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Jean-Michel Blanquer réactionnaire ? Quand les accusations de hauts fonctionnaires de l’Education nationale révèlent surtout l’ampleur des dégâts causés par les idéologues qui ont miné le ministère depuis des décennies
©LUDOVIC MARIN / AFP

Education Nationale

Des hauts fonctionnaires du ministère de l’Education Nationale ont récemment signé une tribune dans laquelle ils dénoncent le « projet réactionnaire » de Jean-Michel Blanquer.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : En quoi la phraséologie des critiques faites à Jean-Michel Blanquer montre-t-elle davantage les défauts de l’Éducation Nationale telle qu’elle fonctionne depuis plusieurs décennies que ceux du projet du ministre en tant que tel ?

Edouard Husson : En lisant les premiers paragraphes, je me suis demandé si nous allions avoir quelque chose d’intéressant. Le paragraphe « mise au pas », en particulier, met le doigt sur le principal défaut du Ministre: sa tendance au centralisme. Mais la suite du texte est tellement remplie de poncifs et de clichés au service de l’immobilisme qu’on en vient rapidement à se demander si la tendance de Jean-Michel Blanquer à vouloir tout contrôler n’est pas le fruit d’une angoisse assez naturelle pour un vieux connaisseur de l’Education Nationale comme lui: comment faire bouger « le mammouth »? L’expression est d’un autre ministre, il y a vingt ans déjà. Entretemps, il y a eu une petite amélioration du système, entre 2002 et 2012, durant les dix ans où la droite était revenue au pouvoir, avec un enchaînement heureux de ministres de qualité: Luc Ferry, Gilles de Robien, Xavier Darcos, Luc Chatel. C’est dans cette atmosphère que Jean-Michel Blanquer a pu réfléchir aux défis de l’Ecole et imaginer une politique à mener au terme des années désastreuses qu’ont représenté le quinquennat de François Hollande. Entre 2012 et 2017, nous avons assisté en effet à une véritable rechute dans les pires errements des années 1970 aux années 1990: égalitarisme, idéologisation des enjeux, refus de l’évaluation, pédagogisme, abandon de la laïcité face au communautarisme etc....

Les hauts fonctionnaires en question reprochent en particulier au ministre ses « mesures dites « pour la justice sociale » qui ne font qu'augmenter les inégalités sociales devant l'école. » Partie intégrante des principaux enjeux du modèle démocratique de manière générale, l'égalité sociale devant l'école n'a-t-elle pas été surtout entravée par les projets des gouvernements précédents ? Quel bilan peut-on tirer des politiques précédentes dont l'Education Nationale actuelle ne fait qu'hériter ?

Les auteurs du texte commencent par vanter leur propre diversité (enseignants, formateurs, chercheurs, inspecteurs etc....) mais très vite il n’y a plus que des « cadres ». On se croirait dans l’Ecole du Parti. Et visiblement nos modernes apparatchiks sont émoustillés de brandir plusieurs fois l'invective « réactionnaire » contre Jean-Michel Blanquer. Réactionnaire sa manière de vouloir utiliser les sciences cognitives alors qu’il s’agit, si c’est bien utilisé, d’un des meilleurs moyens de remettre de la personnalisation dans un enseignement de masse. Toute la politique de Jean-Michel Blanquer s’efforce de remettre l’élève au centre, de lui rendre une personnalité dans un système qui a voulu niveler à tout prix. Eh bien, pour nos auteurs, il est scandaleux de défendre un « nouveau modèle de compétences centré sur l’individu au détriment des valeurs du collectif ». Et le caractère réactionnaire de cette politique se décline: elle est néolibérale, conservatrice, élitiste, inégalitaire, opposée à la démocratisation de l’Ecole.  C’est comme si nos modernes niveleurs n’avaient rien compris de ce qui se passe dans le pays. Au début des années 1960, le Général de Gaulle avait demandé à Georges Pompidou d’orienter les classes d’âge de plus en plus nombreuses vers la formation à des métiers industriels tout en conservant la qualité remarquable de notre enseignement général et en modérant l’augmentation des effectifs allant vers les facultés de sciences humaines. Peu obéissant, Georges Pompidou avait mis sous le coude la réforme demandée, pensant qu’il connaissait mieux les enjeux de l’Education nationale. Le résultat, ce fut non seulement mai 1968 mais l’incapacité de l’Etat à maîtriser la massification, à l’orienter. Les auteurs de ce texte, héritiers de tous les idéologues qui, depuis 1945, ont détruit la culture générale sous prétexte qu’elle était « bourgeoise » et méprisé les métiers manuels parce qu’ils auraient rendu obsolètes leurs bourdieuseries, n’ont même plus l’excuse de la naïveté. Ils ont sous les yeux le désastre d’une nation désindustrialisée et d’une profonde faillite des dirigeants en herbe qui peuplent les rangs de la Macronerie. Eh bien, ils osent s’opposer à ce que les lycées professionnels renforcent leurs liens avec les entreprises et parlent d’une vision « surannée et irréelle de l’apprentissage » ! 

Laïcité et citoyenneté sont au cœur des critiques faites à Jean-Michel Blanquer, qui aurait instrumentalisé l’une et vidé l’autre de tout contenu, selon les signataires. Sur ce sujet sensible, les accusations des signataires sont-elles justifiées ? Le ministre de l’Education Nationale est-il responsable de tous les maux qui concernent l’Ecole ?

Il faut bien boucler la boucle. Après avoir défendu une approche collectiviste et pédagogiste, après avoir refusé de voir la modernisation ratée des années 1960 à 1990, il s’agit de camoufler l’ultime échec, depuis la fin des années 1980: l’abdication en matière de défense de la laïcité face à l’Islam. Pourtant, le Ministre a toujours été très modéré dans son approche: pourtant les auteurs l’accusent d’avoir fait le lit d’Eric Zemmour (traduisons le « contribuant à une irresponsable hystérisation du débat médiatique sur l’islam »); ou bien ils lui reprochent implicitement de s’appuyer sur les travaux sérieux de Gilles Kepel quand il s’intéresse aux banlieues (« Une instrumentalisation de la laïcité qui s’étend aussi aux questions liées aux banlieues, et au mépris des travaux existant » - entendez l’école de sciences sociale anti-Kepel). Les signataires du texte se placent dans une continuité idéologique où l’on a sciemment rejeté la notion d’intégration à la République par le mérite et la réussite scolaire, par l’instruction civique, par le patriotisme. Je n’ai jamais oublié les propos, tenus en 1994, par mon ancien professeur d’hypokhâgne devenu Inspecteur Général d’histoire; c’était lors d’une conférence dédiée à l’enseignement de la discipline; et il avait expliqué froidement que les programmes scolaires, désormais, ne devaient plus être « gallocentrés ». Traduisez: on ne devait plus mettre la France au coeur de l’enseignement. De la part d’un homme qui avait passé de longues années à enseigner aux meilleurs élèves de l’enseignement républicain traditionnel, c’était une véritable trahison, sans doute par souci de plaire à son nouveau milieu professionnel. Pourtant il est encore plus impardonnable, après avoir constaté les dérives de nombreux jeunes gens vers l’Islam radical, de refuser en 2020 l’inventaire d’un échec lourd de conséquences: la destruction de la machine à assimiler, nationalement et socialement, qu’était l’école de la République. 

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