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Où est passée notre intelligence ?
©MARTIN BUREAU / AFP

Confiance en soi

L’actualité du virus tue toute actualité en ne parlant que du virus. Elle vide également les esprits en les laissant exsangues.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Depuis bientôt deux mois que dure le confinement afin de faire face au Corona virus, une chose frappe : l’actualité du virus tue toute actualité en ne parlant que du virus et de détails pratico-pratiques à son sujet. Ne parlant que du virus et de détails pratico-pratiques, elle ne tue pas simplement l’actualité. Elle vide les esprits en les laissant exsangues.  

Certes il y a à titre individuel des actions de solidarité, de l’humour et des initiatives réussies afin de transformer ce temps de mise à l’arrêt obligatoire en un temps méditatif. Il n’en demeure pas moins qu’il convient de s’interroger. Comment se fait-il que le discours général à propos de la pandémie en soit arrivé à ne plus être qu’un discours sur le masque, le gel et la distance, annihilant tout autre discours ? Comment en un mot se fait-il que nous soyons devenus complètement idiots ?

Le matérialisme, le pragmatisme, l’utilitarisme qui tiennent lieu de morale et de philosophie en sont la cause, mais pas seulement. Depuis longtemps déjà le politique, la science, la médecine et l’information sont tentés par le désir de toute puissance.  

À l’occasion de la pandémie jamais le politique, la science, la médecine et l’information n’ont eu un tel pouvoir. S’appuyant sur le risque réel de la contamination, de la maladie et de la mort, un système fondé sur l’hypertrophie de la peur s’est installé en mettant à genoux la société entière devant le pouvoir politique  assisté par la science, la médecine et l’information. 

La médecine est un art et non une science, soigner se faisant dans le cadre d’une relation humaine unique entre un médecin et son patient et non en fonction de procédures objectives impersonnelles ne nécessitant aucune intervention humaine. Or, à l ‘occasion de la pandémie, lors des discussions qui ont eu lieu à propos des traitements à suivre, c’est au nom de la science que l’action médicale s’est déployée. Depuis longtemps déjà, la culture de l’objectivation rêve d’un monde totalement dépersonnalisé. A l’occasion de la pandémie, ce rêve est devenu réalité. 

S’il existe une culture médicale qui rêve de science, il existe une culture politique qui rêve de loi. Tout comme la médecine, la politique est un art. Diriger une nation demande d’inventer une relation personnelle à celle-ci  en fonction d’une vision issue d’une intuition, elle ne demande pas simplement la compétence d’un gestionnaire ou d’un administrateur. Or, à l’occasion de la pandémie, on a vu s’épanouir le règne souverain de la loi à travers l’apparition d’une vision policière de la vie sociale au nom du salut collectif. 

Résultat, médusée par la médecine comme science et par la politique comme loi, la société a basculé dans un état de sidération la privant de parole. Ce qui n’est guère étonnant.  Quand tout se fait au nom de la science et de la loi, comment émettre une critique sans passer pour un dangereux rêveur s’imaginant qu’on peut en faire l’économie ? 

Un pouvoir sans précédent s’est mis en place à l’occasion de cette pandémie, mais aussi un jeu sans précédent s’est mis en place. 

Quand on émet des règles, que celles-ci soient médicales ou bien encore sociales et politiques, il existe un malin plaisir à émettre de telles règles. La règle ouvrant sur  l’autorité et l’autorité touchant au sacré, fixer des règles procure un plaisir sacré. À ce plaisir, fait face un autre plaisir qui consiste à contester les règles. En les contestant, on les désacralise. En les désacralisant,  le sacré change de camp. Il était dans le camp du pouvoir. Il est désormais dans celui du contre-pouvoir. Depuis deux mois déjà, nous assistons à des discussions à n’en plus finir à propos de la gestion pratique de l’épidémie. Il s’agit là d’un jeu. D’où le vide intellectuel et moral dans lequel l’espace public a basculé. Quand on joue à donner des règles et à les contester, il ne reste plus beaucoup d’espace pour l’intelligence. 

Enfin, à côté de la dérive culturelle et ludique, il existe une dérive morale qui explique le vide dans lequel nous sommes tombés. Notre monde vit depuis deux mois entre d’une part l’intimidation devant la science et la loi et d’autre part le jeu puéril avec la règle. Ce n’est pas un hasard. Ne faisant pas confiance à la population, le pouvoir politique en France a tendance à penser que si on n’institue pas des règles pour tout, rien ne va marcher. Dans le même temps, ne faisant pas confiance au pouvoir politique, la population réclame des règles et des droits pour tout. Résultat, comme l’a diagnostiqué un jour Hubert Védrine, la France est une société auto-bloquée. 

La France ne se fait pas confiance. C’est la raison pour laquelle elle est à genoux devant le pouvoir scientifique, médical, politique et médiatique qui en profite. Dans le monde qui va s’ouvrir à partir du 11 Mai, il va falloir être intelligent. Être intelligent, c’est savoir exister en partant de soi en tant qu’être réel au lieu de s’accrocher à des autorités extérieures. Cela s’appelle la confiance en soi et cela s’obtient en se réveillant. 

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