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Nucléaire : au-delà de Fessenheim, un gâchis français
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Absurdité

La fermeture de la centrale nucléaire de production d'électricité (CNPE) de Fessenheim est un épiphénomène du narratif anti-nucléaire qui va croissant dans la classe politique française.

Henri Prévot

Henri Prévot

Henri Prévot est ingénieur général des Mines. Spécialiste des questions de sécurité économique et de politique de l'énergie, il tient un site Internet consacré à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.

Il est l'auteur du livre "Avec le nucléaire" paru chez Seuil.

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Atlantico : Alors que la filière nucléaire fut fragilisée dans les années 2000 par l'absence de grands projet, débouchant directement sur les difficultés de la tranche EPR de Flamanville-3, on ferme aujourd'hui une centrale entière alors même que l'éventuelle construction de six EPR est repoussée à 2022. En combinant la fermeture de Fessenheim avec le report du lancement de la construction de six réacteurs EPR, doit-on craindre une menace sur les objectifs de 50% de nucléaire à l'horizon 2050 dans le mix électrique français ? Ne serait-ce alors pas une forme de remise en question implicite du contrat stratégique de filière [nucléaire] signé en 2019 ?

Henri Prévot : La question se pose en effet tellement la décision d’arrêter cette centrale nucléaire en bon état de marche paraît absurde. C’est contraire à la politique de lutte contre le gaspillage ; c’est contraire à l’objectif de réduire les émissions de CO2 puisque l’électricité qui ne sera pas produite là sera produite, en France ou dans les pays où nous exportons, par du gaz ou du charbon ; c’est contraire à la morale ouvrière pour qui le respect de l’outil de travail est un devoir primordial : comme l’a déclaré le président d’EDF, cet arrêt est très mal ressenti par le personnel ; c’est porter un très mauvais coup à l’économie locale ; c’est priver l’économie française de plusieurs milliards d’euros d’exportation d’électricité.

Il apparaît donc que diminuer la capacité nucléaire est aujourd’hui un impératif qui l’emporte sur tous les autres. Alors, pourquoi la part du nucléaire ne descendrait-elle pas bien en-dessous de 50 % ? D’ailleurs la ministre chargée de l’énergie a demandé à RTE (Réseau de transport d’électricité) d’étudier l’hypothèse d’une suppression totale du nucléaire.

On s’étonne : comment l’Etat peut-il envisager que la production d’électricité puisse se faire sans nucléaire alors que dans le contrat de filière nucléaire signé il y a à peine plus d’un an, il s’engage à « soutenir la filière nucléaire grâce à une communication positive » et il a « affirmé la nécessité de préserver une capacité nationale de construction de nouveaux réacteurs nucléaires » ?

Quoi qu’il en soit, le doute ainsi créé a d’ores et déjà un effet délétère.

Dans la même optique, sera t-on encore capable de construire des réacteurs si l'on attend trop longtemps ? Les problèmes de la centrale de Flamanville sont-ils directement dus à l’absence de grands travaux durant prés de 10 ans dans la filière ?

Les difficultés rencontrées à Flamanville ont été bien analysées par le rapport de Jean-Martin Folz et par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques. Les causes sont multiples mais elles se ramènent à une défaillance de compétences et à une perte de la culture de qualité, la culture du zéro défaut qui demande une attention constante à tous les échelons. Faute de pratique pendant près de vingt ans, avec le départ en retraite de professionnels pointus, les compétences et la culture ne se sont pas toujours correctement conservées ou transmises. C’est là un réel souci des entreprises comme le fait ressortir une enquête faite par le Boston Consulting Group auprès des entreprises de ce secteur qui procure 220 000 emplois directs et indirects. Mais pour embaucher, pour former et certifier le personnel au niveau de compétence requis par le nucléaire, encore faut-il avoir des perspectives solides. La filière en a besoin dès 2021.

Quelles conséquences aurait une perte de compétence à l'export ? Serions-nous encore en mesure d'être seulement présents sur le marché de la construction de centrales ?

Rappelons d’abord que deux EPR fonctionnent fort bien depuis plus d’un an en Chine. Cela démontre que la conception de ce réacteur est bonne et efficace et que les Chinois sont très capables. Il faut dire qu’ils ne cessent de construire des réacteurs nucléaires. Ce seront des concurrents redoutables, à moins que l’on ne décide de coopérer avec eux, ce qui serait beaucoup plus intelligent. Notre industrie devra continuer de montrer sa compétence. Cela ne suffira sans doute pas. Sans doute faudra-t-il proposer aussi des réacteurs moins puissants, conformément aux orientations du contrat de filière.

Outre la production d'électricité, une fragilisation de la filière ne menacerait elle pas des secteurs connexes mais stratégiques pour la France comme la propulsion navale (porte-avions, sous-marins ?

Les objectifs stratégiques que vous mentionnez là sont tellement importants que notre pays se donnera la possibilité de maintenir ses compétences mais il est sûr que, sans un écosystème industriel favorable, ce serait beaucoup plus compliqué.

Quelle rationalité doit-on chercher dans la fragilisation de notre filière nucléaire alors même que l’utilisation du nucléaire est préconisée dans les scénarii du GIEC pour son caractère abondant, non polluant, décarboné et pilotable ? Les énergies renouvelables peuvent-elles vraiment se substituer au nucléaire malgré leur caractère intermittent et non pilotables ?

La question se pose en effet au niveau mondial. Un pays comme la France peut imaginer de faire reposer son approvisionnement en électricité sur le vent et le soleil. Sur le papier et à l’aide d’un tableur excel, il suffit de plusieurs dizaines de milliers d’éoliennes et de plusieurs milliers de kilomètres carrés de panneaux photovoltaïque. Il faudrait aussi de très grosses capacités de stockage. En effet, sous nos latitudes, le soleil produit quatre à cinq fois plus en été qu’en hiver. Pour produire en hiver de l’électricité à partir d’électricité produite en été, il faut un processus qui passe par la production d’hydrogène et de méthane, dont le rendement est de 25 %. Pour remplacer une absence de vent ne serait-ce qu’une journée, il faudrait une capacité de stockage égale à dix ou vingt fois la capacité de nos Steps (un mode de stockage hydraulique). Pour montrer que l’éolien et le photovoltaïque ne sont pas plus chers que le nucléaire, il suffit d’imaginer que les coûts de production et de stockage seront divisés par deux ou par quatre ou par dix. De plus, il faut oublier que la stabilité des réseaux électriques a besoin aujourd’hui de l’inertie des machines tournantes de production et que personne ne peut dire assurément comment remplacer cette inertie à l’échelle de tout le réseau européen.

Mais une politique de lutte contre les émissions ne peut pas se borner à une vision nationale.

Supposons que la population française accepte de voir le paysage de nos régions écrasé par le pullulement des éoliennes et de vastes étendues occupées par du photovoltaïque, avec des hypothèses de coût réalistes diminuer le nucléaire obligerait à dépenser beaucoup plus qu’en l’augmentant. La différence de dépenses, tenant compte aussi des dépenses faites pour éviter de consommer de l’électricité, est de plusieurs dizaines de milliards d’euros par an – voir par exemple sur https://www.hprevot.fr

Plutôt que de dépenser ces milliards d’euros sans effet sur les émissions de CO2 ne serait-il pas préférable d’en consacrer une partie à cofinancer du photovoltaïque et de la sylviculture en Afrique et à mettre au point des techniques de production nucléaire utilisables dans ces pays ?

En réalité, un pays qui maîtrise la technologie nucléaire a la responsabilité devant le monde d’en tirer pleinement parti. Après le sacrifice de la centrale de Fessenheim, la population, ses élus et ceux qui les informent finiront par s’en rendre compte.

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