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Krach au Coronavirus : pourquoi l’Europe doit jeter absolument TOUTES ses forces économiques dans la bataille (et peut se le permettre)
©ERIC PIERMONT / AFP

Plan de relance

L'épidémie de coronavirus provoque un bouleversement économique majeur. Bruno Le Maire a annoncé un plan de relance pour les entreprises françaises. Quelles sont les solutions les plus optimales pour les autorités françaises et européennes face à cette crise spécifique ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico.fr : La crise du coronavirus crée une véritable secousse sur le plan économique. Le ministre français de l'Économie Bruno Lemaire a réagi en annonçant un plan de relance pour les entreprises françaises. Un plan de 27 milliards a déjà été annoncé pour l'Europe. Les Etats-Unis ont eux annoncé un plan d'économie à 700 milliards. Combien la France doit-elle investir pour porter des mesures réellement efficaces? Quels domaines économiques doivent être traités en priorité ?

Jean-Paul Betbeze : D’abord, il ne s’agit pas seulement de milliards d’euros ou de dollars : il s’agit de montrer un mouvement de soutien important (c’est le cas aux États-Unis) et surtout coordonné (ce n’est pas encore le cas en zone euro) pour contrer les effets d’inquiétude, sinon de panique, que fait naître la pandémie. Nous sommes donc dans la psychologie, pour lutter contre les anticipations négatives auto-entretenues. Les milliards aident bien sûr, mais seulement s’ils sont vécus dans un effort massif et concerté.

Ensuite, il faut savoir que cette crise affecte en premier lieu et surtout l’offre, depuis la Chine, interrompant partout les chaînes de production, puis la demande, avec des ménages réduisant leur consommation, notamment dans le tourisme, les voyages, les spectacles, vacances, restaurants, achats en grande surface… Donc c’est à la fois une baisse de l’offre et de la demande, conduisant à des pertes des entreprises, à des chômages partiels, à des licenciements, à une montée du chômage, et à des baisses de prix. La récession est aux portes, en Italie, Allemagne, France, et bientôt en zone euro.

Pour réagir, deux volets sont mis en œuvre: 

• d’abord, avant tout et surtout le volet budgétaire, avec automatiquement moins de rentrées fiscales (TVA et impôts en baisse) et, par décision politique, des délais de paiement pour régler les impôts et taxes, des simplifications pour permettre le chômage partiel. Ce sera partout le cas. 

• ensuite le volet monétaire avec des taux plus bas et des soutiens aux banques pour qu’elles continuent leurs crédits aux entreprises les plus fragiles.

Mais, encore une fois, pour contrer l’épidémie d’inquiétude, c’est une action massive, budgétaire et monétaire, et plus encore coordonnée, pour marquer les esprits, qui est obligatoire. Il faut amortir le choc, puis aider à remonter la pente.

Mathieu Mucherie : Tout d’abord, il faut avoir en tête les ordres de grandeurs. On ne parle plus de quelques dixièmes de points de PIB comme voulait nous le faire croire Bruno Le Maire il y a encore quelques jours. On parle de points de PIB en moins. On parle d’un choc beaucoup plus court que celui de 2008, mais qui sera beaucoup plus aiguë. On parle de la plus grande baffe que le capitalisme se soit jamais pris depuis la deuxième guerre mondiale. Et on en parle au moment même où les Américains n’ont pas encore fait grand chose : pas de quarantaine, pas de test … La situation a encore le temps de s’aggraver. Si un scénario à l’italienne devait arriver aux Etats-Unis, des journées où la bourse s’effondre comme hier, nous on aurons tous les jours, et pendant des semaines.   

En revanche, cet ordre de grandeur est temporaire, qui n’aura qu’un impact très limité sur la croissance comme sur la trajectoire des dix prochaines années, à la différence de la crise de 2008.

Face à la violence de cette crise, il y a 3 outils à notre disposition: d’abord la politique sanitaire ( recherche de vaccin, distanciation sociale…), puis en deuxième front la Banque Centrale, ( qui attend le 12 mars pour réagir et au final ne fait pas grand chose) qui e, et enfin, en dernier volet, la politique budgétaire.

Le premier volet a été clairement raté. Les Chinois ont hésité trois semaines, les Italiens ont hésité trois semaines,  les Français également et aujourd’hui les Américains sont en train d’hésiter. Pour ce qui est du volet monétaire, la réponse de la BCE a été claire. En réagissant très tardivement et en refusant de baisser les taux d’intérêts, elle a envoyé un message très clair au pays de l’UE: vous pouvez sombrer, nous sauverons les banques. Point. Il nous reste donc le volet budgétaire, imparfait et lent, à défaut d’avoir réussi dans les deux autres, plus essentiels. Mais à l’heure actuelle, notre capacité à faire des chèques est tout ce qu’il nous reste. Et si on doit en donner le montant, je dirais environ 60 milliards d’euros, à investir dans la santé, les entreprises en difficulté… Le râteau doit être assez large de manière à englober toute la macro économique. Mais il implique une abolition de la réforme de Macron sur l’assurance chômage par exemple, ainsi que des mesures ciblées pour le secteur du tourisme,  en particulier dans l’hôtellerie et la restauration qui pourront irriguer plus vite et efficacement. 

Michel Ruimy : Il est très difficile d’estimer l’impact d’une crise sanitaire, comme la pandémie de Covid-19, alors que sa durée est inconnue. Il est donc impossible, à ce jour, d’avancer le montant des moyens financiers à mettre en œuvre pour sauvegarder l’économie. Par mesure de prudence, il conviendrait d’envisager un soutien financier de longue période. En outre, il faudrait savoir si les mesures de soutien seront d’ordre général ou ciblées. 

En effet, les conséquences de cette crise sont essentiellement indirectes, avec les annulations de rencontres sportives, de meetings politiques…, la chute de l’activité dans les secteurs du tourisme, de l’hôtellerie, de la restauration et des ruptures des chaînes d’approvisionnement dans l’industrie. La décision de Donald Trump de fermer les frontières aux voyageurs en provenance de l’Espace de Schengen pour 30 jours va amplifier ces impacts, même si les échanges de biens ne sont pas concernés. C’est pourquoi, il faudra aider, en priorité, les secteurs en urgence économique.

Pour rappel, le plan de relance français 2008-2010 a privilégié l’investissement à la consommation et a contribué à limiter les faillites d’entreprise. Il a été renforcé par d’autres mesures (prêts consentis à des constructeurs automobiles, aides aux ménages les plus touchés par la crise…). Si, initialement, le coût du plan de relance devait se monter à 26 milliards d’euros, au final, selon la Cour des comptes, le montant total a été de 34 milliards d’euros sur 2009 et 2010. Il a ainsi coûté plus aux finances publiques (1,4 % du produit intérieur brut) qu’il n’a rapporté en termes de croissance. 

Jusqu'où peut aller ce plan pour soutenir l'économie nationale ?

Jean-Paul Betbeze : Attention à bien savoir qu’un plan français n’a pas de sens s’il est trop seul et si les marchés financiers se mettent à craindre une crise majeure en Italie, par exemple ! Il faut agir en France et en Europe, notamment en zone euro.

En France, on voit que le Ministère des Finances vient d’allonger (le 12 mars) les délais de paiement des impôts et des charges sociales, de décider la possibilité de remises d’impôts pour des raisons spécifiques, de garantir des lignes de trésorerie (par l’intermédiaire de la BPI) et de demander à la Banque de France d’aider aux rééchelonnements de crédits d’entreprises en difficulté.

En même temps, on peut s’attendre à ce que les banques françaises répercutent à leurs clients les décisions prises le 13 mars par la BCE, avec notamment des conditions de financement moins chères, de plus longue durée et sans limite en fonction de leurs demandes à la BCE ! Pas de crise de liquidité donc. En revanche, la BCE n’a pas rendu plus négative la rémunération des dépôts (elle reste à -0.5%) : elle ne souhaite pas faire plus de pression sur les ménages (allemands ?) pour qu’ils investissent ou les banques, pour qu’elles prêtent. Elle doit se dire qu’elles sont suffisamment sous pression et qu’il vaut mieux les alimenter en argent moins cher pour qu’elles le prêtent moins cher, elles aussi. 

Politique budgétaire, dans son volet financier, et politique monétaire, depuis Francfort, sont donc mobilisés : ils sont les plus visibles et aptes d’avoir des effets directs. Bien sûr rien ne sera immédiat et il ne sert à rien de noter que les bourses baissent encore, surtout qu’elles vont se dire que les munitions sont bien plus importantes aux États-Unis !

Mathieu Mucherie : On peut arroser beaucoup, de nombreux domaines et en toute impunité, les circonstances permettant aux Etats de passer au-dessus du traité de Maastricht. On peut faire du budgétaire, on doit faire du budgétaire, et nous ne serons pas sanctionnés économiquement car les taux d’intérêts sont négatifs. Actuellement on peut dire que l’Etat est payé pour dépenser. Pourquoi ne pas imaginer une remise des dettes, un jubilé ? Les taux étant négatif je ne pense pas que les banques perdront de l’argent, et si cela est organisé par le gouvernement et la Banque de France, cela pourrait ne rien leur coûter du tout. Des choses ambitieuses avec des vraies moratoires. On peut faire un grand emprunt de 100 milliards… Pourquoi pas? Maintenant que nous avons un Armageddon économique, il est tant d’agir dans le bon sens. Nous en avons les ressources. Mais il faut faire les choses rapidement car il y a urgence.  On peut faire des déficits, le marché ne nous en tiendra pas rigueur. 

Michel Ruimy : Le ministre de l’Economie suit une tactique visant à freiner la survenance d’une récession et à étaler le choc économique pour éviter les faillites en cascade. C’est une stratégie réactive et évolutive en fonction de l’avancée des évènements et non prospective. 

De son côté, le président de la République a affirmé, dans son allocution, que le gouvernement soutiendra, vite et fort, l’économie (toutes les entreprises quelles que soient leur taille ainsi que les travailleurs) « quoi qu’il en coûte ». Un fort coût budgétaire à prévoir. A ce titre, il propose l’utilisation du chômage partiel. Si cette initiative paraît appropriée à la situation, il faut bien comprendre qu’elle risque de dégrader encore plus la situation financière d’entreprises déjà dégradée puisque les entreprises doivent avancer les fonds avant de se faire rembourser par l’Etat. Il serait bien que les Services concernés mettent en place une procédure accélérée.

Cette formule me fait penser au « whatever it takes » de Mario Draghi concernant la politique monétaire qui se voulait rassurante. Ici, le message se veut être aussi destiné à la Commission européenne et à la banque centrale européenne, dont les propos de sa présidente ont déçu les marchés financiers.

Par ailleurs, cette crise sanitaire étant une « circonstance exceptionnelle », Emmanuel Macron saisit l’occasion pour prévenir implicitement qu’il s’émancipera du respect des critères de finances publiques. Mais ce n’est pas maintenant que le gouvernement doit faire un effort. Aujourd’hui, il s’agit de temporiser, de soutenir l’activité et surtout de ne pas être pris de court par l’épidémie. Demain, lorsque cette crise sera en phase de résolution, il faudra alors mener une importante politique de relance pour donner un nouvel élan à l’activité.

Cette crise sanitaire empêche toute consommation, une grande partie de la population devant rester confinée chez elle. Comment répondre à une crise aussi spécifique ?

Jean-Paul Betbeze : Le vrai risque est celui du maillon faible. Bien sûr, des sociétés ne pourront pas résister, des restaurants et agences de voyage vont fermer : tout ce qui est petit et exposé à la contraction de la demande est très risqué. Mais il y a plus à craindre de faillites de compagnies aéronautiques, de constructeurs d’avions, d’automobiles… La récession durable n’est donc pas finie. 

Mais le « pire maillon faible » est toujours celui de la faillite d’États. Déjà, et pour d’autres raisons, nous avons vu les faillites du Venezuela, de l’Argentine, et du Liban il y a quelques jours. Les acheteurs de bons du trésor vont devenir de plus en plus inquiets, chercher les lieux les plus sûrs. Les rendements vont alors y baisser : 0,7% aux États-Unis désormais, -0,7% en Allemagne et -0,4% en France. Mais ce qui se passe avec l’Italie est l’opposé : les rendements à 10 ans y sautent à 1,75% contre 0,9% en février. La prochaine peur des marchés financiers pourrait être la dette italienne, 140% du PIB du pays, un pays en récession. Et de nombreuses questions ont été posées à ce sujet à Christine Lagarde le 12 mars : la BCE est-elle « au plein de ses achats de bons du trésor italien », au moment même où elle annonce 120 milliards  d’euros d’achats de bons du trésor supplémentaires ? Lesquels ? Elle a bien entendu répondu que la BCE userait de tous ses outils et que « si » elle détenait plus de ces bons en portefeuille que la part du Trésor italien dans son capital, alors elle régulariserait la situation à bonne date. Mais il fallait l’ouïe fine pour entendre et décoder la réponse !

Attention, le virus a muté : il s’attaque à tous les corps financièrement faibles et mal coordonnés pour réagir !

Mathieu Mucherie : Nous sommes en plein choc d’épargne, auquel s’ajoute un phénomène de congélation, de renfermement monétaire. C’est-à-dire qu’il n’y aura plus de circulation ni de gens, ni d’argent , ni de capitaux. Il faut trouver le moyen, tout en conservant une distanciation sociale de recréer une dynamique. Envoyer du pouvoir d’achat aux Français sous forme budgétaire peut être une réponse, mais elle est insuffisante. Là nous sommes dans une situation d’urgence. Macron, le roi des « premiers de cordée », devrait aller vers un « ruissellement accéléré », qui peut se compter en jours ou en semaines et non en mois. Il faut agir là où le multiplicateur budgétaire est le plus fort, vers les populations qui ont une propension marginale à consommer plus forte: les plus pauvres. Il faut donc, de mon point de vue, arrêter d’aider les classes moyennes. 

Question entreprise, il faut diriger les efforts en priorité vers celles qui ont des problèmes de trésorerie. Puis, une fois l’épidémie passé, à froid, il faudra organiser une sorte de Grenelle de la Dette, et faire un swap. Ce que les Allemands ont réussi à faire. 

Enfin, il faudra envoyer un message très clair à la BCE. Un message qui pourrait être: « soumettez vous ou démettez-vous ». Au sortir de la crise, la BCE devra répondre de son inaction et des têtes devront tomber. 

Michel Ruimy : L’histoire de cette crise est toujours en train de s’écrire. La prochaine incertitude est de savoir si l’économie américaine résistera. La situation pourrait s’empirer. Face à des entreprises très endettées, notamment dans des secteur clefs comme l’hôtellerie ou le secteur pétrolier, il ne faut pas sous-estimer les risques pour le secteur bancaire américain. Aujourd’hui, nous ne pouvons faire que des hypothèses. Reste également l’évolution de ce virus avec les beaux jours.

Il n’en demeure pas moins que la fin de l’histoire sera une relance budgétaire importante et les Etats auront besoin des banques centrales pour la financer, ce qui n’est pas certain en Europe. 

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