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Covid-19 : la responsabilité civile et pénale des dirigeants va freiner les opérations de déconfinement
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Atlantico Business

Le risque de voir actionner la responsabilité civile, financière et pénale des dirigeants politiques comme des chefs d’entreprise pour mise en danger de la vie d’autrui paralyse beaucoup les opérations de déconfinement.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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La peur du risque civil et pénal va sans doute paralyser les dirigeants dans les procédures de déconfinement. Personne n’osera en parler. La question n’est abordée que dans le secret des cabinets ministériels et des conseils d’administration des entreprises, mais la peur d’une mise en cause personnelle des dirigeants pour manquements à leurs obligations de ne pas mettre en danger la vie de la population et plus précisément des salariés les hante. Elle explique en partie les précautions prises dans le cadre de la lutte contre le Covid 19, et notamment la complexité et l’incertitude qui pèsent sur les opérations de déconfinement. On en parle peu, mais des batteries d’avocats et de juristes sont sur le pied de guerre.

Les uns sont au chevet des plaignants, c’est à dire des malades ou des familles qui peuvent considérer que le système de santé a failli dans certains cas. Beaucoup d’avocats se sont aussi mis au service de salariés qui eux considèrent que les conditions de sécurité ne sont pas remplies dans le cadre de leur travail. D’autres juristes enfin travaillent avec le personnel politique pour répondre aux risques de mise en cause dans le cadre des décisions qu'ils sont amenés à prendre quotidiennement, et notamment des directives qu’ils donnent ou qu‘ils ne donnent pas aux administrations.

En ces périodes troubles, tout est possible. Ces risques-là obsèdent les classes dirigeantes qui sont prêtes à prendre leur responsabilité mais pas de décisions qui les conduiraient, compte tenu de la législation, à la barre d’un tribunal qui leur infligerait des peines financières graves et surtout des peines de prison.

La réaction classique est donc de se mettre à l’abri, d’appliquer le fameux principe de précaution et de ne prendre aucun risque.

A l’annonce des premiers signes d’un risque de pandémie, la réaction première des dirigeants politique a été de nier, puis d’attendre jusqu’au jour où le virus s’est mis à circuler en toute liberté dans l’Hexagone. A ce moment-là, la première réaction des services de santé a été de proposer au gouvernement de déclarer l’état d’urgence et le confinement de la population. N’ayant aucune information sur la dangerosité du virus, aucun traitement ni vaccin, et sans doute pas assez de moyens pour traiter les cas les plus graves, les services de santé n’avaient pas d’autres solutions. Pour le président de la République et son gouvernement, une telle décision était gravissime puisqu’elle revenait à enfermer les Français chez eux, ce qui voulait dire que toutes les activités économiques et sociales allaient être arrêtées. Un peu comme si on avait mis le pays en coma artificiel. La décision du confinement n’avait rien d’original. Depuis le Moyen-Âge, les populations se sont toujours protégées en se cachant, en attendant que le virus s’éteigne, ce qui finissait par arriver après avoir fait des millions de morts. La peste noire comme la grippe espagnole ont fait plus de 60 millions de morts à chaque fois. La science ayant fait quelques progrès, on espérait limiter les dégâts, mais personne n’a oublié que le sida a quand même fait 38 millions de morts sur la planète et qu’on n’a toujours pas découvert le vaccin.

Comme dans la quasi-totalité du monde, il n’y a pas eu débat en France sur le principe du confinement. En revanche, il y a eu débat sur les retards accumulés, le pourquoi du comment, les moyens d’accompagnement, les défauts de masques, les respirateurs, les tests et les atteintes à la liberté individuelle. Au chapitre de la situation économique, l’exécutif n’a pas hésité à soutenir massivement le système (chômage et subventions) pour éviter qu’il ne s’écroule subitement. On a mis la France dans le coma et le système économique sous perfusion.

Les procédures de déconfinement posent beaucoup plus de problèmes dans la mesure où on ne dispose ni de traitement ni de vaccin. L’exécutif a donc à choisir entre une priorité évidente de sauver des vies, et une priorité non moins évidente de sauver le système économique. Découvrir une ligne de crête où la morale et l’efficacité, l’intérêt politique et la contrainte financière ne sont pas forcément compatibles revient à trancher un débat et prendre des décisions qui peuvent être sujettes à caution en permanence. Mais quand au bout du logiciel, des vies humaines sont en jeu, les dirigeants ne prennent pas seulement une responsabilité politique (c’est leur risque de base) mais ils prennent aussi une responsabilité personnelle, civile et pénale. Et là, ils ne risquent pas seulement leur carrière, mais ils peuvent risquer leur honneur, leur argent et leur liberté. Du coup, rien ne va plus. Consciemment ou pas, les dirigeants ont tendance à se rassurer en freinant toutes les décisions à risques. Le déconfinement est une opération porteuse de grands risques. Pour les malades, les biens portants, les familles, mais aussi pour les ministres, les grands directeurs d’administration et les chefs d’entreprise.

Dans la sphère publique, les actions en justice vont se multiplier. Depuis le début de la pandémie, les mises en cause de l’action publique et le degré de préparation de l’État ou de ses services, mais aussi de ses gouvernants soulèvent de multiples questions juridiques. Édouard Philippe et Agnès Buzyn font déjà l’objet de plainte sur le fait qu’ils auraient eu « conscience du péril et disposaient des moyens d’action, qu’ils ont toutefois choisi de ne pas exercer ». Les plaignants, qui se composent dans ce cas d’un collectif de personnels soignants, s’appuient sur des déclarations dans la presse, des témoignages pour montrer que le Premier Ministre et son ex-ministre de la santé se sont abstenus « volontairement de prendre ou de provoquer les mesures permettant (…) de combattre un sinistre de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes », en l’occurrence l’épidémie de coronavirus. Selon les textes en vigueur, de tels faits peuvent être punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Ça n’est pas rien.

Dans cette affaire, la Cour de justice sera saisie en raison « des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions » qui seraient des « crimes ou délits au moment où ils ont été commis » (art. 68 AC). Qui peut la saisir ? « Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit » (art. 68-2 all.), soit le Parquet, plus précisément le Procureur général près de la Cour de cassation, peuvent agir. Alors, les procédures seront extrêmement lentes (plusieurs années) si elles vont à leur terme. Parce que ce type de plainte est loin de faire l’unanimité chez les juristes.

Tout dépend si les faits reprochés peuvent être considérés comme constituant un délit. D’autres plaintes sont déposées, reprochant aux responsables politiques un délit d’abstention volontaire de prendre les mesures permettant de combattre un sinistre de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes prévu par l’article 223-7 du Code pénal et qui est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. A noter que ce délit n’a presque jamais été appliqué depuis sa création en 1992. De mémoire de juriste, Il avait été reproché aux autorités maritimes dans le naufrage de l’Erika mais celles-ci ont été relaxées. La question sera de savoir si le délit est applicable à une pandémie ? Est–il applicable à des décisions politiques ?

La majorité des avocats ne croient pas que ces plaintes pourront déboucher. En attendant, les dépôts et les instructions vont évidemment occuper la scène médiatique et accélérer la mise en cause des responsabilités politiques. Cela dit, Il n’y a pas d’obstacle qui interdisent d’appliquer ce délit à des décisions politiques et la jurisprudence rendue en matière de non-assistance en danger a toujours été très sévère. Pour les juristes, une action en responsabilité dirigée contre l’État est envisageable parallèlement aux actions en responsabilité pénale des ministres concernés. Elle est fort probable dans la mesure où toutes les grandes catastrophes sanitaires ont engendré des recours contre l’Etat : le sang contaminé, les procès amiante, le procès plus récent concernant le Médiator. Toutes ces affaires ont provoqué une onde de choc dans la sphère politique, et les victimes ont obtenu réparation du préjudice subi ou alors elles ont au moins obtenu que soit reconnue la carence fautive de l’État. Dans le cas de la pandémie actuelle, n‘importe qui estimant que son dommage est imputable à l’État pourrait saisir le juge administratif : les personnes atteintes par le virus, leurs proches, mais également les victimes collatérales, comme les entreprises dont l’activité a été arrêtée avec le confinement. Personne n’étant épargné par la crise actuelle, tout le monde pourrait, en théorie, saisir le juge qu’il s’agisse de reprocher à l’État d’en n’avoir pas assez fait, ou au contraire d’en avoir trop fait. Cette situation pandémique va donc forcément ouvrir une séquence juridique et judiciaire très longue, très compliquée et sans doute impactant les responsables politiques qui essaient de s’en protéger au maximum. Avec deux périodes sensibles. Celle qui couvre le mois de janvier et février. Et celle qui va couvrir la période du déconfinement.

Mais les responsables politiques ne sont pas les seuls menacés de poursuites, tous les chefs d’entreprises sont eux aussi sur la sellette. La plupart se posent la question de leur responsabilité juridique, financière et pénale notamment sur l’obligation de sécurité qu’ils doivent à leurs salariés.

D‘une façon générale, pandémie ou pas, les entreprises ont une obligation de sécurité (article L.4121-1 du Code du travail) et dans le cadre de la lutte contre le coronavirus, ils doivent signaler et interdire les zones à risques, écarter les salariés, et recourir au télétravail si c’est possible ; ils doivent fournir des masques et des gels. Face à ces obligations, l’employeur court des risques d’être assigné devant le conseil des prud'hommes pour manquement à la sécurité.

Au pénal, si le chef d’entreprise est confondu de négligence, il peut être poursuivi pour mise en danger de la vie d’autrui. Les sanctions peuvent aller jusqu'à 15 000 euros d’amende et un an de prison pour les personnes physiques ; 75 000 euros pour les personnes morales. Il pourrait à l'avenir être obligé de reconnaître le coronavirus comme maladie professionnelle s’il était prouvé que la maladie a été causée par le travail de la victime, ce qui sera quand même compliqué vu que le virus circule partout.

Le salarié, lui, a tout à fait la possibilité d’exercer son droit de retrait. Il lui suffit d’avoir « un motif raisonnable de penser qu'il court un danger grave pour sa santé ou sa vie. » L’entreprise, elle, a intérêt à prendre toutes les mesures de protection et de sécurité si elle ne veut pas être devant des exercices de droits au retrait.

Sur ce terrain aussi, inutile de préciser que beaucoup d’avocats et de syndicats veillent au grain et sont à l’affut d’affaires qui pourraient faire l’objet de plaintes qui leur vaudraient, en plus, une belle couverture médiatique. Ceux qui se sont occupés de traîner en justice Amazon obligeant le géant américain à fermer ses entrepôts ont réussi leur coup de pub.

Cela étant, les salariés aussi ont une obligation quasi juridique, celle de protéger leur santé et celle d’autrui. La non-pratique des gestes barrières, se laver les mains, prendre du gel hydro-alcoolique, et porter un masque quand c’est obligatoire, peut entraîner des plaintes à leur encontre venant de l’employeur ou d’autrui qui peut en être victime. Comme le salarié, le chef d’entreprise a besoin de se protéger.

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