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Abjurez le libéralisme et vous serez sauvé !
©GONZALO FUENTES / POOL / AFP

Contagion

Julie Graziani revient sur la crise du coronavirus, son impact sur la société, le message de la classe politique et sur le modèle libéral.

Aux temps anciens, les épidémies trainaient dans leur sillage une cohorte de prophètes qui, de processions en pénitences, clamaient qu’elles trouvaient leur origine dans les péchés de la multitude. Il fallait les prendre comme un signe du courroux divin, avertissement délivré par le ciel en vue de notre conversion, une perche à saisir en quelque sorte pour éviter de plus grandes catastrophes. Vous trouvez cela stupide et arriéré et vous avez raison. 

L’épidémie contre laquelle l’humanité se bat depuis plusieurs mois fait pourtant ressurgir ce vieux canevas narratif. Dans son discours inaugural de la période de confinement le Président de la République avait donné le ton : « le jour d’après ne sera pas comme le jour d’avant ». Sans surprise, c’est du côté des écologistes que ses bénéfices secondaires sont les plus appréciés : confinement oblige, l’empreinte de l’homme sur la planète se fait moins visible et la nature reprend ses droits, de la qualité de l’air au retour d’espèces sauvages dans des zones rendues au silence et à la solitude. Un mal pour un bien en quelque sorte ou, comme le dit Nicolas Hulot avec un brin de superstition, « un ultimatum que la nature nous adresse ». Dans le même esprit, le député Matthieu Orphelin (ex-LREM), en plein débats sur la loi d’urgence sanitaire, se prenait à rêver d’un « grand plan de transformation de notre société en faveur du climat, de la biodiversité, de la solidarité et de la justice sociale ». Visionnaires de l’après-crise, Philippe Martinez (CGT), Aurélie Trouvé (Attac), Jean-François Julliard (Greenpeace) et Cécile Duflot (Oxfam) lui emboitent le pas, dans une tribune commune publiée, vendredi 27 mars, sur France Info, faisant de la crise du coronavirus un révélateur des « profondes carences des politiques néolibérales » et lançant un appel "à toutes les forces progressistes et humanistes (...) pour reconstruire ensemble un futur, écologique, féministe et social, en rupture avec (…) le désordre néolibéral". Convertissez-vous ou vous resterez vulnérables et démunis lorsque frappera le prochain virus.

Le cerveau humain est configuré pour produire du signifiant, même à partir d’éléments disparates. Il déteste le hasard, la contingence, l’absurde. Il est insoutenable que des gens meurent par milliers et que cela n’ait aucun sens. Cela s’appelle un biais cognitif et c’est cette caractéristique de notre intelligence qui permet à l’humanité d’élaborer des récits. Sauf que cette disposition de l’esprit est aussi le terreau de toutes les crédulités. Les oracles des militants de la justice sociale ne sont que la version sécularisée de la théorie du châtiment divin : la crise sanitaire y devient le produit de notre faute collective et l’occasion d’une rédemption si nous acceptons de les écouter et de changer notre modèle de société. Il faut pourtant, quand la mort rode, avoir la décence de ne pas nourrir ses obsessions habituelles, ne serait-ce que par respect pour les victimes qu’il est douteux d’instrumentaliser au service d’un agenda politique. Il faut aussi, quand la maladie vient bouleverser tous nos repères, avoir l’humilité d’avouer qu’aucun modèle de société n’est spontanément configuré pour affronter, sans tanguer, une catastrophe de cette ampleur. Il faut enfin ne pas faire d’un cas de force majeure, par hypothèse imprévisible et dramatique, le fondement d’une nouvelle norme. 

La seule chose que révèle cette crise est que notre modèle libéral se fait spontanément solidaire quand les circonstances l’exigent, et c’est tant mieux. Les banques prêtent à taux zéro, des entreprises participent à l’effort national en produisant qui du gel, qui des masques, la grande distribution écarte le spectre de la pénurie sans considération de rentabilité et l’Etat suspend certains prélèvements obligatoires. Aussi nécessaires soient-ils aujourd’hui ces comportements désintéressés n’ont pas vocation à perdurer, une fois la crise passée. Le jour d’après, nous reprendrons le cours de vos vies : les entreprises chercheront à réaliser des bénéfices, les prêts produiront intérêts et l’Etat lèvera l’impôt tandis que nous nous inquiéterons de notre pouvoir d’achat. Aujourd’hui comme hier, les agents pathogènes ne sont porteurs d’aucun message.

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