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Edouard Philippe joue la carte de l'humilité (et s'avère meilleur acteur qu'Emmanuel Macron)
©ALAIN JOCARD / AFP

Premier ministre face à la crise

TF1 a diffusé une longue interview d'Édouard Philippe sur la crise du coronavirus. L'exercice, encadré par Gilles Bouleau, a donné l'occasion au Premier Ministre de livrer un numéro de communication sur le mode de l'humilité qui tranche avec la "pédagogie" verbeuse du Président. Mais la chaîne a soigneusement évité les questions embarrassantes.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Florian  Silnicki

Florian Silnicki

Florian Silnicki est Expert en communication et Président Fondateur de l'agence de communication de crise LaFrenchCom (https://www.lafrenchcom.fr)

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Retrouvez l'analyse de Florian Silnicki sur l'intervention du Premier ministre Edouard Philippe : 

Florian Silnicki : Cette intervention illustre parfaitement les choix stratégiques de communication de crise de l''exécutif basée sur la saturation médiatique et sur l'installation progressive d'un storytelling autour des contraintes de confinement.

Le positionnement du Premier ministre tenait à montrer qu'il était là pour informer les Français sur la situation de crise que le pays traverse. Jamais un Premier ministre n'avait reconnu ne pas savoir répondre à autant de questions posées par un journaliste. Il est vrai que c'est effiace, cela valorise l'humilité de la posture adoptée par le Premier ministre. L'humilité est la condition sinequanone de la résilience dont il a besoin pour le pays mais il y a beaucoup d'incertitudes dans les réponses faites ce jeudi soir, il y a peu de concret qui pourrait rassurer les Français à ce stade.

De nombreux Français avaient besoin ce soir d'être informés de l'évolution de l'épidémie, d'être rassurés sur la mobilisation du gouvernement, sur l'efficacité du confinement et sur les perspectives du déconfinement. C'est donc ainsi qu'il a séquencé sa communication de crise. 

Edouard Philippe tente d'être pédagogue, mais ses réponses sont vraiment trop longues. Elles perdent le spectateur dans un tunnel d'éléments de langage parfois peu lisibles. 

Cette intervention du Premier ministre souligne un point intéressant : est-ce qu'à ce moment de la crise il était préférable ou non de communiquer alors que le gouvernement n'a pas d'éléments concrets nouveaux à faire partager aux Français ?

C'est un choix stratégique de communication de crise qui est ici illustré. Au-delà de quelques informations factuelles données notamment sur le bac ou, en creux, sur le déconfinement qui n'est pas à l'ordre du jour, cette intervention illustre la stratégie de saturation médiatique adoptée par le Premier ministre : il a choisi de communiquer pour occuper l'espace médiatique, en communiquant sur la mobilisation de l'équipe gouvernementale. La communication de crise  a horreur du vide, la communication politique encore plus. Il s'agit donc de ne pas laisser les messages de l'opposition s'imposer dans le débat.

C'est enfin un Premier ministre qui insiste sur l'imprévisibilité de la crise, comme pour contrer les critiques qui pourraient naître sur le manque d'anticipation, et qui ne cède rien face aux critiques émises sur la gestion de la crise. C'est un Edouard Philippe qui ne fait pas de mea culpa. Cela manque sans doute. Notamment sur les masques quand il a été interrogé par le docteur Pothet.

Retrouvez le décryptage et l'analyse d'Eric Verhaeghe sur l'intervention d'Edouard Philippe sur TF1

Eric Verhaeghe : TF1 n’a rien à envier au service public. L’interview d’Édouard Philippe avait tout pour permettre au chef du gouvernement de rassurer les ouailles, tous ces Français que le détenteur du pouvoir exécutif a présenté comme des gens indisciplinés et un peu immatures qui ont besoin d’être mis sous pression pour ne pas se relâcher face au confinement. Dans cet ensemble, qui tranchait avec l’exercice plus incisif de France 2 à la même heure, aucun détail n’a été laissé au hasard. 

TF1 permet à Édouard Philippe de jouer aux modestes

Le coronavirus angoisse beaucoup les Français, autant qu’il nourrit en eux un vif ressentiment contre un gouvernement qui ne les a pas préparés à la crise, et qui n’a tout simplement pas préparé la crise. Jour après jour, les révélations se succèdent sur la gestion cataclysmique d’une épidémie pourtant prévisible depuis le mois de janvier. L’enquête publiée par Mediapart a permis d’étayer le sentiment que le gouvernement et les hauts fonctionnaires qui le servent ont gaspillé de précieuses semaines dans l’anticipation des événements. 

Pour Édouard Philippe, il devient donc indispensable de recoller les morceaux d’un vase dangereusement cassé en amenant dans les esprits un autre story-telling que celui qui tourne désormais en boucle sur les réseaux sociaux. 

Pour y parvenir, Édouard Philippe a eu droit à près de deux heures de réponses qui lui ont permis de nuancer l’image d’arrogance et de moralisation hautaine qu’imprime Emmanuel Macron quand il prend la parole. À de nombreuses reprises, le Premier Ministre a confié qu’il n’avait pas de réponses aux questions posées, et que la période qui s’annonce serait dure. 

Cet exercice de modestie permet un atterrissage progressif du gouvernement au milieu d’une population interloquée par le naufrage de la gestion de crise et par l’incapacité du gouvernement à la reconnaître. 

Une complaisance qui sera retenue contre la chaîne

Une question se pose dans cet exercice : arrive-t-il trop tard et est-il encore temps de colmater les brèches ? Gilles Bouleau n’aura en tout cas ménagé ni son temps ni sa peine pour y parvenir. 

Par exemple, sur la question désormais explosive du port du masque pour se protéger de la contamination, le présentateur a bien pris garde de ne pas porter la contradiction à son interlocuteur. On sait désormais que l’État a tardé à commander des masques en nombre suffisant, et qu’il s’est montré incapable de les commander en urgence. Face à la pénurie (qui explique 1.200 collaborateurs de l’AP-HP soient, semble-t-il, contaminés), le gouvernement a fait contre mauvaise fortune bon coeur en expliquant que le masque n’était pas utile pour freiner l’épidémie. 

Lorsqu’Édouard Philippe a dû répondre à la question posée sur le nombre de masques, Bouleau a soigneusement évité de lui demander de réagir à l’enquête de Mediapart, et il a évité de le taquiner sur le mensonge évident sur le sujet. Bien entendu, les pays qui s’en sortent le mieux sont ceux qui imposent le port du masque à l’ensemble de la population. 

À une autre question sur le fait que les élites avaient accès aux tests interdits à la population, Édouard Philippe a esquivé en mode énarque qui t’embrouille, et Gilles Bouleau l’a remercié d’avoir répondu clairement. Ce petit jeu de connivence peut-il encore berner une opinion qui s’informe désormais sur les réseaux sociaux ?

Même en Chine, le pouvoir communiste n’ose plus pratiquer de cette façon, ce qui classe la France à un rang proche de la Corée du Nord en termes de soumission des médias. 

C’est ce qui embarrasse dans cette émission. Il y a deux mois, elle aurait pu passer pour un exercice d’humilité appréciable. Aujourd’hui, elle ressemble à une prise de conscience trop tardive qui intervient à contre-temps. Dans l’esprit des Français qui s’informent sur les réseaux sociaux, les sujets traités par Philippe étaient déjà dépassés. 

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