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La colère du peuple algérien face au règne d'Abdelaziz Bouteflika
©RYAD KRAMDI / AFP

Bonnes feuilles

Farid Alilat publie "Bouteflika. L’histoire secrète" aux éditions du Rocher. La vie de Bouteflika est un roman à rebondissements. Ancien combattant, député, ministre, exilé, président, il aura tout connu du système politique algérien. Ce livre raconte les étapes d'une vie guidée par deux obsessions : conquérir le pouvoir et le garder à tout prix. Extrait 2/2.

Farid Alilat

Farid Alilat

Journaliste à Jeune Afrique, Farid Alilat est spécialiste de l'Algérie. En 2002, il a publié chez Editions 1 une enquête sur la révolte en Kabylie, Vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes déjà morts ! L'Algérie embrasée et participé en 2002 à l'ouvrage collectif 100 lettres pour les femmes afghanes, Calmann-Levy.

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« Il a osé ! » C’est par ce cri que les Algériens accueillent l’annonce de la nouvelle candidature de leur président. Une onde de choc traverse le pays. La stupeur et la consternation font place à l’indignation, à la colère. Le sentiment de révolte qui couvait dans le pays depuis des mois va se faire entendre dès le mercredi 13 février. Ce jour-là, une manifestation rassemble une centaine de jeunes dans la ville de Bordj Bou-Arraridj, à 300 kilomètres à l’est d’Alger. Elle traverse un grand boulevard en scandant : « Bouteflika le Marocain, il n’y aura pas de cinquième mandat. » Non seulement les Algériens n’en veulent pas, mais ils le considèrent comme un étranger. Les images et les vidéos de cette première manifestation sont aussitôt relayées sur les réseaux sociaux, devenus un véritable contre-pouvoir qui échappe au contrôle des autorités. Il est donc possible de s’opposer au fait accompli, possible de contester cette candidature, possible de dire non à cette humiliation. Les actions se multiplient dans plusieurs villes ; des appels à manifester sont lancés sur Facebook et une manifestation réunit des milliers de personnes à Kherrata, à l’est du pays, théâtre de massacres perpétrés par les forces coloniales françaises en mai 1945. 

Vendredi 22 février, des millions de personnes sortent dans les rues avec un slogan fédérateur : « Non au cinquième mandat ! » C’est le début d’une révolution inédite, pacifique et joyeuse. On disait Bouteflika populaire, aimé d’un peuple qui lui voue du respect et lui manifeste de la reconnaissance pour avoir ramené la paix et la stabilité, construit des logements, des routes et des hôpitaux, et enfin restauré la dignité et l’image de l’Algérie à l’étranger ; on découvre que tout cela n’est que mensonge et imposture. Au fil des jours, des millions de femmes, d’hommes, de jeunes et de vieux vilipendent ce vieillard et exigent son départ, vouent aux gémonies son frère et tous ses ministres, réclament leur jugement et demandent la fin de ce système politique qui a mené l’Algérie au bord de la ruine. Cette marche du 22 février, prélude à d’autres manifestations encore plus impressionnantes, provoque une onde de choc. 

Said Bouteflika répète que la situation est sous contrôle. Deux jours après cette marche historique, le président est évacué vers la Suisse pour « des contrôles périodiques ». Depuis son AVC de 2013, il se rend régulièrement à Genève, Paris ou Grenoble pour soigner ses nombreuses pathologies. Cette fois-ci, son séjour dure deux semaines. Son hospitalisation tombe au mauvais moment pour sa famille et ses partisans. Tout le monde savait qu’il ne remplissait pas les conditions constitutionnelles pour se porter candidat – il n’avait notamment pas présenté de certificat de bonne santé. Alors qu’il est dans l’aile privée, au huitième étage de l’hôpital de Genève, les Algériens manifestent par milliers pour demander son départ. Le vendredi devient le jour de la révolution. Au sein du commandement militaire, le soutien indéfectible de Gaïd Salah à l’option du cinquième mandat ne passe plus. Les généraux qui l’entourent comprennent que le mouvement de contestation est irréversible. Le choix devient de plus en plus intenable : faut-il sauver Bouteflika ou l’Algérie ? C’est d’autant plus crucial que les concessions faites par le président, le limogeage de Sellal comme directeur de campagne, la mise en place d’une période de transition, l’élection présidentielle anticipée à laquelle il ne sera pas candidat, ne changent rien à la détermination des manifestants.

Le premier grand tournant survient le dimanche 10 mars. Ahmed Gaïd Salah lâche Bouteflika en faisant cette déclaration : « L’armée s’enorgueillit de son appartenance à ce peuple brave et authentique et partage avec lui les mêmes valeurs et principes. » Le président et sa famille comprennent que les jeux sont presque faits. Ils tentent une nouvelle pirouette le lundi 11 mars, quatre jours après le déferlement de marées humaines à Alger et dans d’autres villes pour exiger une fois de plus son départ « et celui de sa bande ». Le président annonce qu’il n’a jamais eu l’intention de briguer un cinquième mandat et reporte sine die le scrutin du 18 avril. Une conférence nationale va élaborer une nouvelle Constitution avant la fin de l’année. Mais rien ne peut arrêter la révolution du 22 février. Au sein de l’état-major, les partisans du maintien du président se comptent sur les doigts de la main. Aussi les généraux pressent-ils Gaïd Salah de sonner la fin de la partie.

*** 

Le vendredi 24 mars, une nouvelle marche historique est organisée à travers plusieurs régions. Ahmed Gaïd Salah se rend à la résidence de Zéralda pour rencontrer le conseil de famille formé du président, de ses deux frères et de sa sœur. Sa mission est plutôt simple : obtenir la démission du chef de l’État. Le chef de l’armée explique que la partie est finie et qu’il est temps pour le chef de l’État de remettre sa démission conformément à l’article 102 de la Constitution. Celui-ci stipule qu’en cas de maladie grave et invalidante, le président peut démissionner ou faire l’objet d’une procédure de destitution. En échange, Gaïd Salah donne des garanties pour la sécurité et l’avenir de la famille qui pourrait continuer à bénéficier de la jouissance de cette résidence médicalisée et protégée. Devant son frère assis dans son fauteuil, Said s’engage à ce que la lettre de démission soit rendue publique, au plus tard dimanche 25 mars. Lorsque le chef d’état-major quitte les lieux, la famille n’entend pas abdiquer. Ne rien céder, ne rien lâcher. C’est que, depuis des jours, Said est en relation avec le général Mohamed Mediène. Les deux hommes préparent un plan alternatif qui permettrait au président et à son clan de se maintenir au pouvoir, le temps de préparer la succession. 

Ce plan passe par l’élimination d’Ahmed Gaïd Salah, l’obstacle qui empêche désormais les Bouteflika de garder le pouvoir. Le lendemain de cette réunion, le patron de l’armée retourne à Zéralda pour s’assurer de leurs intentions. Il ne trouve que la sœur et une vieille amie du président. Celui-ci est allongé, groggy. Ses deux frères Said et Nacer sont absents. Gaïd Salah perd définitivement confiance en son ami Bouteflika, d’autant plus que les informations en sa possession, grâce aux écoutes téléphoniques et aux filatures de Said et de ses amis, indiquent clairement qu’on complote contre lui. C’est encore plus vrai que la démission n’a pas été rendue publique dimanche, comme les Bouteflika s’y étaient engagés. Le coup de tonnerre survient le mardi 26 mars. Lors d’un déplacement à Ouargla, dans le sud du pays, Ahmed Gaïd Salah en appelle à l’application de l’article 102 qui prévoit la démission ou la destitution du chef de l’État. Dans la bouche de cet homme réputé dur et impitoyable, ce n’est pas un appel mais un ordre. 

Le lendemain, à la résidence Dar Al Affia, propriété du ministère de la Défense, Said Bouteflika rencontre le général « Toufik ». Leur entrevue est filmée et placée sous écoute. Ils évoquent la situation du pays et explorent les moyens d’organiser la transition. « Toufik » suggère les noms des anciens Premiers ministres Ahmed Benbitour et Ali Benflis. Said s’y oppose. Pas question. Ils liquideront tout ce que les Bouteflika ont bâti durant vingt ans. Le nom de Liamine Zeroual, auquel Abdelaziz Bouteflika a succédé en 1999, est prononcé. Said n’y voit pas d’inconvénient. Bien qu’il n’ait plus adressé la parole à Zeroual depuis son départ, y compris lorsque celui-ci a perdu sa sœur, Said pense qu’il ferait l’affaire. L’ancien président jouit d’une grande popularité et ses compatriotes lui vouent du respect et de la déférence. De plus, ce retraité que la politique désintéresse totalement ferait un excellent homme de consensus. Dans l’après-midi, les deux hommes sont rejoints par Louisa Hanoune, chef du parti trotskiste PT et restée très proche de la famille du président. Ces trois-là prolongent leurs conversations jusqu’en début de soirée. « Toufik » recommande à Said de tenir informé Ahmed Gaïd Salah de leurs échanges. Justement, grâce aux enregistrements et aux écoutes, celui-ci n’ignore rien de ces discussions. La surveillance autour de Said s’accentue. Le lendemain, nouvelle rencontre entre le frère du président et le général « Toufik ». Celui-ci s’engage à entrer en relation avec Liamine Zeroual.

Vendredi 29 mars, une manifestation est organisée devant son domicile, dans le centre de Batna, pour l’acclamer et lui demander de revenir aux affaires. Elle est organisée à l’instigation de Said Bouteflika pour donner l’illusion que le retour de ce général provient d’une demande du peuple. Dans la matinée, Zeroual reçoit un coup de fil de « Toufik ». Il doit revenir de toute urgence à Alger.

Extrait du livre de Farid Alilat, "Bouteflika. L’histoire secrète", publié aux éditions du Rocher

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