a probablement muté à la fin de l’été 1918.

En Iran, c’est le phénomène inverse à celui de Singapour, qui s’est produit. L’Iran est un grand pays étouffé économiquement par les sanctions américaines et socialement par le régime totalitaire. Le pays n’était pas du tout prêt à gérer le risque épidémique. Il y a eu une trèsforte première vague, meurtrière ; puis les dirigeants ont pris à la hâte des mesures de confinement, qui ont été mal organisées, mais qui ont contribué à amplifier l’asphyxie économique du pays ; un déconfinement a dû alors être opéré également dans l’urgence, en raison de la catastrophe économique. Ce déconfinement a été décidé prématurément, avant même que le confinement n’ait eu le temps d’être vraiment efficace sur le plan épidémique : ce que l’on appelle la deuxième vague en Iran n’est en réalité que le prolongement de la première vague qui n’avait pas été vraiment freinée et qui n’avait pas eu le temps de s’achever.

En France, nous avons connu une vraie première vague, pleine et entière. Le confinement a porté ses fruits et cette première vague est sur sa fin. La population et la société ont véritablement été transformées par la première vague, ce qui répétons-le doit se faire. Le phénomène de la première vague se termine et on peut légitimement, en France, se poser la question d’une deuxième vague.

La courbe rouge correspond à la situation de l’Iran, la bleue à celle de Singapour et la verte à celle de la France. Dans ces trois cas, il ne s’agit que d’une première vague (diphasique pour Singapour).

Maintenant, il existe certainement d’autres facteurs pouvant expliquer les disparités entre pays, dans leur réaction face au danger épidémique. Il existe des raisons climatiques : plus l’air est froid et sec, et plus la transmission aérienne des virus est facilitée ; plus il est chaud et humide, et plus cette transmission est contrariée.

Il y a aussi la distribution démographique selon l’âge de la population : les sujets de moins de 30 ans font plutôt des formes paucisymptomatiques (sans aucune sévérité), ceux de 30 à 65 ans font plutôt des formes sérieuses, mais peu souvent graves, sauf en cas de facteurs de risque (obésité, insuffisance respiratoire chronique, diabète…), tandis que les sujets de plus de 65 ans font plutôt des formes graves. De ce fait, les pays qui ont une population très jeune (Afrique subsaharienne, par exemple) ne sont pas atteints gravement en général, tandis que ceux qui ont une population vieillissante (Italie, par exemple) sont atteints plus gravement en général.

Le troisième facteur à prendre en considération, mais que l’on ne peut pas mesurer, est l’existence d’une immunité croisée liée à de fréquentes épidémies antérieures d’infections à coronavirus bénins (coronavirus des rhumes, rhinopharyngites et gastroentérites). Car il existe probablement des variations significatives d’un pays à l’autre à ce sujet.

Comment identifier clairement l'étape de propagation du virus à laquelle nous nous trouvons ?

Stéphane Gayet : Pour répondre à cette question, il faut intégrer l’état de morbidité et de mortalité de la population en rapport avec la CoVid-19 (les données sanitaires brutes) et les mesures préventives et curatives qui ont été prises pour la combattre.

Par exemple, on pourrait imaginer un pays où la première vague aurait été très peu sévère, alors que très peu de mesures préventives auraient été prises. Ce pays serait manifestement au préalable prémuni contre l’épidémie et il paraîtrait à l’abri d’une deuxième vague. Mais ce pays n’existe pas à notre connaissance.

Dans le cas de la France, nous avons été durement frappés par la première vague. Nous avons réagi en mettant en place tout un ensemble de mesures préventives, dont le confinement systématique et généralisé. Ce confinement a porté ses fruits et la première vague s’achève bel et bien. Le port du masque et le respect de la distance de sécurité semblent relativement bien acceptés. Certes, notre économie est sinistrée, mais la première vague se termine. On pourrait parler d’une sorte de victoire à la Pyrrhus (victoire, certes, mais beaucoup trop chèrement obtenue).

Aujourd’hui, les services d’accueil et d’urgences ne voient pratiquement plus aucun malade atteint de CoVid-19 et le nombre de malades hospitalisés pour CoVid-19 est en baisse significative. La situation parait donc bien maitrisée dans notre pays et c’est également le cas ailleurs.

On envisage de multiplier des sérodiagnostics de CoVid-19 (dosages d’anticorps dirigés contre le SARS-CoV-2), mais il n’est pas certain qu’ils soient bien au point. Il est fort possible qu’avec des tests dits de routine, il y ait beaucoup de faux négatifs (personnes qui ont un taux d’anticorps non détectable par le test, mais qui sont néanmoins immunisées). On ne peut donc pas connaître le vrai niveau de l’immunité collective, qui constitue pourtant le facteur déterminant essentiel. Et puis, il y a aussi l’immunité croisée, acquise du fait d’infections antérieures à des coronavirus bénins.

On sait de toute façon aujourd’hui que la CoVid-19 est une maladie immunisante et que les sujets qui font une forme paucisymptomatique s’immunisent correctement.

De surcroît, certains scientifiques avancent l’idée selon laquelle les enfants et les adolescents auraient une sorte de prémunition vis-à-vis du SARS-CoV-2 et qui pourrait découler des infections à répétition des voies aériennes supérieures dont la plupart d’entre eux sont atteints. Cette idée rejoint celle de l’immunité croisée.

Il y a somme toute plus d’arguments, du moins en France, en défaveur d’une deuxième vague significative, qu’en faveur de cette hypothétique deuxième vague.

Comment les évolutions du virus au sein d'autres pays peuvent-elles nous aider à nous préparer à une deuxième vague potentielle en France ? 

Stéphane Gayet : Les situations graves que l’on observe dans d’autres pays doivent nous inciter à la prudence, à la vigilance et au respect des mesures préventives. Il ne faut pas relâcher l’effort. Il faut continuer à porter un masque quand la situation le demande et à respecter le plus possible la distance de sécurité.

Nous ne sommes bien sûr pas à l’abri d’une deuxième vague et nous devons agir pour l’anticiper et l’éviter.

Ce débat sans fin « Deuxième vague ou pas ? » n’a pas beaucoup d’intérêt. La deuxième vague est toujours possible et ces épidémies nous surprendront toujours. Mais nous avons beaucoup appris de cette première vague, et si au moins les Français avaient compris que l’hygiène n’était pas la propreté ni la désinfection, mais un ensemble de mesures préventives pertinentes et bien ciblées, nous aurions beaucoup progressé.

En somme, il serait bien d’arrêter de vouloir répondre à la question de la deuxième vague, mais de faire en sorte qu’elle n’arrive pas et c’est possible. Contrairement aux raz-de-marée, la deuxième vague épidémique n’est pas une fatalité. Elle pourrait théoriquement être due à une mutation grave du virus (comme en septembre 1918), mais le coronavirus a un génome stable et protégé contre les erreurs de réplication. En d’autres termes, la survenue ou non d’une deuxième vague ne dépend pratiquement que de nous. C’est à nous de faire en sorte qu’elle ne survienne pas, et il est très probable qu’il n’y ait pas de deuxième vague – du moins significative – en France.

Maintenant, il reste un aspect inconnu : on ignore ce que peut produire la coexistence de l’épidémie grippale saisonnière (octobre à mars) et d’une deuxième vague de CoVid-19. Nous verrons ; surtout, préparons-nous.

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