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Hausse des salaires et niveau d’emploi record outre-Manche : la France en manque de recette britannique ?
©Ben STANSALL / AFP

Might makes right

Selon l’ONS, les salaires au Royaume-Uni sont à leur plus haut niveau depuis 2008. Entre 2018 et 2019, les salaires ont augmenté de 3,2% dans le secteur privé ET dans le secteur public, sans compter les bonus.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Comment expliquez-vous une telle hausse ? Est-ce dû à des réformes particulières ? Le Brexit y est-il pour quelque chose ?

Michel Ruimy : Le Royaume-Uni a fait face à une décennie d’austérité depuis la crise financière mondiale de 2008-2009 en raison des réformes qui ont attaqué l’Etat-providence depuis une dizaine d’années, et qui ont affecté les plus vulnérables.

Le bon chiffre du chômage, aux alentours de 4%, cache une réalité : la baisse du chômage s’est accompagnée d’un resserrement des salaires, d’une hausse de l’inflation et d’une explosion du nombre de travailleurs pauvres grâce à la libéralisation et la flexibilisation toujours plus importante du marché du travail sur le même principe que les réformes Hartz/Schröder, menées en Allemagne, au début des années 2000.

En 2015 déjà, le ministre des Finances, George Osborne, avait annoncé que le pays devait sortir d’une « économie de bas salaires », de taxes élevées et d’un Etat providence généreux pour créer un pays de hauts salaires, de faibles taxes et de faible Etat providence. C’est pourquoi, le salaire minimum, sous sa forme actuelle, a augmenté de plus de 25% depuis 2015, et de plus de 3% l’an passé, dans un contexte d’une accélération de la hausse des prix après le référendum sur le Brexit en 2016.

Or, avec le Brexit, l’économie britannique a besoin de main d’œuvre étrangère, hautement ou faiblement qualifiée, et de nombreux secteurs de l’économie (finance, mes technologies, bâtiment…) sont sous tension. De nombreux emplois sont occupés par des citoyens de l’Union Européenne (UE). En conséquence, une incertitude pèse sur le marché du travail britannique et une pénurie de main-d’œuvre dans des secteurs clés de l’économie (commerce, santé…) est à craindre. Certaines entreprises ont ainsi davantage embauché ces derniers mois par peur de manquer de personnels qualifiés et sont prêtes à payer un salaire plus élevé que le marché.

Le Brexit va contraindre les dirigeants britanniques à redéfinir la politique d’immigration pour compenser la perte de main d’œuvre consécutive à la fin de la liberté de circulation pour les Européens, elle-même conséquence du retrait britannique du marché intérieur. Le gouvernement britannique semble, pour le moment, tabler sur l’intérêt des étrangers non-Européens, qui seront désormais sur un pied d’égalité avec les ressortissants de l’UE, pour venir s’installer et travailler au Royaume-Uni.

Qu’en est-il en France ? Les deux pays sont-ils sur la même trajectoire ? Existe-t-il des différences notables ?

À l’exception du léger coup de pouce de 0,6% décidée en 2012, la France n’a pas augmenté le salaire minimum depuis la crise de 2008 - au-delà du réajustement légal qui prend en compte l’inflation et la hausse du pouvoir d’achat des ouvriers et employés -, alors que la plupart des pays européens l’ont fait. La progression des salaires est, en France, plus forte dans la catégorie des 10% les mieux rémunérés que dans les 10% les moins rétribués. La France est ainsi un des pays développés où l’augmentation du salaire minimum est la plus faible depuis dix ans tandis que, partout dans le monde, la tendance est plutôt d’accorder l’équivalent d’un coup de pouce au SMIC.

Quant au Royaume-Uni, dans un contexte de hausse des rémunérations, le gouvernement prévoit d’accroître, au début du mois d’avril prochain, le salaire minimum de 6,2% pour les « plus de 25 ans » (il existe différents niveaux de SMIC inférieurs pour les jeunes travailleurs afin de favoriser le premier emploi des plus jeunes et leur insertion dans le monde professionnel). Une hausse, environ quatre fois plus importante que le taux d’inflation, qui placerait le nouveau tarif au-dessus du taux horaire du SMIC français : 10,42 euros (8,72 livres) contre 10,15. Il entend même porter, d’ici à 2024, ce salaire à hauteur des 2/3 du salaire médian britannique, soit 10,50 livres (12,55 euros) et d’abaisser l’âge plancher à 21 ans… si les conditions économiques sont favorables.

Cette évolution constitue la plus forte augmentation, en valeur, du « National Living Wage » (salaire décent) depuis 2016. Un peu moins de 40% de l’ensemble des travailleurs britanniques vont ainsi connaître une revalorisation de salaire puisque lorsqu’on donne un coup de pouce au salaire minimum, les entreprises sont généralement incitées à augmenter les salaires juste au-dessus. Cette mesure devrait toutefois peser, dans une certaine mesure, sur la compétitivité des entreprises dans une période de grande incertitude économique.

Par ce geste, Boris Johnson cherche, dans le sillage de sa large victoire aux élections législatives, à courtiser les salariés les moins bien rémunérés du fait de la montée du populisme largement alimenté par un sentiment de déclassement de la population. Ainsi, réaliser le Brexit et tourner la page de l’austérité, le premier ministre britannique paraît plus que jamais déterminé à mettre en œuvre son programme.

Comment faire pour que la France se mette au niveau des britanniques ? Augmenter les bonus par exemple ?

Pour un pays, imiter les autres partenaires est une bonne initiative lorsqu’il est dans le même contexte économique et conjoncturel. Or, la France n’est pas du tout dans la même configuration que celle de nos partenaires européens car ces derniers partent d’un niveau de salaire minimum bien inférieur au nôtre.

De plus, la structure de leur marché du travail est différente : ils sont souvent relativement au plein emploi quand, en France, nous sommes encore, malgré la bonne publication du dernier chiffre, dans un « chômage de masse ». Dans le cas du Royaume-Uni, où les salaires sont bas et où le chômage est faible, une telle revalorisation est plus pertinente qu’en France.

Alors faut-il augmenter les bonus pour calmer les ardeurs d’une certaine frange de la population ? Le gouvernement britannique a pris l’initiative de revaloriser le SMIC, une mesure pérenne, alors que notre président a opté pour le versement de primes exceptionnelles. Deux approches différentes...

Propos recueillis par Edouard Roux

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