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Etats-Unis : l’ère des vice-présidentes a sonné
©JEFF KOWALSKY / AFP

"Où sont les femmes ?"

Alors que la campagne électorale se poursuit aux Etats-Unis malgré la pandémie de Covid-19, de nombreuses femmes pourraient s'imposer pour le poste très convoité de vice-président(e) en novembre prochain au sein du parti Démocrate.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico.fr : Comment se fait le choix pour la vice-présidence ?

Jean-Eric Branaa : Aux États-Unis, le vice-président est élu en même temps que le président. C’est celui ou celle qui remporte l’investiture du Parti –et lui ou elle seul– qui désigne la personne qui occupera ce poste à ses côtés. Le processus de sélection dure plusieurs semaines car il faut peser toutes les implications politiques, vérifier que rien dans la vie de ce candidat ne portera ombrage à son camp et envisager toutes les implications, afin de ne pas se tromper. Le candidat charge donc un comité spécial qui étudie tout cela pour lui, avant qu’il ne finalise sa décision. Cette fois-ci, ce comité a été mis en place le 1er mai. On y trouve le maire de Los Angeles, Eric Garcetti, un ancien sénateur, Christopher J. Dodd, une élue de la Chambre des représentants, Lisa Blunt, et une ancienne conseillère de Joe Biden à la vice-présidence ainsi qu’au Sénat, Cynthia C. Hogan.

On peut rappeler que l’on sait déjà que le choix se portera sur une femme : c’était un choix attendu après le mouvement MeToo, et il a été précisé à plusieurs reprises par le candidat que tel serait en effet le cas.

Le choix d’une personnalité pour la vice-présidence répond toujours aux mêmes impératifs : il faut que cette personne apporte « quelque chose de plus », qui va permettre de dynamiser la candidature, d’élargir encore davantage la base des électeurs et, donc, aider à faire gagner son camp. C’est pour cela qu’on se retrouve à chaque fois avec des couples improbables, qui semblent plus être des opposés qu’autre chose. En réalité, le « ticket » présidentiel, puisque c’est ainsi que l’on nomme ce couple de candidat, doit être complémentaire : pour caricaturer, si le candidat est très vieux, il lui faut trouver quelqu’un de jeune, qui permettra de séduire l’électorat jeune ; s’il est de l’Est du pays, on retient plutôt quelqu’un de l’Ouest ; s’il est urbain, on choisit un rural. Joe Biden avait été sélectionné par Barack Obama parce qu’il était un sénateur de très longue date, et renommé comme étant extrêmement qualifié sur la plupart des dossiers politiques, et particulièrement pour la justice et les affaires étrangères. Cela permettrait de compenser avec le manque d’expérience du sénateur de l’Illinois, sur lequel il était déjà attaqué. Donald Trump a choisi Mike Pence pour à peu près les mêmes raisons, mais aussi parce que le gouverneur de l’Alabama était très proche des milieux évangélistes et les rassurait donc alors que le candidat Trump s’était montré bouillonnant pendant sa campagne et que sa vie ne plaidait pas en sa faveur pour inciter la droite plus pieuse à voter pour lui. Dans le portrait-robot de la future candidate à la vice-présidence on a donc déjà le genre, ce sera une femme, et l’âge approximatif, elle aura entre 40 et 60 ans. Pas trop jeune pour ne pas créer une effet « grand-père avec sa petite-fille », et pas trop âgée non plus car le candidat l’est lui-même déjà vraiment beaucoup.

L’alchimie entre les deux candidats ne fait pas tout et il faut aussi –et surtout à notre époque– que la candidate qui sera retenue n’ait aucun cadavre dans son placard : une personnalité sulfureuse, trouble ou dont la vie comporte des zones d’ombre sera aussitôt éliminée de la liste.

Quelle femme a le plus de chance de s'imposer selon vous à la vice-présidence des États-Unis ?

Le choix n’est jamais basé sur la seule notoriété ou popularité du candidat potentiel : les nombreux articles qui évoquent que ce sera Michelle Obama ne reposent sur rien et sont fantaisistes : elle n’a aucune qualification politique et n’apporterait pas grand-chose à Joe Biden. Certainement pas, en tous cas, les voix supplémentaires qu’il cherche à attirer. En quittant le pouvoir, Barack Obama lui-même avait déjà éliminé par avance cette option en déclarant qu’il y a trois choses qui sont absolument certaines dans la vie : « la mort, les impôts et que Michelle ne sera jamais candidate à la vice-présidence des États-Unis ».

Le critère principal qui permettra de déterminer le choix final sera très stratégique : Joe Biden doit à la fois pouvoir reconquérir les territoires perdus en 2016, notamment dans l’ancienne région industrielle du nord du pays, mais aussi séduire les jeunes et les plus progressistes, qui auraient préféré une candidature de Bernie Sanders. Enfin, il faudra mobiliser el vote afro-Américains, qui sera une des clés principales du scrutin et ne pas délaisser els latinos qui, on l’a vu pendant les primaires, n’ont pas adhéré en masse à sa candidature pour le moment.

Parmi les noms qui reviennent le plus, Elizabeth Warren figure en bonne place. Son avantage serait d’apporter le vote des progressistes, l’aile gauche du Parti. Pourtant, on l’écartera très vite –contrairement à ce qui est écrit partout– et pour trois raisons. La première est que son âge ne plaide pas pour elle. A 71 ans, elle alourdirait encore plus cette image de vieillesse portée par la candidature démocrate puisque les deux candidats auraient 78 et 71 ans ! Comment motiver un jeune de 18 ans de se déplacer pour aller voter pour eux ? L’autre point problématique est plus stratégique, car Warren est élue dans le Massachusetts, dont le gouverneur, Charlie Baker, est républicain. Si Warren devait quitter son poste de sénatrice, c’est à lui qu’il reviendrait de nommer la personne qui occuperait alors son siège, rendant plus difficile encore la conquête du contrôle de cette chambre pour les démocrates et, peut-être même, faisant basculer la majorité, si les démocrates réussissent comme ils le souhaitent en novembre. La dernière raison est très politique car le positionnement très à gauche de Warren déplait fortement à plusieurs gros donateurs du Parti, qui s’opposent totalement à ce choix. On l’écartera donc. Elle sera plutôt retenue pour un poste de ministre.

Beaucoup pensent que le déficit de Joe Biden est plus territorial : il est issu du nord-ouest du pays et Donald Trump fait de très bons scores dans les milieux ruraux du centre des États-Unis. Une personnalité comme la sénatrice du Wisconsin Tammy Baldwin pourrait lui apporter la victoire dans cet État qui sera très disputé en novembre, et son aura pourrait même s’exercer dans le Michigan et en Pennsylvanie. Mais, là encore, il y aurait pourtant un vrai risque au sénat car elle occupe elle-aussi un siège fragile, gagné à la surprise générale, et il est loin d’être certain que les démocrates le conserveraient en cas d’élection partielle en 2021.

Les arguments sont à peu près les mêmes concernant Amy Klobuchar, qui ajoute toutefois à son CV une campagne présidentielle réussie. Malheureusement pour elle, son profil très centriste est presque un repoussoir pour les plus à gauche du Parti démocrate. Seul avantage : cela ferait passer Joe Biden pour plus à gauche qu’il n’est, mais cela ne le servirait guère avec les républicains modérés et il a bien d’autres moyens pour séduire la gauche progressiste.

Dans la même région, et avec un profil très proche, la gouverneure du Michigan Gretchen Whitmer a vu sa cote monter brutalement avec cette crise sanitaire : elle a superbement géré les choses, à la satisfaction même de beaucoup de républicains de son État. Comme quelques autres gouverneurs, elle s’est aussi beaucoup disputée en frontal avec Donald Trump, mais ce dernier lui a rendu un fier service en la prenant pour cible principale, parce que son État est déterminant pour la victoire finale et qu’il pensait qu’elle était plus faible que les autres car elle n’est élue que depuis 2018. Sa résistance a étonné et son nom est monté très haut dans la liste des choix probables.

Baldwin, Klobuchar ou Whitmer partage pourtant la même caractéristique qui pourrait être un handicap cette année pour qui vise ce poste en particulier : elles sont toutes les trois caucasienne et Joe Biden aura certainement à cœur d’élargir plutôt sa base aux minorités. En faisant cela, il enverra le signal fort qu’il se tourne vers le futur de l’Amérique qui, poussée par la démographie, se transforme lentement en une société toujours plus multiculturelle et multiethnique. Le choix à faire se réduiraient donc à celui de quelle minorité privilégier ?

Beaucoup pensent que Joe Biden ne peut pas faire autrement que de choisir une vice-présidente afro-américaine : c’est cette communauté qui a fait sa victoire dans les primaires, après le soutien très appuyé de Jim Clyburn, le numéro 3 du Parti et représentant très influent de la Caroline du Sud. En suivant ce raisonnement, on arrive vite à la candidature de Stacey Abrams. Elle croit en sa chance et a déjà déclaré qu’elle acceptait par avance cette nomination. Faire ainsi campagne ouvertement n’est pas forcément une mauvaise stratégie : elle fait ainsi infuser cette idée dans la tête des afro-américains, qui la soutiendront à leur tour, la rendant peut-être inévitable. Abrams est très aimée des progressistes, ce qui ne gâte rien. Il y a toutefois un problème potentiel avec une affaire d’arriérés d’impôts non-payés, pour près de 50000 dollars et, surtout, elle n’occupe aucun poste électif de premier plan, après avoir échoué de peu à rafler le poste de gouverneur de Georgie aux républicains en 2018.

La représentante de Floride Val Demings pourrait alors être la candidate noire recherchée. Elle a occupé le rôle de « manager » pendant le procès en destitution de Donald Trump, ce qui l’a mise en lumière. Mais ce ne sera certainement pas suffisant, d’autant que sa notoriété est vraiment très faible dans le pays.

A y regarder de plus près, et en tendant plus attentivement l’oreille, on remarque que Joe Biden insiste beaucoup sur la première nomination qu’il fera à la Cour suprême et qui sera « une femme afro-américaine ». Il dit aussi très souvent qu’il y aura de très nombreux noirs partout dans on administration et aux postes les plus prestigieux. Cela ressemble quand même beaucoup à un teasing pour préparer cette communauté à la réalité du choix vice présidentiel : ce siège-là ira à quelqu’un d’autre.

Joe Biden pourrait alors plutôt se tourner vers la communauté latino. Tout l’y pousse en réalité, car s’il arrivait à faire avec eux ce que Barack Obama a obtenu avec les afro-américains, Donald Trump n’aurait absolument aucune chance. C’est donc cette piste qu’il faut privilégier.

Deux noms sortent clairement du lot : Michelle Lujan Grirsham et Catherine Cortez Masto. Cette dernière est la première Latina élue au sénat et ce choix serait donc teinté d’une forte dose de symbolisme. Mais elle n’est pas très connue et a surtout très peu d’expérience pour occuper un tel poste. Comme il s’agit de son premier mandat national, personne ne sait comment elle peut évoluer sur la durée. La gouverneure du Nouveau Mexique serait également un choix très symbolique, car elle est pour sa part la première gouverneure latina du pays, dans un État où la population hispanique ne cesse de gagner en importance, à l’image de ce qui va se passer dans le reste du pays. Michelle Lujan Grisham, comme Gretchen Whitmer a l’avantage d’être une gouverneure : elle n’a donc pas besoin de convaincre beaucoup pour justifier sa place aux côtés du président des États-Unis. Il sera également facile aux Américains de se projeter avec elle comme présidente, ce qui est absolument une nécessité cette fois-ci, vu l’âge du capitaine. Peu d’éléments émergent pour repousser un tel choix. Elle figure donc tout en haut de ma liste.

Mais elle est supplantée par une autre personnalité issue des minorités : Kamala Harris. Avec elle, Joe Biden ne choisirait pas entre les communautés afro-américaine ou hispanique. Harris est née d’une mère indienne et d’un père jamaïcain. Elle a franchi toutes les étapes de l’échelle sociale par un travail sérieux et appliqué. Elle représente totalement ce rêve américain que les démocrates veulent à nouveau défendre. Sa campagne présidentielle n’a pas rencontré le succès escompté, mais elle a su l’arrêter très vite, afin de ne pas faire de dégâts avec un camp ou un autre, au sein de son parti. Elle reste très appréciée, tant des progressistes que des modérés et est très proches des idées de Joe Biden. Or il a toujours défini que ce serait là un point primordial dans son choix futur. Kamala Harris est aussi une féministe qui peut représenter avec brio la montée des femmes en politique et leur donner envie de s’investir encore davantage. Elle est solide et déterminée : les choix qu’elle a fait dans sa carrière, notamment lorsqu’elle était procureure en Californie, ont démontré qu’elle ne plie pas facilement. L’ambition de Kamala Harris est connue, mais elle est aussi acceptée et respectée : le monde politique américain pense qu’elle a l’étoffe pour être un jour présidente du pays. Cette condition est également sur la liste des imposés cette année. Joe Biden veut être un pont qui fera monter une nouvelle génération. Il cite souvent Kamala Harris dans la liste de ceux auxquels il pense en disant cela. Lui fera-t-il la courte échelle pour qu’en 2024 elle soit la vice-présidente sortante ? C’est une possibilité très forte.

Peut-on résumer le portrait-robot de la candidate idéale ?

De façon succincte on peut avancer quelques éléments qui seront très forts : elle sera sénatrice ou gouverneure. Mais pas une sénatrice qui occupe un poste qui pourrait être mis en danger. Elle doit être féministe pour contrer les accusations de viols contre Biden. Les Américains doivent aussi pouvoir l'imaginer comme présidente, vu l'âge du capitaine.

La liste ci-dessus permet de cocher beaucoup de cases qui correspondent. Mais la politique américaine est toujours pleine de surprise : souvenons-nous que, au final, il n’y a que Joe Biden qui choisira.

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