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Face à la crise économique violente et les critiques, Riyad accélère son projet de ville pharaonique "NEOM"
©FAYEZ NURELDINE / AFP

Mirage ?

Sébastien Boussois décrypte les enjeux du projet NEOM de l'Arabie saoudite dont l'objectif est de bâtir une ville tentaculaire de 17.000 km2 (200 fois la taille de Paris).

Sébastien  Boussois

Sébastien Boussois

Sébastien Boussois est Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l'OMAN (UQAM Montréal) et consultant de SAVE BELGIUM (Society Against Violent Extremism). Il est l'auteur de Pays du Golfe les dessous d’une crise mondiale (Armand Colin, 2019), de Sauver la mer Morte, un enjeu pour la paix au Proche-Orient ? (Armand Colin) et Daech, la suite (éditions de l'Aube).

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Le projet de l’Arabie Saoudite de faire émerger du désert saoudien, à la frontière d’Israël, de l’Égypte et de la Jordanie, une ville tentaculaire de plus de 17 000 km2, soit 200 fois la taille de Paris, serait l’une des plus grands réussites du prince héritier Mohamed Ben Salmane. Elles sont rares à l’heure actuelle pour être soulignées, mais cela pourrait sauver la réputation de ce dernier tant le projet paraît futuriste même si un brin mégalomaniaque. Mais la poursuite de ce projet a-t-il seulement un sens dans le contexte de crise mondiale et de crise économique particulière que traverse le pays ? A l’image des dernières annonces d’achat tous azimuts de sociétés de divertissement comme Live Nation Entertainment le mois dernier ou de nombreuses prises de participation dans des médias européens ces dernières années comme The Independent, Sky News, le pays poursuit sa tentative  de diversification de son économie, afin de faire de ce projet phare de la fameuse Vision 2030 « le projet le plus ambitieux du monde » comme le défendent ni plus ni moins les officiels saoudiens.

Pourquoi le prince héritier, Mohamed Ben Salmane, cherche-t-il à tout prix à accélérer et mettre en avant en ce moment le projet de NEOM, Neo comme neuf, Mouktabal comme futur, alors que son déficit public atteint des records avec 50 milliards de dollars financé à 40% par des émissions de dette[1], et que le prix du baril de brut, sa première richesse, est même passé en dessous les 0 dollars le mois dernier ? Car Riyad dispose d’un atout-maître : son fonds souverain de 2000 milliards de dollars. Mais cela ne suffit pas : il faut attirer les investisseurs internationaux pour rendre le projet viable. Déjà en 2017, une vidéo promotionnelle cherchait à séduire car la ville va coûter très cher : 500 milliards de dollars. Il faut dire qu’il va falloir remplir un tel espace désertique tentaculaire et surtout le rendre vivable : tout y serait déjà prévu côté nouvelles technologies, énergie verte et éoliennes, agriculture verticale, intelligence artificielle, livraisons par drone, taxis volants, robots gladiateurs et de surveillance, résidences de luxe et industries de pointe cohabiteront, nouvelles formes d’éducation, etc.

NEOM tombe à point nommé pour apporter de l’eau au mirage de Mohamed Ben Salmane : l’image du pays est détestable, la guerre au Yémen a fait plus de 100 000 morts, les droits de l’homme fondamentaux ne sont toujours pas respectés malgré les espoirs suscités à son arrivée. De plus, Riayd est accusée récemment par les USA, son allié numéro un, d’avoir délibérément augmenté sa production de brut en pleine pandémie, causant la chute des prix et aggravant la crise économique à venir. Et l’affaire Khashoggi en 2018 et les multiples crises diplomatiques ont déjà provoqué des retards conséquents dans les chantiers de NEOM. A ce jour, il y a un aéroport, une cité industrielle, et plusieurs palaces en cours de construction. A ce rythme, cela risque de prendre bien plus de temps que prévu, et donc d’argent.

Comment attirer les investisseurs malgré tout avec une telle situation et peu d’espoirs d’une libéralisation du pays avant des années ? En nommant un européen, Klaus Kleinfield, chef de chantier, qui prévoit toujours la fin de la première partie des travaux en 2025, le message est clair : l’Arabie Saoudite ne peut pas faire sans les Occidentaux pour donner une crédibilité à son projet, ne serait-ce que d’un point de vue architectural comme l’ont souvent fait les pays du Golfe ; de plus, c’est un bon moyen aussi de rassurer et attirer les investisseurs du monde entier afin de permettre de boucler le budget du projet. A terme, NEOM pourrait tout de même rapporter 100 milliards par an au Royaume, à condition que le pays s’ouvre réellement enfin au tourisme. Alors qu’en effet, le pays est encore largement plongé dans l’archaïsme sociétal, au grand désespoir des jeunes saoudiens qui sont l’avenir du pays, le site de la ville à venir présente NEOM comme « Une vision de ce à quoi pourrait ressembler un jour le Futur » ; Et en homepage du site, il est écrit ostensiblement comme argument de vente supplémentaire : « Un accélérateur du progrès humain ». Le prince héritier, sait que le monde a besoin de culture, de rêves, et de jeux. Et la culture a toujours été un bon moyen de ne plus parler politique. En attendant, la construction de NEOM a déjà nécessité le déplacement de près de 20 000 membres de la tribu Huwaitar, des bédouins du désert, et des pêcheurs de plusieurs villages côtiers. Mais en avril dernier, le principal opposant au régime contestant l’expulsion de ces derniers par le gouvernement, Abdul Rahim Al-Huwaiti, a été purement et simplement tué par les forces de sécurité saoudiennes.


[1] Surtout du au coût faramineux de la guerre au Yémen menée depuis cinq ans. 

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