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Démocratie par temps d’épidémie, quelle place pour la critique politique ?
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Résultats municipales

Que restera-t-il de ce premier tour des élections municipales ? Aucune victoire, aucune défaite, mais un étrange sentiment face à la crise qui guette.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico: Comment jouer son rôle d'opposants au pouvoir dans ce contexte si particulier ? Que signifie "être responsable" comme le dit le gouvernement ?

Christophe Bouillaud: En théorie, un opposant, surtout s’il aspire à gouverner, doit proposer une autre ligne d’action que celle mise en œuvre par le pouvoir : soit d’autres objectifs, soit d’autres moyens d’atteindre un objectif partagé. En l’espèce, avec une pandémie comme celle à laquelle nous sommes confrontés, nous sommes dans le second cas : toutes les forces politiques convergent sur l’idée simple que la mortalité liée à cette pandémie doit être minimisée sur le territoire français – pour le monde entier, c’est déjà moins simple, mais laissons cet aspect de côté. Mais comment faire en sorte que les gens ne meurent pas en France ? Le gouvernement a prétendu depuis le début de la crise s’en remettre aux autorités sanitaires, en pratique à des administrations, comme la Direction générale de la santé, ou à des comités, qui font l’interface entre la science, l’administratif et le politique.  Comme aucun des partis d’opposition ne dispose d’un accès privilégié à cette expertise, et comme aucun ne dispose en interne de sa propre expertise, la tentation est grande de leur part de s’en remettre à ce que décident ces autorités sanitaires, pour ne pas être accusé en plus d’inquiéter les populations. Le gouvernement attend donc de ne pas être gêné par des initiatives intempestives de l’opposition, c’est cela qu’il appelle « être responsable ».

Le danger d’une telle situation est que l’opposition perd alors toute capacité à constituer un réservoir d’idées ou d’initiatives pour lutter contre la pandémie. En Italie, l’opposition de droite, avec Matteo Salvini, et la composante dissidente de la majorité PD/M5S, avec Matteo Renzi, ont crié sur tous les tons que la situation était gravissime et qu’il fallait que le gouvernement Conte avance plus vite dans des mesures d’exception. En l’espèce, ils avaient raison, vu le caractère exponentiel d’une telle épidémie, chaque jour compte.  Il ne me semble pas qu’aucun des partis d’opposition puisse revendiquer en France une telle action, contrairement par exemple aux Démocrates face à la Présidence Trump. En effet, lorsqu’ils ont été convoqués il y a quelques jours par le Premier Ministre pour être informé, aucun opposant n’a véritablement joué ce rôle de lanceur d’alerte. Au contraire, selon des informations concordantes, au final ce sont les leaders de LR (Les Républicains), dont le Président du Sénat, Gérard Larcher, qui ont dissuadé jeudi dernier le Président de la République d’agir pour suspendre les municipales. Les autres partis n’ont guère été plus brillants.

Il me semble qu’il faut tout de même expliquer cette cécité. D’une part, nos politiciens actuels ne semblent pas bien suivre ce qui se passe dans le monde. Il suffisait de suivre un peu l’actualité, en Chine, puis dans le reste de l’Asie, puis enfin en Italie pour comprendre qu’il se passait vraiment quelque chose de grave. Il est vrai que la crise politique autour de la réforme des retraites, venant après celle des Gilets jaunes, a eu de quoi monopoliser leur attention. D’autre part, ils étaient tous focalisés sur les municipales. Après le tremblement de terre politique des élections présidentielles de 2017, il était certes assez logique que les anciens partis veuillent se refaire et les nouveaux progresser localement. Un historien regardera probablement cette campagne municipale avec effarement : la lecture des professions de foi le laissera songeur.

Quelles peuvent-être les réactions des différents partis politiques après ces élections troublées ?

Ce soir, maintenant que le pot de lait est bien répandu par terre, tout le monde se met à appeler avec des accents de sincérité qui fendent le cœur au report du second tour des élections municipales. Tout le monde se met dans une position de blame avoidance (évitement du blâme), comme disent les collègues politiste anglo-saxons, de façon à rejeter la faute sur le gouvernement. Bien évidemment, c’est il y a deux semaines, ou au plus tard jeudi dernier qu’il fallait hurler « Stop ! », pas ce dimanche soir. En plus, en demandant à arrêter les élections municipales à mi-chemin, tous les partis, pourtant constitutionnellement là pour aider les citoyens à s’exprimer, créent une situation totalement baroque dans la représentation des citoyens. Certaines mairies auront d’anciens ou nouveaux maires élus au premier tour, d’autres vont garder en fonction un maire illégitime ou peu légitime selon les urnes pendant une durée impossible à prévoir, le tout dans une situation du pays où il vaudrait mieux que les élus locaux aient une forte légitimité.

A ceci s’ajoute le fait que le gouvernement se trouve peut-être à court d’instrument juridique pour repousser le second tour, ou pour tout refaire, ce qui peut l’obliger à faire appel à l’article 16. J’ose espérer qu’il n’en viendra pas là et trouvera une astuce juridique pour repousser le second tour jusqu’au moment où l’épidémie aura été bien maîtrisée et que la vie redeviendra à la normale.  Cela risque bien sûr de créer une bien étrange situation politique et administrative dans toutes les villes, bourgs et villages, en suspens, sans compter les intercommunalités là-dessus et les sénatoriales à venir.

Au final, j’ai bien peur qu’aux yeux de la masse des citoyens français, aucun parti ne sorte vraiment grandi de l’épisode. Cela ne va pas être le slogan, « Tous pourris », mais « Tous incompétents » et « Tous irresponsables », et vraiment, « Tous imprévoyants ».  Nous pourrions ainsi voir s’accentuer ainsi cette crise de la démocratie représentative dont je ne suis pas le premier ni le dernier à dire qu’elle est particulièrement nette en France, à en juger par le niveau de confiance dans notre population à l’égard de nos élites dirigeantes, ou par un mouvement comme celui des Gilets jaunes. A force de ne pas traiter les maux de cette démocratie représentative, les méandres de l’histoire humaine risquent bien de nous faire passer à autre chose.

A force de se concentrer sur notre politique franco-française, a-t-on réellement écouté les avertissements venus du monde entier ?

Le moins que l’on puisse dire, comme j’y ai déjà fait allusion, c’est que tel n’a pas été le cas. L’appel fait la semaine dernière sur une chaîne d’information en continu anglo-saxonne de Matteo Renzi n’a servi à rien. C’était pourtant clair, il citait si ma mémoire est bonne, la France entre autres pays,  et il se révélait à l’occasion un vrai politique européen, dont l’Europe a tant manqué ces dernières années.  De notre côté des Alpes, les historiens s’interrogeront tout de même sur le fait que la même personne qui, en janvier, comme Ministre de la Santé assurait que le virus ne passerait pas les frontières chinoises ait pu être nommée en février candidat du parti présidentiel pour la capitale. L’erreur de jugement de Madame Buyzin apparait tout de même colossale, surtout de la part de quelqu’un venant du monde médical. Et, en plus, en étant au courant que nos hôpitaux étaient en crise sociale depuis presque un an. L’absence de réaction face à la situation italienne, à nos portes tout de même, est tout aussi incroyable. Les élus des régions frontalières avec ce pays n’ont pas été particulièrement réactifs, à l’exception  me semble-t-il des gouvernants nationalistes/autonomistes corses, mais qui les écoute à Paris ? Les correspondants des médias français en Italie ont d’ailleurs fait paraitre jeudi dernier dans Libération un texte commun pour s’alarmer de l’absence de réaction des autorités françaises face à une trajectoire à l’italienne pour la France. Les déclarations de la porte-parole du gouvernement sur l’Italie resteront dans les annales de la plus pure bêtise universelle. Il est d’ailleurs inquiétant que cette personne pour laquelle je prône de son vivant la damnatio memoriae soit encore en poste à l’heure où je vous réponds.

En dehors de la faible capacité à prendre en compte ce qui se passe dans le monde, largement lié à mon avis à des médias audiovisuels de masse qui ne suivent plus assez ce qui se passe ailleurs qu’à Paris et dans nos régions et qui limitent ainsi aussi la vue des citoyens, il faut ajouter sans doute l’incapacité du Président de la République à limoger les incompétents qui l’entourent. Que ce soit la porte-parole du gouvernement ou le Ministre de l’éducation nationale, une gestion de crise un peu saine aurait commencé par les virer sur l’heure.  Il est vrai que c’est là un défaut montant depuis quelque temps : en France, aussi incompétent soit-on à son poste, on s’y accroche jusqu’au bout, et la pression de l’opinion publique n’est pas telle qu’elle puisse faire le ménage des manquements trop graves de nos politiques. La difficulté d’Emmanuel Macron à trouver dans son propre camp des remplaçants de quelque valeur n’arrange pas les choses.

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