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Alliances aux municipales : un grand moment de clarification politique... ou pas
©Romain GAILLARD / POOL / AFP

Cherche nouveau clivage désespérément

Comme le constatait Olivier Faure, les alliances LREM-LR parachèvent la mutation du ni droite, ni gauche d’En marche vers la réinvention d’un centre-droit. Mais l’échiquier politique français s’en trouve-t-il vraiment si clarifié ?

Gilles Clavreul

Gilles Clavreul

Gilles Clavreul est un ancien délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Il a remis au gouvernement, en février 2018, un rapport sur la laïcité. Il a cofondé en 2015 le Printemps Républicain (avec le politologue Laurent Bouvet), et lance actuellement un think tank, "L'Aurore".

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Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. Il a également publié en 2022 La vraie victoire du RN aux Presses de Sciences Po. En 2024, il a publié Les racines sociales de la violence politique aux éditions de l'Aube.

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Atlantico.fr : Comme le constatait Olivier Faure au micro de franceinfo mercredi, les alliances LREM-LR parachèvent la mutation du ni droite ni gauche d’En marche vers la réinvention d'un centre-droit. Mais l'échiquier politique français s'en trouve-t-il vraiment si clarifié ?

Les alliances entre En Marche et Les Républicains pour les Municipales sont-elles une surprise ? Qu'indiquent-elles quant à la nature du parti présidentiel ?

Maxime Tandonnet : Ces alliances ne sont pas généralisées et ne procèdent d’aucun accord d’état-major national.  Elles interviennent dans quelques villes, notamment à Bordeaux, Clermont-Ferrand, Strasbourg pour éviter une victoire verts-gauche. La preuve qu’elles n’ont pas de caractère politique national : à Lyon, le soutien de M Collomb au candidat LR lui a valu d’être sanctionné par le parti macroniste qui lui a retiré son investiture. Il me semble que ces quelques alliances sont pourtant révélatrices de beaucoup de choses. Elles marquent l’effondrement de LREM qui n’a pas réussi son implantation locale et se raccroche à ce qu’il peut dans un mouvement désordonné. Elles sont sans doute le signe de l’agonie en cours de ce parti champignon dont l’existence est liée à l’élection du président Macron, et qui peut disparaître aussi vite qu’il est apparu. Elles montrent que localement, en province, les sympathisants LREM souvent des notables, sont idéologiquement plus proches de LR que d’une alliance gauche-vert.  Quelques rares exemples inverses, d’alliance LREM verts-gauche existent aussi, comme à Dreux. Tout cela montre que ce parti, qui n’existe que du fait de l’élection de 2017, est privé de toute colonne vertébrale et de cohésion. Son extinction est désormais probable. 

Gilles Clavreul : Non, elles consacrent l’incapacité d’En Marche à faire émerger des candidatures crédibles, sauf pour des élus déjà bien implantés comme Gérald Darmanin ou Edouard Philippe. Soit LREM a acté dès avant la campagne qu’elle n’avait de toute façon aucune chance et a investi un maire sortant, comme à Toulouse avec Jean-Luc Moudenc, soit elle a dû faire le constat de son échec au premier tour, comme à Bordeaux et, dans un contexte très particulier, à Paris. Le déplacement progressif du centre de gravité de la majorité présidentielle depuis trois ans rendait difficile que des alliances fussent conclues avec des partenaires de gauche. C’est donc logiquement et faute d’alternative que des candidats LREM se sont tournés vers des candidats LR lorsque c’était possible.

Cela marque clairement les limites du positionnement « et de droite, et de gauche » voulu par Emmanuel Macron, possible dans un moment de décomposition dont il a su pleinement tirer parti, mais qui devient difficile à tenir dans la durée si une recomposition ne se produit pas. Elle aurait pu se produire s’il avait réussi à manger la droite, mais finalement celle-ci résiste plutôt bien. D’où un risque d’UDFisation du macronisme, en effet.

Luc Rouban : Pour commencer, il faut bien constater que le premier tour des municipales a été un échec pour LREM. D’autre part, il faut aussi constater l’impasse dans laquelle se trouve le macronisme aujourd’hui. LREM va devoir se redéployer. Il y a deux contraintes fortes : la première est de sauver les meubles au second tour : à Strasbourg, réparer le désastre à Paris, le fait que Collomb a passé un accord avec LR et puis a été désavoué etc. En somme, il y a eu deux temps : d’abord le temps des stratégies lisibles de LREM aux municipales et tout le jeu des candidats assez peu clair sur les nuances de LREM. Le parti a essayé de se fondre dans le divers gauche ou divers droite : cela leur a coûté cher parce qu’aujourd’hui avec la crise on voit réapparaître le clivage gauche-droite. En réalité, ils sont demandeurs d’alliances à droite et gauche : on l’a vu à Bordeaux et à Strasbourg. 

D’autre part, les maires sortants républicains ont eu de beaux résultats dès le premier tour : 50% des maires de droite ont été réélus dès le premier tour, 41% à gauche mais ils sont plutôt victime de la fragmentation de l’offre électorale à gauche.

Le deuxième tour va être l’occasion d’une nouvelle donne de la vie politique. Il faut réfléchir par rapport au premier tour. Au premier tour, on a vu apparaître une relocalisation des élections municipales. On a vu émergé les listes citoyennes et une importante demande de renouvellement de la démocratie, notamment au niveau local. Même au-delà de la sanitaire, tout cela reste inscrit à l’horizon politique, surtout avec la réussite assez remarquable des écologistes dans certaines villes (Lyon, Bordeaux etc.) Du côté de la gauche, il y a des occasions de nouvelles alliances socialiste-écologistes qui ont l’air de bien fonctionner (Nantes, Paris, Rennes, Toulouse). Il y a donc, notamment à gauche, la recherche de ces alliances pour compenser la fragmentation parfois trop forte, notamment à Montpellier où il y a trop de candidats et où les jeux sont trop ouverts. Cette recomposition de l’offre électorale du côté de la gauche et de l’écologie est en train de se jouer pour le second tour.

Du côté de la droite, LR sont plutôt en position de force. Finalement, François Bayrou et le Modem sont aussi en position de force et pas seulement aux élections municipales mais aussi parce que LREM n’a plus majorité à l’Assemblée nationale. Bayrou va donc pouvoir négocier son appui et a un bras de levier pour obtenir des concessions. Il ne faut pas oublier non plus que certains maires communistes ont bien résisté au premier tour (en Seine Saint-Denis par exemple) et que le succès du RN n’est pas négligeable : Louis Alliot a fait une percée à Perpignan. On a une situation qui ressemble en fait progressivement à celle de l’ancien monde

Les accords tacites et autres alliances se multiplient sur l'échiquier politique, à gauche comme à droite. Ce renouvellement des clivages clarifient-ils les différentes tendances politiques ou ne fait-il qu’accroître la confusion ?

Maxime Tandonnet : Ces accords pourraient s’interpréter comme étant révélateurs d’une évolution en profondeur de la politique française. Celle-ci, longtemps dominée par la bataille droite/gauche, évoluerait vers un retour à un système de « troisième force », comme aux débuts de la Quatrième République c’est-à-dire une force centrale, composée de LR et de LREM, combattue à la fois par la gauche (une alliance Insoumis-Verts-PS) et par la droite (RN).  Ce schéma est cependant peu probable. Il suppose des ententes nationales qui n’ont rien d’évident, notamment entre PS et Insoumis qui ne se supportent pas, entre LR et LREM alors que des différences nombreuses les séparent en tout cas une partie de LR sur la sécurité, la maîtrise de l’immigration, la vision de la nation et de l’Europe. Et puis surtout, le système politique français est fondé sur un gigantesque aléa : l’élection présidentielle repose sur une émotion collective, étouffant le débat d’idées et de projet cohérent. Face à elle les partis, les programmes et jeux d’alliances sont réduits à un rôle secondaire. Cette élection présidentielle devient une affaire médiatique, avec une dizaine de candidats possibles, déconnectée de la vie des partis qui risque de s’enfoncer toujours plus dans le chaos. Demain, on aura un président sans parti ni majorité présidentielle. Peu importe : il ne sera plus là pour gouverner ni légiférer mais pour pavoiser. Dès lors, à quoi servirait une majorité ? 

Gilles Clavreul : La situation est étrange : jamais le pouvoir n’avait été si centralisé entre les mains de l’exécutif, poussant la logique de la Vème République à son extrême limite ; et en même temps le jeu politique se fragmente comme sous la IVème, en témoigne la création d’un 9ème puis d’un 10ème groupe à l’Assemblée nationale. Le clivage gauche-droite semble se réformer, mais sur quels critères ? Les résultats des municipales vont certes faire évoluer les rapports de force, au bénéfice de LR et des écologistes principalement, dans une moindre mesure au profit du PS et des communistes qui feront mieux que résister, mais ils n’apporteront pas de clarification sur le plan des idées et des projets ; les prises de position sur le « monde d’après », très contradictoires de part et d’autre, que ce soit sur la place de l’Etat, la transition écologique ou le projet européen, le montrent bien. On voit par exemple la droite hésiter entre une ligne libérale traditionnelle et des marqueurs plus interventionnistes, voire protectionnistes, en matière économique. De façon assez frappante, le « travailler plus pour gagner plus », le slogan populaire et fédérateur de Sarkozy, n’est repris que du bout des lèvres par les ténors de la droite. A gauche, si la thématique écologique semble s’imposer, il n’est pas sûr que tout le monde au PS et à la France Insoumise achète la ligne « décroissante » que certains voudraient pousser, à EELV ou à Génération.s. Sur les questions régaliennes et culturelles, les clivages sont plus marqués encore, y compris au sein de chaque formation : François Ruffin par exemple, est beaucoup plus prudent que sa formation sur la question des « violences policières » ; idem sur la laïcité. La tribune récemment publiée dans l’Obs a ainsi recueilli un grand nombre de signatures, mais sur une plate-forme minimaliste. Mais le parti qui a le plus à perdre à une éventuelle clarification, c’est LREM. Au vu de la grogne suscitée par les accords municipaux avec la droite, on pourrait dire à première vue que c’est la nervure droite-gauche qui réapparait. A y regarder de plus près, d’autres clivages jouent : par exemple à travers le reproche adressé au gouvernement d’être trop technocratique, centralisateur et parisien. Même chose sur les questions de société, le débat sur la PMA le montre. Une problématique a d’ailleurs traversé tous les partis et bousculé les repères traditionnels durant le confinement : c’est la dialectique liberté/protection. Des intellectuels comme François Sureau s’en sont emparés ; mais les politiques ont été sur des charbons ardents à ce sujet.

En somme, la recomposition espérée ou promise tarde en fait à se mettre en place. En promettant de « se réinventer », le Président de la République garde cependant l’avantage que les institutions de la Vème lui offrent : c’est lui qui est en situation de donner le « la » en proposant quelque chose…au risque toutefois, s’il s’engage sur une voie à la fois plus étatiste, plus sociale et plus écologiste comme certains lui en prêtent l’intention, de déconcerter une fois de plus sa majorité, dont l’alchimie première est davantage « libérale-sociale », et d’aller sur des terrains ou certains de ses opposants, de droite comme de gauche, seront pour une fois plus à l’aise que lui.

Reste une hypothèque, que les municipales ne lèvent pas : le surgissement populiste, à partir de l’existant RN, ou sous une forme inédite. Les ingrédients sont là, le pays apparait très fracturé et la crise économique gigantesque qui vient n’arrangera rien. Les petites recompositions-consolidations auxquelles nous assistons en ce moment risquent d’être vite oubliées si ce surgissement intervient.

Luc Rouban : Comme c’est souvent le cas avec le jeu des alliances, on va voir réapparaître deux blocs : la droite et la gauche avec le RN à la périphérie. Le clivage est clair puisqu’il s’appuie sur des politiques municipales fortement différenciées. Jusqu’à présent, le macronisme reposait sur un discours de pragmatisme managérial droite-gauche. Lorsqu’on aura des municipalités avec des alliances PS-ELV, on pourra assister au lancement de politiques environnementales etc. Certaines municipalités feront aussi des efforts sur les dépenses municipales avec des mesures relevant davantage de la droite libérale. Le clivage, brouillé sur la carte, va donc se dissoudre et apparaître clairement dans les politiques municipales.

Tel est le problème pour le macronisme : on voit réapparaitre des formules politiques qui seront différentes et qui seront des laboratoires pour 2022. On sort de l’idée qu’il y avait un consensus mou qui était le fond de commerce du macronisme. On peut s’attendre à des expériences municipales intéressantes à suivre, comme à un lendemain de guerre en quelque sorte, sauf que ces expériences concerneront surtout les sujets environnementaux et celui du développement durable. Derrière toute cette nouvelle donne politique, il y a l’idée que le macronisme a échoué dans la crise sanitaire en s’appuyant sur la verticalité de l’Etat. C’est d’ailleurs la différence entre l’Allemagne et la France. L’enjeu concerne maintenant la centralisation qui est mise à mal : on va vers des différenciations plus fortes au sein des municipalités et on voit réapparaître des formules politiques différentes. 

Plus généralement, qu’il s’agisse de négocier et modifier les traités européens ou d’agir pour le climat en assumant l’impact social, pourquoi est-il si délicat d'initier un changement dans la société actuelle ? Cela s'applique-t-il aussi à l’échiquier politique ?

Maxime Tandonnet : Parce que de monde moderne est d’une complexité inouïe. L’élection présidentielle donne lieu à une surenchère de promesses ou de slogans destinés à séduire l’électorat. Par exemple le thème de la « transformation de la France ». Mais elle repose sur une monumentale imposture. Les contraintes à l’exercice du pouvoir national sont aujourd’hui titanesques :  jurisprudence du Conseil constitutionnel et des autres juridictions nationales et européennes, transferts à l’union européenne (monnaie, concurrence, commerce, etc), décentralisation, contraintes financières, résistance de la société, médiatisation. Aucun président de la République n’a les moyens de « transformer la France ». Dès lors, les chefs de l’Etats élus n’ont pas d’autre solution que de se livrer à une communication à outrance et de jongler avec les illusions pour compenser la déception de leurs promesses non tenues et espérer ainsi être réélus. C’est la cause profonde de l’effondrement du système des partis. A quoi bon bâtir des projets dès lors que la politique est réduite à l’impuissance et à la fuite dans la posture et la communication. De fait, ces alliances sont en trompe-l’œil. Elles ne marquent en rien une clarification mais vont dans le sens d’une décomposition politique qui se poursuit avec des partis qui n’ont plus d’idées et plus de projets.

Gilles Clavreul : Parce qu’il n’y a plus de respiration démocratique, de va-et-vient entre représentants et représentés. La dislocation des partis et des corps intermédiaires provoque l’atomisation du corps social et empêche toute communication, ascendante et descendante, entre le pouvoir et les citoyens. Dès lors, toutes les initiatives du pouvoir sont frappés d’une présomption d’illégitimité, parce que les dirigeants ne sont pas perçus comme des représentants, seulement comme des patrons tantôt séducteurs, tantôt autoritaires, mais peu en phase avec les attentes des représentés. Plus on descend dans l’échelle des revenus et des diplômes et plus ce sentiment de ne pas être représenté est fort. Cela fait un long moment que les gouvernants successifs se sont illusionnés en caressant un mirage techniciste : nous allons faire les bonnes réformes, et ainsi les Français constateront que nous avons agi pour leur bien. Mais, même quand les réformes sont bonnes, cela ne marche pas comme cela !  Le préalable, qui est la fonction par excellence du politique, c’est d’instituer la société, de faire que les citoyens, par-delà les clivages, se sentent participer d’un destin commun. Là-dessus, il faut bien reconnaître que personne n’a trouvé la solution…Au risque de laisser de l’espace à une aventure populiste.

Luc Rouban : Il risque d’y avoir une réaffirmation du clivage droite-gauche mais dans un contexte différente. L’écologie va prendre davantage de place, la recherche d’une démocratie locale sera toujours plus forte et la volonté de renforcer l’échelon municipal face à l’appareil d’Etat. On va jouer un autre jeu, assez différent parce qu’il y a dans le fond l’idée - et c’est une des grandes leçons de la crise sanitaire - qu’il y a un déficit de confiance dans les institutions françaises qui a beaucoup handicapé gouvernement. On partait déjà d’un niveau de confiance très bas et ce malaise démocratique ne fait que perdurer et amplifier les problèmes. C’est au niveau municipal que les choses vont se reconstituer. Affaire à suivre.

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