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Pourquoi qualifier les médecins et autres travailleurs du « front » de héros n’est pas forcément leur rendre service
©BERTRAND GUAY / AFP

Lourde casquette

Qualifier les soignants de "héros" peut avoir pour conséquence de nier leur vulnérabilité, et donc la possibilité de pouvoir exprimer leur désarroi face à une situation exceptionnelle et parfois dramatique.

Sylviane Barthe-Liberge

Sylviane Barthe-Liberge

Sylviane Barthe-Liberge est psychologue clinicienne et psychothérapeute. Elle anime et publie sur son site personnel : www.consultations-psychologue.com.

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Atlantico : Alors que la pression est déjà à son paroxysme pour le personnel hospitalier, le terme de « héros » peut-il être lourd à porter ? Ce rôle peut-il rajouter un stress supplémentaire à nos soignants ? 

Sylviane Barthe-Liberge : Nous vivons une situation exceptionnelle et particulièrement angoissante pour chacun de nous sur cette planète. Les soignants, et tous les professionnels qui œuvre actuellement, font un travail exceptionnel sans aucun doute. Mais ce ne sont pas des surhommes. Ce sont des personnes engagées de part leur profession, de part leurs convictions et valeurs. Les qualifier de « héros », c’est leur faire porter un costume sacrificiel. C’est nier leur vulnérabilité, et donc la possibilité de pouvoir exprimer leur désarroi face à une situation exceptionnelle et parfois dramatique, leur interdire de parler de leur stress et de leurs angoisses. Car, au-delà de leur engagement, ils ont les mêmes craintes que chacun de nous, l’infection par le coronavirus, pour eux, pour leurs proches.

Aujourd’hui, les politiques et la population semblent découvrir ces professionnels. Mais ce qu’ils font aujourd’hui, ils le font chaque jour de l’année, avec autant d’implication et de bienveillance. Le coup de projecteur de la pandémie devrait nous alerter sur leurs conditions de travail devenues délétères depuis ces dernières années.

Il me semble que, encore plus avec cette pandémie, nous devrions éviter de leur mettre une charge mentale supplémentaire avec ce terme de « héros». La société et les médias ont besoin de héros. Mais c’est un leurre car nous référer à des icônes nous déresponsabilise : le risque est de tout attendre de quelques professionnels, oubliant que nous avons nous aussi notre rôle à jouer dans la lutte contre ce virus.

Dépeindre leur engagement comme héroïque permet en fait de masquer l’état de destruction du système hospitalier : on loue l’engagement de professionnels, dont le métier est de sauver des vies, mais avec un manque manifeste de moyens qui les rend aujourd’hui héroïques.

Que signifie le rôle de héros ? Avons nous tendance à négliger l'« humain » sous la blouse en appelant ainsi le personnel soignant ? 

Le terme de héros surgit fréquemment à l’occasion de faits divers, produit du système médiatique, généralement drapé de l’étoffe éphémère que lui accordent les médias et l’opinion publique. L’héroïsme est aussi difficile à définir aujourd’hui qu’hier. Il prend les héros eux-mêmes par surprise. Dans l’instant de l’héroïsme, la vie des héros vaut moins que l’évidence qui traverse leurs corps. Mais le définir trop précisément, ce serait déjà trahir l’héroïsme.

Le héros accomplit un exploit extraordinaire au service de la communauté. Son engagement physique le conduit au dépassement de lui-même, au péril parfois de sa vie. En cela, nos soignants se montrent héroïques. Et si l’on en croit André Malraux, « Il n’y a pas de héro sans auditoire ». Ainsi, depuis des semaines, les médias relatent leur travail et leur engagement, trouvant écho dans l’estime publique.

Le héros résiste à toutes les tempêtes (ou épidémies), contre vents et marées (contre tous virus), sans sourciller, sans le moindre doute. Il est le sauveur espéré. Qualifier les soignants de héros, c’est oublier que derrière les blouses (et les masques), il y a des être humains en proie à des angoisses, des stress, des doutes, des peurs. Leurs nerfs sont mis à rude épreuve depuis des semaines, sans connaître la date de fin de cet enfer. Ils sont parfois amener à faire des choix qui vont à l’encontre de leurs valeurs. Ils parent au plus pressé sans vraiment avoir de visibilité. En cela, leurs actes sont héroïques.

Enfin, être un héros, c’est nier ses besoins, ses envies, mais aussi ses peurs, ses craintes, ses angoisses… C’est être uniquement au service des autres, quelles que soient les conditions. Le héros privilégie l’être à l’avoir : par fidélité à ce qu’il est, il est capable de renoncer au « confort matériel ». Or il n’est pas acceptable que nos soignants se « sacrifient » par manque de moyens techniques. En cela, ils ne sont pas des héros, et n’ont pas à l’être. Ce sont des personnes courageuses, mais pas des héros.

Ces dernières semaines, les initiatives positives en faveur du personnel hospitalier sont nombreuses  : applaudissements à 20 heures, repas envoyés, banderoles ou dessins d’enfants collés aux fenêtres, cellules psychologiques dédiées aux personnels soignants mis en place… Comment, pouvons-nous à notre échelle, alléger la charge mentale de ces professionnels ?

Alléger la charge mentale de tous ces professionnels, et pas seulement les soignants, qui œuvrent actuellement pour notre sécurité sanitaire, c’est déjà de respecter le confinement et les gestes barrières. C’est arrêter la discrimination comme on a pu l’entendre : des infirmières qui se font prendre à parti parce qu’elles font leurs courses au supermarché, ou des injonctions de voisins qui demandent à des soignants de se garer ailleurs que dans leurs résidences par peur de la transmission du virus… C’est aussi les respecter en ne volant pas leur matériel.

Toutes les actions mises en place depuis plusieurs jours sont les bienvenues : les applaudissements, les dessins d’enfants, les livraisons de repas, les cellules d’écoute (même si je doute qu’ils aient le temps d’y avoir recours car ils gèrent des urgences)… Tout cela est précieux. Le rire et l’humour sont aussi des armes indispensables dans cette guerre, autant que la solidarité et le respect.

Mais il ne faut pas que cela soit temporaire et qu’une fois l’épidémie passée, nous oublions qu’ils ont besoin de moyens pour travailler décemment. C’est aussi reconnaître leur travail par une revalorisation prenant en considération leur expertise et leur engagement, en leur donnant les moyens de se protéger. Il serait également souhaitable que les cellules d’écoute restent actives après l’épidémie, car c’est plus à ce moment-là qu’ils auront besoin de notre écoute et de notre expertise. Quand ils pourront enfin, à nouveau, penser à eux.

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