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Le 4 juin 2020, un mois après l’ultimatum de Karlsruhe, la BCE déclare la guerre à l’Allemagne
©DANIEL ROLAND / AFP

Conséquences

Avec sa décision de « politique monétaire » du 4 juin, la BCE a donc choisi son camp. Cette décision aura des conséquences sérieuses : la sortie de l’Allemagne de la politique des achats d’actifs de la BCE dès l’été 2020, préfiguration du démantèlement de la zone euro telle que nous la connaissons.

Sébastien Cochard

Sébastien Cochard

Sébastien Cochard est économiste, conseiller de banque centrale. Il exprime ses vues personnelles dans Atlantico.

Twitter : @SebCochard_11

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Le choix de la BCE exprimé par sa décision du 4 juin est celui de poursuivre résolument et d’accélérer la monétisation de la dette engagée depuis 2015 (c’est-à-dire le rachat de la dette par la banque centrale et sa détention jusqu’à échéance), et ce malgré la sentence de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe le 5 mai dernier.

Ce choix de la BCE est le bon et le seul possible pour rendre la dette de la France soutenable, car les alternatives à la monétisation sont en réalité impossibles à mettre en place.

L’austérité budgétaire est « self defeating » : obtenir un surplus primaire de 3 à 4% du PIB, niveau qui serait en théorie requis pour réduire le ratio dette/PIB tue la croissance (le dénominateur du ratio) et réduit fortement les recettes fiscales, rendant d’autant plus difficile l’atteinte de l’objectif de surplus primaire. L’Italie connaît bien ce cercle vicieux puisqu’elle a réalisé une consolidation budgétaire double de celle de l’Allemagne depuis Maastricht ; en particulier l’Italie a réussi la performance d’obtenir 24 années de surplus budgétaires primaires sur les 25 dernières années (de l’ordre de 2% du PIB en moyenne dans la dernière décennie). Le résultat en est que le niveau de PIB de l’Italie, corrigé de l’inflation, est au même niveau en 2020 qu’en 2000 : croissance zéro et le ratio dette/PIB qui continue de croître inexorablement.

Le défaut, suivi d’une restructuration de dette avec un « hair cut », n’est pas non plus une solution envisageable. La dette française, actif sûr et liquide, est distillée partout dans les portefeuilles des investisseurs, sert de collatéral dans de nombreuses opérations financières et surtout constitue une part importante des détentions d’actifs des banques françaises… dont quatre d’entre elles sont d’importance systémique mondiale. Alors que ces mêmes banques avaient manqué de peu de disparaître suite au défaut de la Grèce, un défaut de l’Italie ou de la France aurait des répercussions terribles sur la stabilité financière mondiale.

En comparaison, la monétisation de la dette est ainsi « sans douleurs ». La banque centrale (à 80% la banque centrale nationale et 20% la BCE) fait marcher la planche à billet pour racheter le stock de dette existant et en conserver les titres jusqu’à échéance, ce qui revient de facto (si non de jure) à une annulation de cette dette. En fin d’année 2020, il est anticipé que BCE (pour 1/5) + Banque de France (pour 4/5) détiendront ainsi 40% du total de la dette française. Nous ne sommes pas des pionniers : la Banque du Japon détient actuellement 50% de la dette publique japonaise. La réserve fédérale américaine a adopté en avril un programme de QE sans montants plafonds et achète actuellement tout ce qui est émis, etc.

Mais la décision de la BCE entérine le franchissement irrémédiable des lignes rouges posées par Karlsruhe.

Alors que la BCE depuis 2015 avait violé l’esprit des traités (qui interdisent la monétisation) tout en prétendant en respecter la lettre, les juges constitutionnels allemands ont rattrapé l’institution de Francfort et demandent à ce que soient résolues les ambiguïtés de la zone euro. En particulier, la Cour établit une série de lignes rouges à ne pas dépasser pour que la BCE ne soit pas coupable de financement monétaire illégal :

  • Les montants totaux rachetés sont connus à l’avance ;

  • Seulement les informations agrégées sur les achats de l’eurosystème sont publiées ;

  • La limite de 33% par ligne d’émission (identifiable par son numéro ISIN) est respectée ;

  • Les rachats ont lieu en se conformant aux clefs de répartition du capital ;

  • Les titres de dettes des autorités publiques ne peuvent être rachetés que si l’émetteur a une qualité de signature qui lui donne accès aux marchés financiers ;

  • Les rachats doivent être restreints ou interrompus, et les titres de dette revendus sur les marchés, si la poursuite des interventions sur les marchés ne sont plus nécessaires pour atteindre l’objectif d’inflation.

Si la BCE se rangeait aux demandes de Karlsruhe, la monétisation deviendrait impossible. Les titres de dette français et italiens devraient non plus être détenus jusqu’à maturité mais remis sur les marchés et ces deux pays, pour éviter le défaut, n’auraient d’autre choix que de sortir de la zone euro afin de reprendre de contrôle de leur banque centrale et poursuivre la monétisation de la dette.

Mais la BCE a clairement choisi son camp et a explicitement piétiné quasiment toutes les lignes rouges de Karlsruhe le 4 juin dernier. La décision en question concerne d’ailleurs à la fois son programme pandémique (PEPP) ainsi que le QE précédent (APP), dont fait partie le PSPP jugé par Karlsruhe. Cette décision est une véritable déclaration de guerre :

  • Les programmes sont présentés comme sans fin prévisible, extensibles en tant que de besoin, et dont les enveloppes seront de toute évidence accrues au fil de l’eau.

  • La BCE rappelle sa politique de « souplesse » c’est-à-dire de s’affranchir « temporairement » de la limite de 33% (qui est le seuil de minorité de blocage lors d’une restructuration de dette –la BCE ne doit pas dépasser ce seuil pour ne pas être en mesure d’autoriser un « hair cut », qui revient à du financement monétaire) ainsi que de s’affranchir « temporairement » des clefs de répartitions nationales.

  • Il est explicité que la BCE n’a bien sûr aucune intention de revendre les titres de dette qu’elle a acquis. La BCE prévoit donc que les titres arrivés à maturités seront remplacés par d’autres afin de maintenir les encours.

L’Allemagne d’une part, la France et l’Italie de l’autre, ne peuvent donc plus cohabiter au sein de la même union monétaire.

Les instructions de Karslruhe sont claires : si en date du 5 août la BCE n’a pas adopté une nouvelle décision qui démontre de manière claire et étayée que sa politique de rachats d’actifs n’est pas une politique économique déguisée mais est proportionnée à son objectif d’inflation (dont elle ne parvient en rien à s’approcher), la Bundesbank doit se retirer du PSPP et commencer à vendre les titres de dette allemande acquis dans le cadre de ce programme. L’Allemagne va donc sortir de cette politique monétaire commune de rachats d’actifs. Au moins le PSPP dans un premier temps –mais son prolongement le PEPP est encore plus directement coupable.

L’Allemagne sera très à l’aise dans ce nouveau contexte. Elle ne participera plus à ces programmes « illégaux » qui choquaient la conscience ordolibérale allemande figée dans une compréhension pré-keynésienne sinon préhistorique de la macroéconomie. Suite à la vente (progressive) des centaines de milliards d’euros de Bunds acquis dans le cadre du PSPP, les taux d’intérêts de marché vont enfin remonter pour le plus grand bonheur des épargnants allemands. A moins que les italiens et autres investisseurs ne se précipitent pour les racheter, accroissant ainsi les déséquilibres de la balance Target 2, ce qui inciterait les allemands à instaurer un contrôle des capitaux.

Après que la BCE ait franchi le Rubicon, un « Limes » va ainsi se créer entre l’Allemagne et les autres membres de la zone euro. A moins que Pays-Bas, Autriche, Finlande et quelques autres balto-hanséatiques ne rejoignent très vite l’Allemagne dans son confinement contre le virus de la planche à billet.

Si le jugement de Karlsruhe a initié le démantèlement de la zone euro, la décision de politique « monétaire » de la BCE du 4 juin a dessiné le contour possible de cette désintégration : une séparation entre une zone euro-sud et une zone euro-nord.

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