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Violences sexuelles : pourquoi il est si complexe d’éduquer au consentement
©DOMINIQUE FAGET / AFP

Bataille à mener

Une libération de la parole concernant les violences sexuelles a eu lieu récemment en France, notamment dans le milieu du sport. Elle montre l'importance de l'éducation à la notion de consentement. Même si la société prend ce problème à bras le corps depuis quelques années, il reste un casse-tête.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Nathalie Nuffer-Dumontier

Nathalie Nuffer-Dumontier

Nathalie Nuffer-Dumontier est psychologue.

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Atlantico : La parole des sportifs se libère ces dernières semaines, des dizaines d’années après les faits. Comment permettre aux jeunes de parler avant qu’il ne soit trop tard ? et leur apprendre à différencier ce qui est acceptable de ce qui ne l’est pas ? 

Jean-Paul Mialet : Apprendre ce qui est acceptable ou non ? Très tôt les enfants savent bien ce que l’on peut s’autoriser et tout en étant très curieux des choses de la sexualité, ils ont conscience que ce n’est pas un domaine innocent. Les questions de zizi  et de zézette sont abordées avec gourmandise, mais avec des rires gênés. Et on ne fait pas de publicité quand on joue au docteur dans un grenier. Même lorsqu’il ne s’agit pas directement de sexe, mais d’émotion sentimentale, les écoliers préfèrent garder pour eux leurs jeunes amours. Bref, les questions qui concernent la sexualité, les émotions, les attirances et les fantaisies qu’elle inspire sont de nature intime et l’enfant y chemine en faisant l’apprentissage de l’intimité. L’idée de ce qu’il convient de faire et de ne pas faire est inscrite très tôt dans leurs jeunes esprits. Le rôle des parents se limite à être respectueux de cette intimité et à contribuer à son épanouissement, amorce de l’autonomie future, sans culpabiliser leur rejeton par des interdictions inadéquates mais sans non plus s’introduire abusivement dans son espace privé. Leur apprendre à dire non ? Selon moi, on apprend suffisamment aux jeunes à dire non quand ils n’en n’ont pas envie. Demandez donc aux enseignants. La solution ne consiste donc pas à apprendre aux enfants à dire non, mais plutôt – et permettez-moi d’y insister -  à former des adultes qui savent à se dire non à eux-mêmes, et résister aux tentations. « Un homme, ça s’empêche », disait Camus. Là il y a du travail. Se maitriser, résister à ses désirs, toutes les sagesses y incitent, mais nous, il semble que nous l’ayons oublié..

Nathalie Nuffer : La parole des sportifs se libère effectivement depuis quelques semaines, et ce grâce au mouvement "mee too". En tant que psychologue j’enregistre depuis 6 mois une hausse de 13 % de libération de la parole. Je travaille en collaboration avec le Procureur et un inspecteur qui ont constaté les mêmes progressions. C’est ce type de mouvements qui permet aux jeunes de libérer la parole, les prises de consciences :  les témoignages, les films comme « les chatouilles », rendent accessible la prise de parole. Ce qui était tabou l'est moins aujourd’hui. Les espaces de parole se multiplient également, les éducateurs sportifs sont davantage sensibilisés, les enseignants aussi… et la protection de l’enfance joue un rôle majeur.

C’est en en parlant que les jeunes peuvent se demander ce qui est normal ou pas en fonction de l’identification aux témoignages et de ce que les autres renvoient. 

Les sportifs qui se sont exprimés ont subi des violences au sein même de leur discipline. Formé(e) par un(e) entraîneur/neuse, comment parvenir à poser un cadre face à ceux que l’on admire ? Sommes-nous poussés indirectement à dire « oui » à ceux qui nous forment, à ceux qui nous sont supérieurs ? 

Jean-Paul Mialet : Les adolescents sont sujets à l’idéalisation : aussi, toutes les personnes d’un certain âge qu’ils côtoient bénéficieront de l’avantage de l’idéalisation. Si de plus ils sont entraîneurs, et donc très expérimentés dans le domaine où le jeune ambitionne de réussir, la fascination est à son comble. Bien entendu, rien de plus humain que d’être disposé à suivre, et ainsi à dire oui, à ceux qui guident, influencent et captent la confiance. Mais il y a là deux points à soulever. Le oui de l’adolescent est un consentement dans une transaction qui est de l’ordre de l’escroquerie. On y reviendra. Et la situation ne se présente pas de la même façon selon qu’on est fille ou garçon. L’idéalisation rend volontiers les jeunes filles amoureuses et donc consentantes pour une intimité sexuelle. En revanche, les garçons adolescents ont des préoccupations plus vulgaires que l’amour, leur sexualité ne les mènent pas encore aux sentiments, elle aspire plutôt à s’exercer dans des expériences variées. Autrement dit, l’idéalisation ne les incite pas à l’amour, sauf exception. Dans les affaires de pédophilie qui concernent des garçons, il y a plutôt obéissance au supérieur qui abuse de son pouvoir que consentement.

Nathalie Nuffer :  Les jeunes sont souvent à un âge de construction psychique lorsqu’ils « performent » dans une discipline. L’identification à un adulte peut amener à une certaine admiration, il y a aussi  le pouvoir que les éducateurs représentent. C’est très narcissisant de se voir « choisie » par son éducateur… qui lui même utilise un état de faiblesse : sans moi tu n’es rien…Ils vivent aussi souvent en cercle restreint, ce qui ne favorise pas l’accès à la libération de parole. Il y a une dépendance de lien qui peut parfois opérer : l’éducateur et le sportif forment un couple..les liens se confondent..

Comment définir notre notion de consentement ? 

Nathalie Nuffer :  La notion de consentement : une question de limites ! Ce qui est acceptable de ce qui ne l’est pas : informer, communiquer, sensibiliser, savoir dire  non et l’assumer...Il est important aussi de définir la notion d’agression sexuelle. Nous en avons parlé avec l’inspecteur, comment définir le consentement ? Où commence-t-il et quand s’arrête-t’il ? Il y a souvent la notion d’emprise qui intervient : c’était mon entraineur, je ne savais pas ce qui était normal ou pas, sous l’effet de la fatigue, de l’alcool…

Jean-Paul Mialet : Le consentement c’est un accord – un accord établi sur la base d’un choix éclairé, mûri. Le consentement de deux enfants entre eux est une entente pour un jeu commun. Le consentement d’un adolescent pour un adulte est une escroquerie : les attentes de l’adulte et celles de l’adolescent ne peuvent être de la même nature. Le jeu de l’adulte ne repose pas sur les mêmes cartes ni n’obéit aux mêmes règles que celui de l’adolescent dont le parcours menant à la maturité de l’adulte n’est pas achevé. L’accord entre une jeune personne adolescente et une personne mûre est un accord qui repose forcément sur un malentendu. Certes, l’amour repose finalement souvent sur un malentendu et l’idéalisation n’en est pas absente, même entre adultes. Mais le déséquilibre n’atteint pas ce point extrême. Et il ne mène pas à ce marché de dupe où l’un (ou plus souvent l’une) croit accomplir ses rêves quand l’autre assouvit ses désirs. Pour qu’il y ait un vrai consentement, il faut que l’accord puisse être acquis sur les bases d’un véritable équilibre entre deux personnes qui se situent sur le même plan.

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