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Covid-19 : Une pandémie étrangement similaire à la grippe russe de 1889
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Enseignements

Des chercheurs ont récemment identifié que la fameuse grippe avait été détectée comme un coronavirus. Voilà les leçons que nous pouvons tirer de la durée et du règlement de la crise à l’époque.

Patrick Zylberman

Patrick Zylberman

Patrick Zylberman est professeur émérite d’histoire de la santé à l’Ecole des hautes études en santé publique (Université Sorbonne-Paris-Cité). Il est l’« invité permanent » du Centre Virchow-Villermé (CVV : Paris-Descartes/Berlin-La Charité), et l’un des organisateurs du Séminaire annuel du Val-de-Grâce sur les maladies infectieuses émergentes, qu’il a co-fondé en 2011.

Il a publié avec Lion Murard L’hygiène dans la République. La santé publique en France ou l’utopie contrariée, 1870-1918 (Fayard 1996), codirigé avec Antoine Flahault Des épidémies et des Hommes (La Martinière 2008), et, avec Susan Gross Solomon et Lion Murard, Shifting Boundaries of Public Health: Europe in the Twentieth Century (University of Rochester Press, 2008). Ses Tempêtes microbiennes, essai sur la politique de sécurité sanitaire dans le monde transatlantique ont paru chez Gallimard en mars 2013. 

Il a été membre du Haut Conseil de la santé publique de 2009 à 2017 ainsi que du Comité d'orientation du débat citoyen sur la vaccination (2016). Il a également contribué, dans le cadre du CVV, à l’élaboration du scénario du « serious game » RSI/IHR3.0 pour la formation à la gestion d’une crise épidémique dans le cadre du Règlement sanitaire international. Il est par ailleurs membres de la Section X (Santé) du Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégique.

 

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Atlantico.fr : La pandémie de grippe « russe » a tué plus d’un million de personnes à travers le monde de 1889 à 1890. Elle constitue une importante source d’information car elle est la première pandémie à avoir été scientifiquement étudiée. Où a-t-elle commencé et pourquoi a-t-elle été si importante ? 

Patrick Zylberman : Comme son nom l’indique, elle serait originaire de Russie. Elle est sans doute apparue, en mai 1889, en Asie centrale, probablement en Ouzbékistan, alors un des maillons de l’empire russe. La région a été le contexte du premier cas détecté, ce qui ne veut pas dire nécessairement du cas zéro. Il peut y avoir eu des cas antérieurs qui ont échappé à notre connaissance. Les médecins notaient certains signes habituels à la grippe, forte fièvre, sueurs profuses, mais pas de signes respiratoires. Alors, grippe ? Malaria ? Dengue ? On ne sait.

L’important avec la grippe « russe » est son caractère global. C’est la toute première fois que l’on a pu démontrer l’authentique globalité d’une pandémie grippale. Saint-Pétersbourg, Berlin, Paris, Londres, Dublin, Boston, Chicago, Inde, Afrique, la grippe « russe » a fait le tour du monde.

Suite à cela, comment s’est-elle propagée et comment les autorités ont-elle réagi ? 

Les épidémiologistes remarquent des premiers cas d’infection respiratoire en septembre 1889, au sud de l’Oural. Depuis l’Oural, l’infection s’est disséminée vers l’Europe occidentale et ses ports par le rail et les voies navigables et vers l’est à pied et à cheval, et aussi via la navigation à vapeur qui contamine les ports et leurs arrière-pays. Elle a atteint Vladivostok puis Tokyo. Les bateaux à vapeurs allaient partout, on partait de Russie pour aller à Hambourg et de Hambourg on prenait le bateau pour débarquer à New-York avec la grippe russe. La seule grande route qui a joué un rôle dans la contamination est la route allant de la Russie méridionale vers la mer d’Oman (actuel Pakistan) via l’Iran. Une des routes importantes de l’expansion de l’empire russe.

Grâce au développement de ces moyens de transport et leur vitesse progressive le virus a pu se propager partout. Si les taux de mortalité en Europe sont restés modérés, avoisinant les 1% (Pays-Bas) ou 1,6% (France), l’excédent de mortalité en revanche est élevé : 60 000 personnes sont décédées en France, 66 000 en Allemagne, 4 500 aux Pays Bas. En Europe (partie européenne de la Russie comprise) la mortalité moyenne a évolué entre 0,7 et 1% ; entre 270 000 et 360 000 personnes sont décédées en Europe sur 360 millions d’habitants. 

Face cette rapidité de la propagation, les autorités ne savaient pas très bien quoi faire face à la pandémie. N’oublions pas que le virus de sera identifié qu’en 1933. En 1918, on cherchera à comprendre les caractères spécifiques, déroutants par leur violence même, de la vague automnale de la grippe, et l’on on ne penchera alors sur la grippe « russe » de 1889-1890. Et c’est grâce à ce travail de comparaison entre les deux pandémies que les médecins prendront conscience de la « nouveauté » de la grippe « espagnole ». 

Quelles sont alors les différences intéressantes pour comprendre notre virus aujourd’hui ? 

Difficile d’établir un parallèle. A la fin du XIXe siècle on ne peut parler de gestion de la pandémie. Le virus circule sans que l’on ait rien à lui opposer, la pharmacopée se réduit à de l’aspirine et quelques anti-pyriques (pour faire tomber la fièvre). Un seul conseil prévaut, qui est de se mettre au lit pendant plusieurs jours avec des grogs sans quitter la chambre. 

On a essayé de gérer les choses en 1918, sans vraiment y parvenir. On a tenté de limiter les rassemblements, de fermer les théâtres ; pour ne pas peser davantage sur le moral de la population (avec la guerre et, depuis le début de 1918 les bombardements) on a dû renoncer. L’ancêtre du ministère de la Santé, intitulé : ministère de l’Hygiène, a été créé fin janvier 1920, après la pandémie. Certaines stratégies, telles que l’isolement des malades à un stade précoce, étaient parties des moyens de lutte contre l’épidémie. Nous n’aurions rien à y changer aujourd’hui.  

Il y a eu des récurrences de la grippe russe. Celle de 1892 a été beaucoup plus sévère que la vague initiale. A Londres, par exemple, en 1891, la mortalité se monte à plus du double de son niveau de 1889-90.. Comme en 1957-58 et 1968-69, les personnes âgées n’ont été que légèrement touchées en 1889-90 ; elles le seront plus sévèrement au cours des récurrences de l’infection en 1891-95 et en 1899-1901.

Savions-nous qu’elle se propageait d’une telle manière ? 

La grippe « russe » a définitivement ancré dans le savoir des médecins et des autorités que la grippe est une maladie contagieuse, se transmettant de personne à personne, sans un réservoir animal. L’idée n’était pas unanimement acceptée jusque-là par l’opinion médicale.

Une autre chose intéressante que nous a appris la grippe « russe » tient à sa diffusion selon un schéma fortement hiérarchisé, des grandes villes vers les plus petites, et vers les zones rurales où, même dans les régions densément peuplées, la grippe ne se déclare qu’avec un ou deux mois d’écart par rapport aux villes les plus importantes.

Qu’avons-nous découvert sur le virus de la grippe russe, et que cela nous a-t-il permis de comprendre ?

Grâce à des études séro-archéologiques réalisées au lendemain des deux dernières pandémies grippales du XXème siècle, la grippe « asiatique » de 1957-59 et la grippe de Hong Kong de 1968-70, on est à peu près certain aujourd’hui que la souche en circulation en 1889-1890 était H3N2, et non H1N1. 

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