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Non, la réussite professionnelle ne s'obtient pas (uniquement) via un parcours scolaire en ligne droite
©AFP

la vie devant soi

Dans un article publié sur The Atlantic, la psychologue Madeline Levine s'interroge sur le bien fondé d'encourager ses enfants à avoir un parcours linéaire et à ne chercher que l'excellence. Peut-être qu'en les éduquant de la sorte, les parents font plus de mal que bien à leurs enfants ?

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico : Bien des parents incitent leurs enfants à choisir leur voie relativement tôt, les encourageant à suivre un parcours linéaire (bons résultats au bac, bonne université, bon stage mèneraient à une bonne carrière). Pourtant la majorité des individus aux carrières professionnelles les plus accomplies ont rarement suivi une ligne droite. Pourquoi associe-t-on parcours linéaire à réussite ? 

Pascal Neveu : Le désir de réussite d’un enfant pour ses parents, d’un parcours sans encombre est toujours le souhait normal d’un parent. Ce désir s’inscrit dans l’enveloppement et la protection d’un petit être que l’on va éduquer, faire grandir, voir grandir, tout en sachant que la vie est replie d’aléas, mais souhaitant l’alléger de ces épreuves de la vie que nous avons tous connu. Il y a donc à la fois une forme d’angoisse liée à notre propre vécu, mais aussi ce désir de réaliser l’identique de nous, et dans de nombreux cas de réaliser mieux que nous.

Aussi, vous aurez différents cas de figure que l’on pourrait qualifier de familles « de père en fils », des enfants « réalisés », des enfants dits « parfaits », des enfants « sans problème »… Tous ceux qui ne posent pas souci et répondent à la fois aux désirs et fantasmes des parents et calment les angoisses parentales. Bien évidemment, ces angoisses parentales sont pour nous psy de meilleure augure qu’un « je m’en foutisme », à condition que cette angoisse soit « saine » et ne pèse pas sur le développement et les exigences auprès de l’enfant. C’est Lacan qui disait que « l’enfant est pensé, dit et nommé avant que d’être ».

Autrement dit, nous pensons un idéal pour notre enfant, auquel il va répondre favorablement ou en opposition, notamment au cours de l’adolescence. Rien n’est prédestiné et ne peut qu’angoisser à la fois le parent et l’enfant. Tout dépend de notre milieu social. Pierre Bourdieu a très bien décrit l’habitus, c’est-à-dire une condition à rester dans la même sphère socio-culturelle que ses parents. Tout dépend de notre culture par exemple anglo-saxonne où à la fois les enfants sont déjà « pré-destinés » au niveau de leurs études qu’il faut financer (voire même pense dès leur conception), alors que les USA prônent le self-made man. Mais en Europe et en France les diplômes ont une plus grande valeur que la capacité réelle d’un individu. Mais le parcours linéaire fait à la fois fantasmer et en même temps peur.

Pourquoi pousser ces enfants à suivre un chemin tout tracé n'est pas toujours une bonne idée ? 

Madeline Levine décrit avoir questionné plus de 100 000 personnes durant 15 ans. «Combien d'entre vous que vous considérez comme ayant réussi ont suivi un chemin droit ? Combien ont suivi un chemin tortueux? " Selon elle, les parcours linéaires représentent, tout au plus, 10% des personnes qui se considèrent également comme performantes. Les 90% restants sont des personnes qui ont pris des risques, échoué, changé de cap, récupéré, ont souvent échoué à nouveau, mais ont finalement trouvé leur propre façon de vivre, et se considèrent comme épanouis.

Elle nomme ces deux catégories d’un côté les  « flèches droites » et d’un autre côté les « vagabonds curieux ».

Certains parents vont rêver que leur enfant intègre l’université de Stanford qui reste le lieu d’où sont issus quasi tous les prix Nobel, d’autres seront satisfaits que leur enfant obtienne un CAP… pour éventuellement devenir un premier ministre des années 90 en France. Il est nécessaire de prendre en considération les capacités, les facultés d’un enfant plutôt que le rentrer dans des cases qui pourraient s’effondrer à un moment donné.

En France, 30% des étudiants issus de grandes écoles se réorientent sitôt leurs diplômes obtenus, car ils ne se reconnaissant pas dans cette voie toute tracée. 20% d’étudiants reçus au concours de médecine qui ne terminent pas leur cursus. Il existe une pression sociale et familiale face à cette angoisse à réussir.

Bien évidemment, face à notre monde actuel, compliqué, violent, sans pitié, où la précarité est une réalité, la pauvreté de plus en plus importante, il existe une soif de réussite. Sans compter les belles images médiatisées de belles réussites de jeunes millionnaires, de brillants avocats, hommes ou femmes d’affaires… les réseaux sociaux et la télé réalité… Tout est de plus en plus image et fait briller et illumine nos yeux… nous fait tirer des bilans sur nos vies, et la vie que nous souhaitons transmettre et faire vivre à nos enfants.

Cependant, qui n’a pas affronté et surmonté des épreuves ne pourra certainement qu’être plus en difficulté d’adaptation face à quelqu’un qui aura eu ce parcours plus sinueux. Je ne crois pas en des vies linéaires. Il est des « privilégiés », certains se voilent la face… mais le temps rattrape tout.

Plutôt que de leur vendre le bienfondé d'un parcours linéaire, ne devrait-on pas les laisser faire des erreurs, s'égarer et enfin apprendre à se relever ? Connaître la valeur de l'échec, n'est-ce pas un point nécessaire pour bien réussir sa carrière professionnelle ? 

Encourager les enfants à suivre un chemin linéaire les rend prudents et compétitifs, alors que ce dont ils ont le plus besoin est la curiosité, la volonté de prendre des risques, et un talent pour la collaboration, la compassion. Des « sages » édictent des formules, des « seniors » transmettent leurs propres expériences… Mais rien ne peut empêcher un être de se développer dans un univers, se confronter à un autre, s’égarer… C’est ce que j’appelle accepter de dériver… Sur un cours d’eau, par exemple de la vie, nous tentons mener notre barque, adroitement ou pas... Mais il reste les rives qui guident notre regard et auxquelles nous pourrons nous raccrocher. Et en allant plus loin, pensons à des sports de canoë kayak ou de descentes en ski où justement la linéarité n’est pas le but, mais au contraire « surfer » et venir toucher des obstacles pour gagner la course.

Aussi, sans doute devons-nous en tant que parents nous alléger de cette pression de l’éducation et de la réussite et nous rappeler que le plus souvent, un chemin sinueux et inattendu est ce qui mène au succès. Kafka écrivait « Il y a un but, mais pas de chemin ; ce que nous nommons chemin est hésitation ». Et celui qui n’a vécu qu’un chemin linéaire sera vraisemblablement plus dans l’hésitation que celui qui s’est « armé » suite à son chemin sinueux.

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