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Rendez-nous le monde d’avant !
©FRANCOIS GUILLOT / AFP

Leçons de cette crise

"Le "monde d’après" tient plus aujourd’hui du cauchemar que de l’avenir radieux promis par nos prophètes de l’apocalypse. Pour autant, il serait inconscient de ne tirer aucune conséquence de ce que nous venons de vivre. Vouloir un retour au status quo ante est non seulement irréaliste, ce serait une perte de temps".

Thibault Muzergues

Thibault Muzergues

Thibault Muzergues est un politologue européen, Directeur des programmes de l’International Republican Institute pour l’Europe et l’Euro-Med, auteur de La Quadrature des classes (2018, Marque belge) et Europe Champ de Bataille (2021, Le Bord de l'Eau). 

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Deux mois après notre séquestration volontaire, nous voici donc prêts à progressivement reprendre une vie à peu près normale, même si le déconfinement prendra encore plusieurs semaines et que la vie ne reprendra totalement qu’une fois un vaccin trouvé, testé et distribué à un large public.  Mais alors que nous goûtons aux joies d’une liberté (partiellement) retrouvée, ne sommes-nous pas au final (et à raison) nostalgiques du « monde d’avant » ?

L’ancien monde a pourtant été copieusement conspué au moment où nous nous enterrions dans notre hibernation forcée… Enfin, nous disaient certains, le monde allait retrouver le goût des choses simples et en finir avec le consumérisme… Enfin, les nations allaient comprendre l’utilité des frontières…. Enfin, nous étions sur le point de voir les effets de la décroissance sur notre environnement, bien malmené par les activités humaines… Et enfin, nous allions pouvoir passer plus de temps entre nous, en évitant ces fameuses réunions de travail inutiles qui résolvaient des problèmes qui auraient nécessité un simple échange de e-mails. 

Les prophètes d’un radieux nouveau monde ont dû bien vite déchanter. Grâce à Zoom et aux autres technologies de la Silicon Valley, le nombre de réunions inutiles, loin de diminuer, n’a fait qu’augmenter pour des cadres dont la vie privée est désormais totalement connectée à leur travail.  Nous découvrons également que derrière l’accessoire et les transports polluants se cachent des secteurs de l’économie désormais totalement sinistrés, comme la restauration, le bâtiment ou encore le tourisme (7% du PIB national et 2 millions d’emplois directs et indirects), avec des conséquences terribles les individus qui travaillent dans ce secteur. La décroissance est peut-être bonne pour réduire notre empreinte carbone, permettre aux Punjabis de pouvoir revoir l’Himalaya depuis leur terrasse ou aux Sardes de s’extasier devant les dauphins revenus nager dans leurs ports ; elle semble en revanche avoir un impact beaucoup plus négatif pour les millions de personnes en Europe qui doivent désormais faire face au chômage de masse ou à la faillite de leur petite entreprise. 

Enfin, ceux-là mêmes qui s’extasiaient il y a encore quelques semaines devant la fermeture des frontières nationales à l’intérieur de l’Europe, prédisant enfin le retour aux nations, vont vite devoir se rendre compte qu’à l’intérieur de l’Europe, l’échelle de nos économies nationales est aujourd’hui beaucoup trop étriquée pour assurer les hauts niveaux de prospérité collective que nous avons atteint. L’Europe centrale, la première à déconfiner, s’en rend compte aujourd’hui : alors que les usines automobiles de Slovaquie rouvrent, employés et managers sont bien en peine de savoir comment les affaires pourront réellement redémarrer : techniquement, les usines peuvent redémarrer rapidement, mais sans clients (notamment à l’Ouest) pour les acheter, la reprise de l’activité s’annonce périlleuse.

Le « monde d’après » tient plus aujourd’hui du cauchemar que de l’avenir radieux promis par nos prophètes de l’apocalypse. Pour autant, il serait inconscient de ne tirer aucune conséquence de ce que nous venons de vivre. Vouloir un retour au status quo ante est non seulement irréaliste, ce serait une perte de temps – Winston Churchill le disait durant la seconde guerre mondiale, never let a good crisis go to waste, « ne gaspillez pas une bonne crise ». Nous avons justement beaucoup appris ces dernières semaines, sur nous-mêmes mais aussi sur notre système et ses faiblesses. Nous avons pu constater que les frontières pouvaient encore s’avérer utiles pour nous protéger et protéger nos voisins (en Europe, elles ont maintes fois permis de contenir l’épidémie), mais également que la fermeture de nos petits pays européens sur eux-mêmes avait un effet destructeur pour notre tissu économique. Nous avons pu déplorer notre dépendance vis-à-vis de la Chine pour notre matériel médical, mais nous avons également pu bénéficier de la solidarité de notre voisin allemand, qui a fait ce qu’il a pu pour nous soulager après avoir mieux contenu l’épidémie que nous. Nous avons vu comment notre planète pouvait reprendre ses droits dès que nous lui donnions la possibilité de récupérer de nos activités, mais nombre d’entre nous subissent aujourd’hui les conséquences économiques négatives de la réduction de nos activités. Nous avons enfin vu qu’un État solide était la seule institution à même de pouvoir nous protéger contre des menaces de l’ampleur du coronavirus, avant de constater que lorsque l’administration prenait le pas sur l’action, le remède pouvait parfois faire autant de tort que le mal. 

Il est désormais clair que la crise économique dans laquelle nous rentrons après la crise sanitaire est partie pour durer, et celle-ci sera longue et douloureuse, avec des conséquences sociales inéluctables. Pour la surmonter, nous allons devoir mobiliser toutes nos forces et notre patience. Oui, nous allons devoir changer : réduire nos dépendances vis-à-vis de certains pays dans les domaines stratégiques, décentraliser et débureaucratiser certaines de nos opérations, penser notre économie et nos frontières dans le cadre européen, seule échelle pertinente à l’ère des économies-continent, ou encore relancer la demande sur le long-terme en soutenant non plus seulement l’activité économique, mais la consommation. Tout cela ne pourra se faire sans réformes, et sans une certaine humilité – vis-à-vis de nos voisins comme vis-à-vis de nous-même. Il s’agit bien de reconstruire, mais tant que les bases sont saines, utilisons-les. 

Tirons-donc les leçons de cette crise. La plus importante, c’est que le « monde d’avant » n’était peut-être pas si mal, et qu’il ne mérite pas d’être enterré en même temps que nos mauvaises habitudes. Notre pays a besoin de grandes réformes, pas d’utopies révolutionnaires.

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