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Dans les coulisses du plan de la Silicon Valley pour faire échouer l’élection de Donald Trump
©POOL / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Promesse (ou caprice ?) de milliardaires

Le conflit entre Donald Trump et Twitter a souligné l'hostilité de la Silicon Valley envers le président américain. Ce rapport conflictuel entre les conservateurs et la Silicon Valley a-t-il toujours existé ? Quelle est l’influence des réseaux sociaux sur les élections américaines ?

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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Atlantico.fr : La Silicon Valley a une haine viscérale de la personnalité de Trump et il leur rend bien. Le conflit entre Trump et Twitter en est un bon exemple. Dans l’histoire politique américaine, ce rapport conflictuel entre la Silicon Valley et les conservateurs a-t-il toujours existé ?

Gérald Olivier : Ce conflit n’est pas nouveau mais il a pris cette semaine une dimension nouvelle. 

Au-delà d’un parti-pris anti-conservateur incontestable au sein des réseaux sociaux, la vraie question est celle de comment les acteurs de la Silicon Valley gèrent la liberté d’expression, dans son ensemble. 

Le paradox vient du fait que les « plateformes » comme Facebook , Youtube ou Twitter sont considérés par la loi comme neutres et non responsables du contenu qu’elles diffusent, puisque ce contenu provient des utilisateurs. A l’opposé des médias classiques, les journaux ou les chaines de télévision, sont tenus de pouvoir démontrer ce qu’ils avancent, et sont donc plus prudents dans leurs articles (d’où l’importance des sources pour un article). Ils ne donnent pas la parole à n’importe qui, alors que sur Internet n’importe qui peut prendre la parole. 

En conséquence Internet devient le lieu de tous les excès et par un système de surenchère naturelle c’est celui qui crie plus fort que les autres qui est entendu. Internet est une machine à générer les excès et le problème de ses dirigeants est de parvenir à contrôler ces excès, ou au moins à les contenir.  

Jusqu’à présent les fournisseurs de « plateforme » comme Twitter, Facebook, Youtube  ou Google, cherchaient à réprimer les propos les plus outranciers, non pas à cause du contenu de tels propos, mais pour éviter que le législateur n’intervienne et ne le fasse à leur place. Ils cherchaient à se policer eux-mêmes, pour garder leur liberté, en essayent de ne pas prendre trop ouvertement parti. 

Twitter a franchi cette limite en estampillant de manière autoritaire deux tweets du président. D’abord un tweet où Trump mettait en garde contre le vote par correspondance « parce qu’il entraine des fraudes » ; puis un tweet où il condamnait les « voyous », en train de piller la ville de Minneapolis,  en disant que « quand le pillage commence les coups de feu suivent » (when the looting starts, the shooting starts). Dans les deux cas, Twitter décida d’accompagner ces Tweets de mises en garde, pour « potentielle distortion de la vérité» dans le premier cas et pour « incitation à la violence » dans le second. 

Trump n’a pas du tout apprécié que sa parole soit ainsi encadrée et remise en cause. D’autant que dans le second cas son tweet n’était pas du tout un appel à la violence mais au contraire  un appel au calme et une condamnation des émeutiers… 

Les autres acteurs de la Silicon Valley ont aussi jugé le procédé excessif. Marc Zukerberg est intervenu pour dire que les plateformes ne pouvaient pas agir comme « les arbitres de la vérité ».  Zuckerberg a senti le danger derrière l’action de Twitter, c’est que le Congrès ou l’administration interviennent pour rétablir une forme d’équité et qu’un encadrement législatif ne vienne priver tous ces acteurs de ce qui a fait leur fortune, un accès aussi  libre que possible à leurs services… 

Et c’est exactement ce qui s’est produit, car vendredi le président Trump a répliqué à Twitter 

En signant un décret qui remet en cause l’immunité et l’indépendance des plateformes Internet. Sa décision ne fait pas l’unanimité, même dans son propre camp. Car les conservateurs sont divisés sur la question. Certains estiment qu’une telle mesure conduira à des abus de la part du parti au pouvoir et qu’il est toujours préférable dans le flot des informations de laisser les citoyens faire leur propre choix… 

Quel rôle a pris la Silicon Valley dans l’opposition aux Républicains ? Quelle est l’influence des réseaux sociaux sur les élections américaines ? 

La Silicon Valley joue deux rôles en fait. Un premier rôle en terme de véhicule d’opinions, et dans ce rôle elle est largement anti-conservatrice ; et un second rôle beaucoup plus discret en tant que contributeur financier aux campagnes politiques et dans ce rôle elle est plus équitable qu’on ne pense, mais elle ne veut pas que ça se sache. Elle sait ménager la chèvre et le chou en quelque sorte. 

Trump et les Républicains rejettent les règlementations, parce qu’elles freinent l’innovation et donc réduisent la croissance économique. Trump depuis son entrée à la Maison Blanche  a agi comme un grand « dérégulateur ». Pour les réseaux sociaux, il a été une caution de liberté, sa politique les préserve, donc il n’est pas si néfaste que cela. 

Par contre les ingénieurs et les salariés de la Silicon Valley, les « nerds » ou les « geeks » comme les appelle Trump, sont très majoritairement des « progressistes », voire des radicaux. Sans forcément en avoir conscience. Ils constituent un exemple frappant de science sans conscience. Ils ne s’interrogent pas sur les conséquences sociologiques de ce qu’ils inventent. Ils sont aussi géniaux en maths, qu’ignorants en histoire, géographie ou littérature, Il n’y a aucune remise en question de leur part,  ni prise de recul. Tout juste un sentiment anti-système. Car Internet est percu par ses créateurs et acteurs comme un espace de liberté, épargné par les préjugés sociaux. Le problème est qu’ils ne perçoivent pas leurs valeurs comme de simples opinions subjectives auxquelles on peut opposer d’autres opinions subjectives. Ils sont persuadés de détenir la « vérité » et d’appartenir au camp du « bien ». L’idée, par exemple,  qu’il puisse exister d’autres idéologies que celle des droits de l’Homme ne leur effleure pas l’esprit. Elle est inconcevable. Les droits de l’homme, ou les « droits humains » pour utiliser un vocable inclusif,  sont pour cette génération un dogme, une loi non écrite de l’univers. Tous ceux qui ne partagent pas ce point de vue, sont des méchants qu’il faut combattre et donc réduire au silence. 

Pour ce qui est de l’élection présidentielle de 2020, Trump sait qu’il ne remportera pas l’Etat de Californie, et ses 55 voix au Collège électoral en novembre. Ni lui ni aucun autre candidat Républicain ne le peut actuellement. Mais la Californie n’est qu’un Etat, il y en a 49 autres. Ce n’est pas la Silicon Valley qui fait l’élection et d’une certaine façon ses acteurs agissent comme un repoussoir, une force mobilisatrice pour le camp adverse. Quand Trump s’attaque à la Silicon Valley, il parle surtout à sa base et il a conforte. 

Par ailleurs, et c’est une ironie qui déplait aux dirigeants de la Silicon Valley, Trump est un utilisateur très adepte des réseaux sociaux. Il profite d’eux. Twitter lui offre un porte-voix sans équivalent. Il touche son public, en direct, sans passer par le filtre des médias traditionnels qui sont contre lui et détournent ses propos.  Trump ne serait peut-être pas devenu président sans Twitter… En même temps, Trump attire les utilisateurs vers la plateforme. Il a 85 millions de « followers ». C’est moins qu’Obama (120 millions) mais c’est pas mal.  Twitter a besoin de Trump autant que Trump a besoin de Twitter. 

Michael Moe, PDG de GSV Capital est un des rares partisans de Trump dans la Silicon Valley. Il a déclaré que Twitter ne devrait pas se charger d’arbitrer les litiges des politiciens. La Silicon Valley ne sort-elle pas de sa nature d’entreprise pour devenir une agence politique ?

Michael Moe a pressenti le même piège que Marc Zuckerberg. Les plateformes ne peuvent pas être juges et partis. Et si elles agissent comme tels elles s’attireront les foudres des politiques et elles en paieront le prix, en perdant leur indépendance. 

Si Twitter décide de sanctionner le président des Etats-Unis, il va devoir sanctionner tout le monde, car Trump n’est pas le seul à publier des approximations et des fausses vérités. Tous les acteurs politiques, et surtout les millions d’utilisateurs anonymes, expriment leur point de vue dans leurs tweets. Ils privilégient la prise de position à l’objectivité. Ce qui est d’ailleurs ce que leur « suiveurs » attendent d’eux. On s’abonne à un compte Twitter  parce qu’on y retrouve « sa » vérité. Et il ne faut jamais perdre de vue que ce n’est que « sa » vérité et non pas « la » vérité. 

Twitter est un diffuseur d’opinions, et à sanctionner arbitrairement les opinions qui lui déplaisent, il perdra sa raison d’être. C’est donc une pente très glissante sur laquelle Jack Dorsey a engagé sa société. 

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