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Chantal Delsol : "L’Occident est passé de l’humanisme à l’humanitaire"
©PATRICK KOVARIK / AFP

Entretien

Chantal Delsol publie "Le crépuscule de l'universel" aux éditions du Cerf. A l'occasion de la sortie de cet ouvrage, elle revient dans cet entretien pour Atlantico sur les questions de l'individualisme occidental, sur la modernisation de nos sociétés ainsi que sur l'humanisme classique et l'humanitarisme actuel.

Chantal Delsol

Chantal Delsol

Chantal Delsol est journaliste, philosophe,  écrivain, et historienne des idées politiques.

 

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Atlantico.fr : Vous expliquez que "l'individualisme occidental, libéral et mondialiste, se trouve en face de plusieurs cultures distinctes qui le combattent au nom chaque fois d'une forme d'holisme et d'enracinement". Quelle est donc l'origine de la remise en cause de notre universalisme ?

Chantal Delsol : Cette mise en cause est récente, elle date du tournant du siècle. Je crois, et c’est la thèse que je développe, qu’elle provient largement d’un excès de l’individualisme occidental. Celui-ci est devenu si extrême, si idéologique, que nombre de groupes culturels, à l’extérieur et à l’intérieur de l’Occident, en sont venus à penser que ce n’était plus là un modèle possible ni souhaitable. Le processus le plus emblématique : l’institutionnalisation de la solitude individuelle et la dissolution des liens, est considéré par beaucoup comme inacceptable.

Vous abordez la politique chinoise en expliquant qu'en Chine "la liberté personnelle, qui donne lieu à la libre parole et à la contestation, à l'Etat de droit et à la démocratie, est décrite comme la porte ouverte aux désordres de toutes sortes, voire à l'anarchie et au nihilisme - impropre, donc, au développement harmonieux d'un peuple". Peut-on rapprocher cette conception à la légende du Grand Inquisiteur développée par Dostoïevski dans Les Frères Karamazov ?

Oui, sinon que Dostoïevski en tire une critique théologique : Dieu a eu tort de nous laisser la liberté, ce faisant il nous a rendus malheureux… Mais il est vrai que l’on peut trouver la critique de la liberté excessive, aussi bien chez les Russes que chez les Chinois. J’ai tenté de montrer que les arguments affichés étaient analogues. Et que même, les arguments des traditionnalistes anti-modernes depuis la révolution française, étaient aussi les mêmes. Il s’agit toujours d’affirmer ici que la liberté doit être limitée en fonction du besoin de liens, qui est foncièrement humain, et des responsabilités attenantes.

La modernisation peut-elle désormais se penser sans l'occidentalisation ?

On voit plusieurs cultures extra-occidentales espérer, depuis deux siècles, se moderniser sans s’occidentaliser : c’est-à-dire avancer dans la voie de l’émancipation, mais sans être obligées pour autant de mimer l’Occident. Peut-être le Japon y est-il parvenu ? J’ai tenté de montrer, dans la conclusion, qu’il y a aujourd’hui deux courants distincts qui proposent une « autre modernité ». La Chine, une modernité fondée sur l’holisme (l’individu est entièrement ordonné à la famille et à l’Etat). Et l’Europe centrale, qui propose une modernité fondée sur la « personne interindividuelle ». On constate que dans les deux cas, très différents l’un de l’autre, il s’agit toujours de limiter l’individualisme en sauvant les liens inter-humains.

Quels sont les fondements philosophiques et les conséquences politiques de l'opposition entre l'humanisme classique et l'humanitarisme actuel ?

L’humanisme classique est fondé sur la centralité de l’homme dans l’univers. L’homme est considéré, depuis la Bible, comme le maitre et le berger du monde. Il a plus de valeur que les autres vivants : il a une dignité spéciale comme « image de Dieu ». Cette croyance est caractéristique de l’Occident : dans certaines cultures asiatiques, par exemple, l’humain n’a pas plus de valeur que l’animal. Le passage à ce que j’appelle l’humanitarisme, signifie que l’homme a perdu sa valeur intrinsèque et sa centralité – la nature en revanche se sacralise. Et en même temps, que se développe une morale de la compassion, laquelle devient une véritable religion. Le monde humaniste est monothéiste – c’est Dieu qui confère à l’homme sa dignité intrinsèque et son statut de roi. Dans le monde humanitaire, il y a deux religions : la religion morale compassionnelle, et la religion de la nature.

Quant aux conséquences, nous sommes dans la prospective… L’humanitarisme est une forme de panthéisme – c’est d’ailleurs ce que Tocqueville avait prédit, il y a deux siècles, pour la démocratie avancée : le panhéisme. 

Propos recueillis par Aliénor Barrière 

Chantal Delsol publie "Le Crépuscule de l'universel" aux éditions du Cerf 

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