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Crise monétaire : l’Euro, au coeur de la désunion européenne
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Zone euro

Le commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, à la fiscalité et à l’Union douanière, Paolo Gentiloni, a présenté le 6 mai les « Spring Forecasts », autrement dit les prévisions économiques de printemps, sur l’économie européenne pour 2020 et 2021.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Atlantico.fr : En 2020 la pandémie du Covid-19 et les mesures pour éviter sa propagation vont provoquer une récession historique pour de nombreux pays du continent dont la France. Est-ce le début d’un déclin économique durable pour l’Europe ?

Cyrille Bret : La contraction de l’activité en Europe sera très nette. Paolo Gentiloni, hier, dans ses « prévisions de printemps » (Spring Forecast) a déclaré que l’Union européenne affrontait la pire récession de son histoire, avec une contraction du Produit Intérieur Brut (PIB) de -7,4% dans toute l’Union et de -7,7% pour la zone euro pour 2020. Les perspectives de rebond pour 2021 sont bonnes (+6,1% pour l’Union et +6,3% pour la zone euro) mais elles ne permettront pas d’annuler la chute de l’activité enregistrée d’ores et déjà en 2020. Ainsi, la France, l’Allemagne et l’Italie, économies majeures de l’Union et de la zone euro subiront respectivement des récessions de -8,2%, -6 ,5% et -9,5% en 2020 alors que les rebonds prévus par la Commission européenne ne seront en 2021 que de +7,4%, +5,9% et +6,5%. Aucune économie nationale de la zone n’échappe, dans ces prévisions de printemps, à une contraction de l’activité, à une hausse massive des déficits publics et à une croissance de la dette. Cela a pour corollaire plusieurs indicateurs négatifs comme la hause du taux de chômage à plus de 9% dans l’Union.

Est-ce à dire que l’économie européenne, parmi les trois plus puissantes au monde avant la crise, entame un déclin historique ? Les comparaisons internationales ne permettent pas de le soutenir. Et l’analyse des ressorts de la crise tendent à souligner la résilience économique, sociale et politique plus forte que ne le croient les Français selon une étude de l’Institut Notre Europe Jacques Delors.

Comparée aux autres puissances économiques majeures, l’Union européenne n’est pas dans une situation de décrochage. La République Populaire de Chine et les États-Unis subissent de plein fouet la crise économique. En Chine, la croissance sera nulle ou négative selon les économistes alors qu’elle était prévue à 5,5% pour 2020. De même, le chômage explose dans « l’usine du monde » en raison de l’absence de débouchés européens et américains pour les industries chinoises. Aujourd’hui, en Chine, les usines ne peuvent reprendre leur activité faute de clients occidentaux et faute d’une reprise de la demande intérieure. La reprise chinoise dépend à ce point des reprises européennes et américaines que la Chine ne pourra conserver le temps d’avance que son déconfinement précoce lui promet. Quant aux États-Unis, ils sont eux frappés par une vague de chômage de masse (20% de la population active) en l’absence de dispositif de chômage partiel tel qu’il existe sur le Vieux Continent. La reprise peut être rapide aux Etats-Unis mais les performances macro-économiques ne sont pas meilleures que celles de l’Union européenne.

A ce stade, il est non-pertinent de parler de déclin pour l’économie européenne dans la mesure où l’Union ne fait pas moins bien que les deux autres grandes puissances économique

Les trajectoires des économies européennes sont très différentes : la Pologne, l’Irlande et l’Allemagne auront en effet des taux de croissance très en 2021. Est-ce le début d’une désagrégation de l’Union ?

Cyrille Bret : Parmi tous les Etats membres de l’Union, tous ne sont pas dans la même position économique en raison de l’état de leurs finances publiques. Ainsi, la moyenne annoncée du déficit public sur l’Union européenne à 8,5% du PIB pour 2020 masque des différences forte ainsi, l’Ireland, la Suède et la Hongrie contiendront des déficits sous les 6% alors qu’ils s’établiront autour de 10% pour les trois grandes économies latines, l’Espagne, l’Italie et la France. Quand les finances publiques abordent une crise majeure dans une position saine, comme en Pologne, aux Pays-Bas ou en Allemagne où l’excédent budgétaire était régulier, les capacités d’intervention contracyclique de l’Etat et des collectivités publiques sont bien supérieures et donc bien plus efficaces pour préparer la reprise.

Le Commissaire Gentiloni a souligné les risques de « divergences économiques et sociales » au sein de l’Union européenne. En effet, tous les pays ne sont pas égaux devant la pandémie et ne seront pas égaux devant la reprise. Ainsi, l’Italie et l’Espagne paieront un lourd tribut économique après avoir été endeuillées par des dizaines de milliers de morts. En revanche, l’Europe du Nord et de l’Est seront, elles, moins affaiblies.

Mais la question est, comme toujours en Europe, moins économique que politique. Le plan de liquidités déployée par la Banque Centrale Européenne mobilise 750 milliards d’euros au service des Etats, les obligations du Pacte de Stabilité et de Croissance pour limiter le déficit et la dette publique ont été suspendues. Toute la question est de savoir désormais si la solidarité européenne s’appliquera à la mesure des défis de la reprise. De même que des subventions intraeuropéennes ont été nécessaires avec succès pour favoriser le rattrapage économique de l’est lors du Grand Élargissement de 2004 et lors de la crise financière de 2008-2009. De même des transferts seront nécessaires pour maintenir l’économie de l’Europe latine en vue d’un rebond.

Les divergences socio-économiques en Europe ne seront que celles que les gouvernements nationaux consentiront à laisser apparaître. Pour le moment, le « chacun pour soi » tant redouté à l’échelle européenne n’a eu lieu que dans le domaine sanitaire pour la définition des régimes de confinement, de circulation et de déconfinement. En revanche, la cohésion a été rapide et massive en matière économique car les économies nationales européennes ne forment plus qu’une seule économie, depuis bien longtemps maintenant.

Ne soyons pas victimes d’une illusion sur l’Union : elle étale ses désaccords entre Etats, entre leaders politiques et entre régions parce qu’elle est une agora démocratique continentale. Mais elle conserve sa capacité à construire des consensus même avec du retard.

On assiste à une scission de plus en plus importante entre une Europe du Sud et une Europe du Nord depuis plusieurs années. La France est-elle, avec les pays latins, le mauvais élève de la relance ?

Cyrille Bret : Les divergences sont assez notables en matière de déficits publics et de dettes publiques. Ainsi, avant la crise actuelle, les « Etats frugaux » emmenés par les Pays-Bas avaient demandé un ajustement à la baisse du budget européen qui dépasse à peine 1% du PIB européen. L’Europe du Sud appuyée par une partie de l’Europe de l’est et menée par la France réclamait des ambitions budgétaires et donc politiques supplémentaires pour l’Union européenne.

Aujourd’hui, la France est pénalisée, en Europe et dans le monde, par ses déficits publics (qui dépasseront les 5% de PIB), sa récession économique (-8,2% du PIB) et sa dette publique. Elle est en outre durement frappée par la pandémie (26 000 morts). La France fait entendre comme souvent, la voix des pays du Sud qui seront les plus durement touchés par la crise (Espagne, Italie mais aussi Croatie et Grèce). Mais elle le fait avec le statut d’une grande économie de l’Union et le prestige d’un Etat fondateur résolument engagé dans la solidarité européenne. C’est un des « mauvais élèves » de l’Union du point de vue des déficits publics mais c’est sans doute le délégué de classe le plus audibles sur la scène européenne.

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