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Covid-19 : unité nationale où es-tu ?
©ludovic MARIN / AFP / POOL

Cohésion

Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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L’ampleur et la violence de la crise sanitaire liée au covid-19 a conduit depuis quelque temps le retour de l’expression « union nationale » dans le discours politique et médiatique.  Cette expression « union nationale » fait son retour à l’occasion de chaque crise majeure : quatre cinquième des Français étaient favorables à un gouvernement d’union nationale après les sanglants attentats islamistes du 13 novembre 2015.

Il est donc utile de regarder cette thématique de l’union nationale dans l’histoire des trois dernières Républiques françaises et son usage récent par les responsables politiques.

Union nationale veut normalement dire gouvernement d’union nationale

Le thème d’union nationale est habituellement assimilé au « gouvernement d’union nationale » rassemblant dans le même exécutif l’essentiel des forces politiques. Cette configuration transforme fondamentalement la nature du débat politique entre majorité et opposition et s’est trouvée justifiée dans l’histoire que dans des situations de grands périls, principalement de nature militaire, mais aussi face à des situations institutionnelles ou économiques exceptionnelles.

Cette configuration politique hors normes n’est pas sans risque puisque l’échec d’un gouvernement d’union nationale supprime la possibilité d’alternance avec des forces d’opposition « traditionnelles » alors associées à l’exercice du pouvoir au profit d’autres forces ou scénarios politiques.

Les gouvernements d’union nationale de 1914 à 1962

Les premiers gouvernements d’union nationale sont ceux de « l’union sacrée » évoquée dès le 4 aout 2014 par le Président de la République Raymond Poincaré : « « la France sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne brisera devant l'ennemi l'union sacrée et qui sont aujourd'hui fraternellement assemblés dans une même indignation contre l'agresseur et dans une même foi patriotique ». Les différents gouvernements d’union incluent l’extrême gauche mais pas la droite nationaliste.

L’utilisation littérale de l’expression « gouvernement d’union nationale « correspond au quatrième gouvernement du même Raymond Poincaré alors président du conseil (1926-1928), suite au renversement d’alliance du parti radical qui quitte les socialistes de la SFIO pour rejoindre la droite, pour former à la Chambre des députés un bloc de 70 % des députés (proposition massive compte-tenu d’un mode de scrutin à la proportionnelle de l’époque) pour tenter de règles les désordres économiques et financiers d’alors.

L’entrée en guerre de 1939 conduit au retour des gouvernements d’union national. Le grand exclu est cette fois ci le parti communiste qui est d’ailleurs interdit en septembre 1939 par suite du pacte germano-soviétique. Si les gouvernements Daladier puis Reynaud sont soutenus par 63 % des députés, le gouvernement de Philippe Pétain est soutenu par 536 des 608 députés de la Chambre (88 %) pour faire la paix avec l’Allemagne suite au désastre militaire et mettre fin à la République.

Les troubles de l’époque conduisent à une nouvelle configuration d’union nationale via le comité français de libération nationale (1943-1944) et le Gouvernement provisoire de la République française (1944-1946) réunissant l’ensemble des forces de la Résistance. Ils concernant en particulier les deux gouvernement du général de Gaulle jusqu’à son départ en janvier 1946.

La crise algérienne ramène en 1958 deux nouveaux gouvernements d’union nationale excluant les communistes, d’abord le troisième gouvernement de Gaulle (dernier de la Quatrième République) et le gouvernement Debré (premier de la Cinquième) après présence des socialistes au gouvernement jusqu’en 1962.

Il n’y a pas eu depuis de près ou de loin de gouvernements d’union nationale, ni après l’élection de Jacques Chirac avec 82,2 % en 2002, ni après les attentats de novembre 2015. Cette organisation des pouvoirs publics correspond donc à des circonstances historiques exceptionnelles (guerre, déstabilisation économique, risques de guerre civile, changement d’institutions) très différentes de l’actuel contexte de crise sanitaire touchant toute la planète.

La majorité : une union nationale sans gouvernement d’union nationale

Il n’y a à date aucune proposition de la majorité présidentielle et parlementaire de constituer un gouvernement rassemblant majorité et opposition, qui inclurait de fait LFI, LR, le PS et le RN.

Donc la thématique de l’union nationale consiste essentiellement à « faire bloc » comme l’a dit le Président Emmanuel Macron mardi 24 mars à Mulhouse. Le président du groupe La République en marche à l’Assemblée nationale a expliqué samedi 28 mars que l’union nationale consistait à « être tous réunis dans la phase de crise actuelle aiguë pour gagner cette bataille », en fustigeant ce qui ressemble à un « en même temps » de toutes les oppositions : « l'étendard de l'unité dans une main, la dague politicienne dans l'autre. ». Bref « Il n’y a pas d’union nationale à mi-temps, il n’y a pas d’union nationale à géométrie variable".

L’opposition : (relative) modération oui, union nationale non merci

Les différentes oppositions ne semblent pour leur part fort peu désireuses de participer à un gouvernement d’union nationale et suivent avec défiance ces appels de la majorité à l’union nationale, d’autant plus qu’elles ne veulent en aucune manière être comptables de la gestion de la crise par l’exécutif et de l’anticipation qui en a été faite.

Avec des nuances variées, leur attitude consiste à maîtriser à court terme la virulence de leurs propos, à soutenir y compris par leurs votes tout ou partie des mesures d’urgence portées par le gouvernement, tout en veillant soigneusement à garder une contribution « positive » d’alerte et de critique pour « corriger » l’action du gouvernement.

Ils réfutent en outre en bloc une mise sous le boisseau du cadre démocratique et du Parlement et ce qu’ils considèrent comme une culpabilisation de l’opposition : « la démocratie n’est pas mise en quarantaine » (PS, sénateur Rachid Temal), « l’unité nationale, ce n’est pas le devoir de se taire » (LR, sénateur Bruno Retailleau).

Certains propos sont beaucoup plus négatifs. Ainsi l’union nationale est qualifiée de « nième ineptie et soumission à l’émotion médiatique collective, mélange de mièvrerie et d'entre-soi contre-productif » (LR, porte-parole Lydia Guirous).  Pour Marine Le Pen (FN), qui considère avoir alerté sur le coronavirus en avance de phase, la demande d’union nationale consiste à « participer aux mensonges du gouvernement et couvrir ses incompétences ».

La configuration de la crise

Les sondages d’opinion ne vont pas beaucoup aider aujourd’hui la thématique d’une union nationale derrière l’exécutif : le baromètre politique Odoxa publié le 27 mars 2020 a pour titre « union nationale gâchée » : les deux-tiers des Français pensent aujourd’hui que le gouvernement n’en fait pas assez face à l’épidémie (une proportion inverse à celle de mi-mars) et n’est pas à la hauteur de la situation, à la différence des préfets, des entreprises et des maires.

La thématique de l’union nationale est donc en train de s’user. Il y a donc peu de chance de voir aujourd’hui un quelconque gouvernement d’union nationale, le seul consensus de l’opposition étant une – relative – modération dans la critique à court terme pour régler les comptes politiques plus tard, par des commissions d’enquête ou tout autre moyen.

Mais tout change très vite dans une situation inédite et très fluide…

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