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Mensonges, désinformation et insultes : quand une lettre de l’Ambassade de Chine en France dévoile le jeu politique de Pékin
©Greg Baker / AFP

En plein jour

Le 12 avril, l'ambassade de Chine en France publie un communiqué à l'intention des journalistes Français. L'ambassade tire a boulets rouges sur les élus, les journalistes, le chercheurs...

Antoine  Bondaz

Antoine Bondaz

est chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).

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Atlantico : En quoi les propos tenus par l'ambassade de Chine en France vous ont-ils choqué ? Pourquoi doivent-ils être dénoncés ?

Antoine Bondaz : Le communiqué de l’Ambassade en date du 12 avril est une honte. Rumeurs, désinformation, insultes, tout y est. Elus, journalistes, chercheurs, tout le monde est attaqué. Ce n’est pas le premier dérapage de l'Ambassade. Rappelons par exemple qu’il y a quelques semaines, le compte twitter de l’Ambassade likait un post affirmant que « BFM et et les médias fascistes » feraient « la propagande du suprémacisme blanc ». Mais ce dernier communiqué franchit un nouveau seuil inquiétant.

Des faits imaginaires sont généralisés à l’instar de cette affirmation que les personnels soignants des EHPADs auraient « abandonné leurs postes du jour au lendemain, déserté collectivement, laissant mourir leurs pensionnaires de faim et de maladie ». Des propos inacceptables sont inventés comme cette affirmation que les dirigeants européens et américains auraient déclaré « que le virus ne frappait que les Jaunes ». Des élus qui ont co-signé une tribune saluant la gestion de crise par Taiwan et demandant l’inclusion de l’île à l’OMS sont attaqués et présentés comme soutenant des propos racistes inadmissibles jamais tenus par les autorités taïwanaises.

Ces propos indignes sont inadmissibles de la part de la représentation diplomatique d’un pays en France. Ne pas le dénoncer, c’est cautionner qu’une Ambassade peut, sans le moindre respect, se comporter ainsi. Ne pas réagir, c’est inciter les autorités chinoises à poursuivre cette campagne publique d’injures. Aujourd’hui il s’agit de déclarations, mais demain ?

Ces propos traduisent-ils la posture adoptée par la Chine sur la scène internationale ?

Cela fait de nombreuses années que le Parti Communiste chinois cherche à « mieux raconter l’histoire de la Chine et mieux faire entendre la voix de la Chine », des propos tenus par le Secrétaire général du Parti, Xi Jinping, en aout 2013 lors d’une conférence sur la propagande. L’agressivité chinoise dans les propos et les manœuvres de désinformation ne sont pas nouvelles, mais beaucoup en Europe n’en avait pas conscience car celles-ci visaient principalement les voisins asiatiques du pays.

Depuis plusieurs semaines, les autorités chinoises cherchent à faire accepter leurs éléments de langage à l’étranger en empêchant tout analyse critique. Avec la pandémie de Covid-19, elles se sont lancées dans une campagne de communication, et parfois de désinformation, sans précédent visant à minimiser les responsabilités du pays et à mettre en avant la supériorité de leur modèle de gouvernance en cherchant à discréditer les démocraties.

Personne ne nie les erreurs et les dysfonctionnements à l’étranger dans notre réponse à la pandémie, et une analyse de ceux-ci sera incontournable à l'issue de la crise sanitaire. Personne ne nie également que certaines mesures fortes prises les autorités chinoises comme le dépistage massif et ciblé, l'identification et l’isolement des cas déclarés, et la mobilisation générale du pays, ont été efficaces. Cependant, les diplomates chinois font volontairement la confusion entre sacrifices de la population chinoise, mesures techniques et modèle de gouvernance afin de délégitimer toute critique. Pire, ils discréditent tout raisonnement qui n’irait pas dans la ligne fixée par le Parti, et oublie volontairement de rappeler la censure et la propagande qui s'est encore renforcée en Chine.

Comment la France doit-elle réagir ?

Notre dépendance actuelle à la Chine, notamment en termes d’importation d’équipements de protection, a de fait des conséquences politiques. Il est difficile pour le Quai d'Orsay de dénoncer publiquement les propos intolérables tenus par l'Ambassade de Chine en France. Cependant, je suis persuadé qu’il y a un juste milieu et, qu’au niveau adéquat, les autorités puissent s’indigner de ces propos auprès des autorités chinoises. Je ne doute pas que cela est fait de façon discrète et adaptée.

Plus largement, le silence de la classe politique, et notamment des députés et sénateurs des groupes d’amitié France-Chine est assourdissant. La représentation nationale devrait dénoncer publiquement ces propos ce qui ne signifierait pas remettre en cause nos relations bilatérales mais approfondir des relations bilatérales indispensables de façon respectueuse et sereine. Par ailleurs, le Congrès américain a créé en 2000 une Commission en charge de l’étude des relations économiques et de sécurité avec la Chine. Il serait tout à fait concevable de le faire en France, comme je le proposais à la Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale en décembre dernier.

Enfin, les journalistes et les chercheurs ont un rôle important à jouer. Non pas tant car ils sont directement visés par ces propos, mais car il est indispensable de faire prendre conscience à la population que de tels propos sont inacceptables. Comme je le dis souvent, il ne faut ni fermer les yeux, ni fermer la porte. Coopérer avec la Chine est indispensable mais il faut le faire en défendant nos principes, en exposant clairement nos différends, et en dénonçant des propos intolérables, surtout quand ils sont tenus par des diplomates chinois en France.

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