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Cette brique essentielle qui manque au plan de déconfinement pour atteindre une efficacité maximale
©Christophe ARCHAMBAULT / POOL / AFP

Infantilisation toxique

Plus de morts, moins de croissance que dans beaucoup d’autres pays et des sondages en berne, le gouvernement aborde la nouvelle phase de la crise sans la confiance d’une majorité de Français. Un électrochoc est il encore possible ?

Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico.fr : Quel a été l’impact de la crise sanitaire dans le soutien de l’opinion publique aux exécutifs politiques et dans la confiance placée en ces exécutifs.

Charles Reviens : il faut d’abord limiter l’analyse aux pays dotés d’institutions démocratiques. On peut pas sur ce point comparer la situation de la Chine ou même de la Jordanie analysée hier dans vos colonnes avec celle de la plupart des pays de l’OCDE, qu’il s’agisse de la France, de la Corée du Sud ou du Mexique.

Ce qu’on constate dans la plupart des pays démocratiques, c’est le fait que le caractère inattendu, exceptionnel et dramatique de la crise a conduit les peuples et les opinions publiques à se ranger derrière les exécutifs en place, comme cela se voit bien dans le graphique ci-après de Statista.

Les situations sont toutefois différentes suivant les pays. Donal Trump n’a pour le moment peu profité de cette tendance générale alors que le scepticisme affiché par Jair Bolsonaro, en plus d’autre considérations politiques internes, lui a plutôt coûté cher.

Il faut également analyser les évolutions du soutien des opinions publiques nationales en niveau absolu et en tendance, par exemple en comparant comme sur le graphique ci-après la situation de l’Allemagne, de la France et de l’Italie.

Ainsi le taux d’approbation du premier ministre italien Giuseppe Conte a quasiment doublé entre janvier et mars 2020 (pas de données depuis) pour aller au-delà des 70%, niveau également atteint par le chancelier autrichien Sebastian Kurz. Pour la chancelière allemande Angela Merkel, dont la pays a rendu une copie solide dans la gestion de la crise, la crise sanitaire constitue quasiment une cure de Jouvence après pas moins de quinze ans d’exercice du pouvoir. Le sursaut semble plus limité et plus provisoire pour le président de la République française.

Contrairement aux pays européens, la Corée du Sud a maté le coronavirus sans avoir recours au confinement. En quoi l’efficacité du plan de déconfinement est-elle corrélée au niveau de confiance que les gens ont dans leur gouvernement ? N’est-ce pas ce qui risque de manquer à la France pour réaliser un plan de déconfinement efficace ?

La situation de la Corée du Sud analyse fin mars était déjà brillante. Aujourd’hui les Coréens recensent un total de 256 morts, soit CENT fois moins que la France pour un pays dont la population est comparable à la France (50 millions d’habitants contre 66). C’est une performance très remarquable dans laquelle la confiance de la population dans les gouvernants n’est qu’une composante d’un écosystème complet : un système de veille épidémiologique efficace, une réactivité liée à la bonne lecture de la crise MERS-cov de 2015 (les tests PCR étaient agrées par le ministère de la santé et disponibles dès le 4 février), des capacités technologiques et industrielles disponibles tant pour les tests que par l’utilisation du traçage numérique, enfin le couple constitué par une communication jugée crédible et transparente des pouvoirs publics et un haut niveau de respect des consignes de distanciation sociale dans un pays qui n’a pas eu besoin de mettre en œuvre la solution un peu basique du confinement général.

La crise du coronavirus génère soit une double peine soit un double bénéfice : mieux vous gérez efficacement et en amont la crise et le risque sanitaire, moins vous devez imposer une désorganisation des relations économiques et sociales liées à un confinement strict. Il est alors logique que les équipes au pouvoir dans les pays qui ont limité les cas et les morts et moins désorganisé – et abîmé – leurs économies bénéficient de la confiance et du soutien des populations. C’est le cas en Corée du Sud mais également en Allemagne.

Dans une déclaration récente, Edouard Philipe a affirmé : « nous faisons confiance aux Français fragiles pour continuer à se protéger ». Les actions du gouvernement jusque-là ne contredisent-elles pas largement leurs paroles ?

Les propos du Premier ministre renvoient à des impératifs de responsabilisation individuelle et de bon sens qu’on ne peut qu’approuver. En effet « en démocratie, les gens sont intelligents et ont du bon sens » (Jacques Delors) et donc il est normal et attendu que les gens ayant les niveaux de risques les plus élevés aient le comportement le plus approprié pour eux et pour les autres.

La notion de « Français fragiles » renvoie à la question de comment savoir si on est fragile et donc à celle du dépistage alors qu’on a vu l’écart considérable entre la France et l’Allemagne en matière de tests notamment dans les phases amont de la crise. Par ailleurs « se protéger » pose la question de la disponibilité des équipements de protection individuelle et notamment des masques, où l’on peut noter que la France en produisait jusqu’à peu six moins que son voisin et ami le Maroc.

Dans la mesure où la France est en queue de peloton dans les classements de l’OCDE, le gouvernement français ne devrait-il pas changer radicalement de stratégie et restaurer un rapport de confiance et non plus de paternalisme quasi infantilisant avec les citoyens ?

Vous trouverez ci-après le tableau de la mortalité par millions d’habitants pour lequel il faut rappeler deux choses.

D’une part c’est tout l’Occident (Amérique du Nord et Europe occidentale) et pas seulement la France qui est impacté par la crise sanitaire. D’autre part la France a la cinquième plus mauvaise performance mondiale mais est devancée par la Belgique, l’Espagne, l’Italie et la Grande-Bretagne.

Comme déjà indiqué, la communication du gouvernement ne constitue qu’une pièce de l’écosystème ayant permis de gérer plus ou moins bien la crise. La France est marquée et pas seulement depuis 2017 par un niveau de défiance de l’ensemble de la population dans les institutions, défiance remarquablement synthétisée dans l’essai économique « la société de défiance » écrit en 2007 par Yann Algan et Pierre Cahuc. La crise et surtout la réflexion ex post sur la gestion de la crise, peut-être un peu à l’image de la France de 1944-45 après « l’étrange défaite » de 1940 permettront, et c’est souhaitable, de reconstruire un écosystème français ou la confiance sera mieux rétablie.

Des changements dans la manière de gouverner sont-ils envisageable ? À quoi on peut s’attendre pour l’avenir de la part du gouvernement ?

La crise va bien au-delà ce qu’on peut apprécier ou dénoncer des actions de l’équipe actuellement au pouvoir car elle pose la question beaucoup plus large de l’organisation politico-administrative mise en en place en France sur les dernières décennies. On s’est ainsi rendu compte que des dépenses publiques élevée dans le domaine de la santé ne garantissaient absolument pas un niveau de performance à proportion de ces dépenses. La question de l’extrême centralisation française tant politique qu’administrative peut également se poser.

Toute cela constitue des chantiers passionnants d’après-crise dont il est vraiment possible -mais par certain - que le pays sorte par le haut, comme la France l’a démontré à plusieurs reprises au cours de sa longue et tumultueuse histoire.

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