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Libye : la pâtée pour les mercenaires russes ?
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"Opération dignité"

Alain Rodier décrpyte la situation en Libye et évoque le rôle de mercenaires russes lors de l'offensive menée par le maréchal Haftar.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Il y a un an, le maréchal Khalifa Haftar lançait la dernière étape de son "opération dignité" destinée à s’emparer de la capitale libyenne afin de s’installer sur le fauteuil présidentiel. Pour ce faire, il était épaulé par le Émirats Arabes Unis (EAU), l’Égypte, plus discrètement par l’Arabie saoudite et, surtout, par la Russie. Moscou voulant garder une discrétion de bon aloi, n’a rien trouvé de mieux que dépêcher des sociétés de mercenaires - dont le célèbre "groupe Wagner" - pour épauler l’Armée Nationale Libyenne (ANL) d’Haftar. Pour une fois, le président Poutine s’est trompé. Il aurait dû revoir ses classiques historiques sur le continent africain. Les mercenaires ont certes fait la "une" de la presse ( avec les "figures" de Roger Louis Faulques, Bob Denard, Jean Schramme, Rolf Steiner, Eeben Barlow et Lafras Luitingh, ces deux derniers ayant fondé le société militaire privée sud-africaine Executive Outcomes) mais le résultat de leur engagement s’est toujours terminé par une catastrophe. Pour réussir en Afrique, il faut engager les forces régulières (même si elles sont dites "spéciales"), c/f l’intervention des Cubains en Angola en 1975. Certes en Syrie, Poutine a envoyé la société Wagner mais l’épine dorsale du dispositif russe dans ce pays est toujours resté l’armée régulière surtout représentée par l’aviation militaire, la Marine de guerre et quelques unités de Spetsnaz.

Après quelques succès initiaux dus à la surprise, l’offensive de l’ANL a constitué une déroute qui a commencé avec la perte de Syrte en janvier 2020 puis en avril des villes côtières de Sabratha et de Sorman situées à quelques 70 kilomètres  à l’ouest de la capitale, puis en mai de la base aérienne d’Al-Watiya à 140 kilomètres au sud-ouest de Tripoli que les forces pro-Haftar tenaient depuis 2014. Depuis, c’est la panique dans le camp Haftar, les mercenaires du groupe Wagner (et d’autres, le total étant évalué à quelques 1.500 "contractors") s’enfuyant vers la base militaire de Bani Walid située plus au sud. Depuis le 25 mai, des avions de transport An-32 russes les exfiltreraient du pays après que le président Poutine ait négocié ce retrait sans gloire en liaison avec son homologue turc, Recep Tayyip Erdoğan qui, lui, soutient le Gouvernement d’Unıon Nationale de Tripoli reconnu par la communauté internationale. Pour ce faire, il est épaulé financièrement par le Qatar et par ses propres mercenaires syriens recrutés au sein des rebelles au régime de Bachar el-Assad. Il a pris la précaution de les faire étroitement encadrer par des hommes des forces spéciales turques et des services secrets (MIT). Il convient de ne pas se faire d’illusions : la Turquie et le Qatar ne font que représenter les intérêts des Frères musulmans qui espèrent établir en Libye un territoire à leur botte après les échecs subis en Égypte, en Syrie et même en Tunisie.

À situation désespérée, solution extrême. Le ministre libyen de l’Intérieur, Fathi Bashagha, a affirmé le 21 mai que "la Russie a livré à Khalifa Haftar au moins six chasseurs-bombardiers Mig-29 et deux Su-24 à partir de sa base à Hmeimim en Syrie". Selon Washington, ce seraient une vingtaine d'appareils russes qui auraient été fournis à partir du 20 mai profitant de leur escale en Syrie pour être repeints aux couleurs libyennes. Ils auraient été escortés par deux Su-35 lors de leur déplacement vers les aérodromes de Tobrouk et d’al-Jufrah pour soutenir l’ANL. Haftar menace de s’en servir pour bombarder ses adversaires mais aussi les "intérêts turcs". Il reste à savoir quels sont les personnels (pilotes, maintenance, etc.) qui vont être à l’œuvre (pour les services de renseignements Américains et les Israéliens, les avions ont été pilotés jusqu'en Libye par des Russes). De plus, il convient d’avoir le kérosène et les munitions nécessaires pour mener cette campagne et pour le moment, cela reste pour le moins problématique à moins que… les forces aérospatiales russes ne soient aux commandes comme en Syrie en septembre 2015. Il est possible que le président Poutine y voit une opportunité stratégique vitale dans la mesure où le port de Tobrouk (en eaux profondes) que contrôle le maréchal Haftar ne constitue pour lui un objectif à moyen terme en Méditerranée… Pour le moment, l’inoxydable ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov appelle à une cessation des combats et à la constitution d’un vrai "gouvernement d’union nationale". Son homologue français, Jean-Yves Le Drian , a déclaré le 28 mai lors d'une audition au Sénat que "La crise s'aggrave. Nous sommes confrontés à une 'syrianisation' de la Libye". Il conviendrait sans doute que le Ministère des AE français garde un profil bas en Libye car ses responsabilités passées ne sont pas particulièrement reluisantes..

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