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Emmanuel Macron à Mulhouse : prétention sémantique, arrogance politique
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Coronavirus

La communication présidentielle à encore frapper. Jamais pour le meilleur et toujours pour le pire.

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : Emmanuel Macron, en direct de l’hôpital militaire de campagne, à fait une nouvelle allocution au sujet du coronavirus. Il a notamment déclaré qu’il allait prendre des « décisions plus profondes »   pour là nation. En faisant une telle déclaration, Emmanuel Macron ne s’avance-t-il un peu trop vite ? Plutôt que d’attendre quelques décisions les français n’attendent plutôt du président qu’il gère l’actuelle crise ?

 Arnaud Benedetti : C’est un Président inquiet qui a parlé . Comme s’il prenait conscience que l’unité nationale qu’il appelait de ses vœux se heurtait à un fond de scepticisme , voire de défiance . L’unité nationale c’est comme l’amour : il faut des preuves . Quelles sont ces preuves ? Les moyens tout simplement . De partout dans le pays des professionnels de santé ne cessent de dénoncer le désarmement sanitaire . Leur parole porte plus que celle de l’exécutif et des éditorialistes mondains qui relaient la com’ paradoxale du gouvernement . Le discours présidentiel se voulait mobilisateur sur ces marches de l’Est dont l’histoire profonde porte tant de cicatrices de notre histoire nationale . Mais n’est pas Clemenceau qui veut . Le chef de l’Etat s’est voulu empathique , pour sa première ligne de front , les soignants dont il a compris qu’ils infusaient l’opinion , pour l’arrière aussi qui continue au fil de l’eau à faire tourner  l’économie , mais le temps presse , l’épidémie s’étend , et les questions logistiques restent entières  : les masques , les respirateurs , le manque de lits , les tests , la chloroquine . Le directeur de l’Ap-hp , lui même , a lancé un cri d’alarme sur l’absence de visibilité à trois jours qui était la sienne . L’intervention présidentielle voulait justifier l’action de son gouvernement , mais aussi fustiger - c’est le début de son allocution - ceux qui critiquent la stratégie de l’Etat dans cette crise . Il y avait dans l’adresse d’Emmanuel Macron des réminiscences du " vent mauvais " , ce discours d’Août 41 d’un autre chef de l’Etat dans une période plus lourde encore  cela va sans dire ...

 Alors que la crise s’aggravera , ce type de déclaration  n’est-il pas l’exact opposé de ce qu’attende les français ? Plutôt que de promettre un changement futur, Emmanuel Macron ne devrait-il pas agir en ce moment même ?

 Il signe une traite sur l’avenir en annonçant un plan d’investissements pour les hôpitaux et une revalorisation des carrières de leur personnel . Il veut donner des raisons d’espérer à ceux qui luttent en ce moment . Il leur annonce un avenir meilleur pour les faire tenir sur la ligne de crête de l’urgence . Tout au demeurant dans son intervention visait à réparer par les mots les blessures dont la com’ gouvernementale est parfois, hélas,  prodigue . Le Président s’est presque fait la voiture-balaie des " gaffes " de certains de ses ministres , à commencer par la porte-parole du gouvernement , qui quelques heures auparavant avait expliqué que les enseignants ne travaillaient pas , alors qu’ils assument pleinement la continuité du service . Le Président , conscient de l’émoi suscité par cet impair , a tenu à leur rendre hommage . La réalité c’est que le retard pris dans la gestion de la crise contraint l’acheminement des moyens au moment où le pic épidémique se rapproche . Face à l’anxiété qui grandit , le chef de l’Etat surinvestit dans la com’ pour tenir l’opinion , la faire patienter . Le problème c’est qu’on attend toujours les taxis de la Marne ...

Alors que sa gestion de l’épidémie de coronavirus risque d’être grandement remise en question après la crise, Emmanuel Macron aura-t-il le luxe d’accomplir de tels changements « profonds » ?

Il y aura évidemment un après . Il faudra bien sûr comprendre pourquoi et comment nous en sommes arrivés là ? Pourquoi il y a eu sous-estimation manifeste notamment du risque ? Mais la crise actuelle remet aussi et surtout en question les certitudes sur lesquelles se sont bâties les assurances de nos classes dirigeantes depuis des décennies . Leur atmosphère est profondément bouleversée . Mais rien ne démontre qu’elles aient pris réellement conscience de la texture de l’événement . Quant on entend hier matin la présidente de la commission européenne se félicitait à grand renfort de tweets du progrès de la procédure d’élargissement de l’UE à l’Albanie et à la Macédoine , ce alors que l’Europe est catapultée  par un virus hors contrôle qui met à bas son économie et plus encore sa société , se dégage le sentiment insoutenablement persistant d’une idéologie élitaire hors-sol qui n’entend pas renoncer à sa vision du monde . Or , Emmanuel Macron , fils de cette conception , saura t’il se faire l’apostat de cette dernière ? En aura t’il la volonté et surtout les moyens ?

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