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L’hiver noir du macronisme : quels lendemains pour LREM ?
©GEORGES GOBET / AFP

Dure traversée de l'hiver ?

Depuis l'annonce vendredi du retrait de Benjamin Griveaux de la course à la Mairie de Paris, le gouvernement lui cherche un remplaçant. Si ce dernier devrait être choisi lundi, au plus tard, et que plusieurs noms ont déjà été évoqués personne ne semble vouloir véritablement le remplacer.

Daniel Perron

Daniel Perron

Daniel Perron est docteur en droit (Histoire du droit) et expert en politiques publiques rurales.

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Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico : Entre des Ministres qui ne peuvent ni ne veulent quitter leur ministère et des candidats potentiels inconnus du grand public, cette affaire ne montre-t-elle pas également la faiblesse du gouvernement ?

Chloé Morin & Daniel Perron: D’abord, il faut dire que cette question pose le problème de l’incarnation d’une campagne électorale. Le projet LREM pour Paris est-il d’abord celui de Benjamin Griveaux, ou bien celui de LREM ? Dans un paysage politique où la personnalisation est très forte, l'on peut penser que la plateforme n'aurait pas été la même avec un autre candidat, qui y aurait imprimé sa propre marque. Il est ainsi illusoire de penser qu’actuellement il puisse être remplacé avec une égale incarnation de programme. On ne chausse pas comme ça les chaussons d’un candidat qui doit renoncer dans des conditions extrêmement difficiles qui frappent les équipes. Qui ne serait pas abattu ?

Plus généralement, ce que nous pouvons observer c’est justement la difficulté qu’a la REM de trouver des personnels pour incarner sa politique locale. C’est valable partout en France où le parti fait des alliances disparates lorsqu’il ne se présente pas. La spécificité du cas parisien tient à ce que, au printemps dernier, la capitale lui était promise. En réalité, on peut penser qu'il y avait un candidat tout indiqué pour Paris : c’était le Premier ministre Edouard Philippe. Nous savons qu’il a été incité à se présenter. Il a décliné, préférant sa ville élective du Havre. C’est tout à son honneur mais cela a maintenu une concurrence à Paris dont on connait les dégâts. 

Dans ce contexte général, le Choix d’Agnès Buzyn fait dimanche peut surprendre à plus d’un titre. D’abord son nom a circulé depuis le départ. Il avait été écarté dans un premier temps. Le Journal le Monde citait même, le 11 octobre dernier, dans un papier d’Alexandre Lemarié et Olivier Faye  un « dirigeant macroniste » qui disait qu’elle  « n’a pas assez de charisme et n’est pas assez politique ». Il faut se méfier des off… Vendredi dernier, elle affirmait elle-même sur France Inter ne pas vouloir y aller. Si elle a accepté c’est d’abord que LREM a fait le choix de ne pas investir quelqu’un qui était déjà candidat et travaillait donc le dossier parisien. On peut penser à Marlène Schiappa et à Mounir Mahjoubi. La première est ministre et le second l’a été. Autant dire qu’ils ont la confiance du président de la République. Si Agnès Buzyn a accepté, c’est que la pression a été très forte et qu’elle correspond mieux à la situation du moment. La tyrannie du moment, c’est ce qui guide la politique aujourd’hui. Or, elle est en situation difficile dans son secteur. Les manifestations hospitalières la ciblent directement avec des mots parfois très durs. Il va lui falloir affronter les personnels de l’APHP, par exemple, et prendre des dossiers qu’elle n’est pas habitué à traiter, et qu’elle ne s’est manifestement pas préparé à affronter. Sa situation est pour le moins acrobatique. Le Challenge est pour elle inédit et l’on ne peut qu’attendre pour voir. Si elle réussit, alors elle pourra dire qu’elle aura affronté des épreuves considérables et aura acquis une dimension politique incontournable à la REM. Ce sera la femme forte de la majorité.

Il est évident qu’aux yeux de l’électorat, ces difficultés ne sont pas un signal de force politique, bien au contraire. Benjamin Griveaux n’était d’ailleurs pas crédité d’intentions de votes suffisantes pour l’emporter lors des derniers sondages puisqu’il était placé derrière Anne Hidalgo et Rachida Dati. Reprendre le flambeau dans ces circonstances, c’est faire preuve d’une certaine forme d’abnégation peu commune…

Alors que LREM se prépare à perdre les élections municipales, n'est-ce pas la  la fin du rêve macronien et de la politique du "en même temps" ?

Non. Ce n’est pas le « en même temps » qui est mis en cause. Les Français n’ont pas abandonné l’idée d’une politique équilibrée, même s’ils savent que c’est difficile. C’est plutôt une certaine forme d’exercice du pouvoir jugée trop pyramidale, concentrée, voire méprisante par certaines franges de l’électorat qui est en cause. L'idée de gouverner de manière bienveillante et pacifiée, constructive, en prenant le "meilleur" des propositions des uns et des autres perdure comme idéal; mais de plus en plus, les électeurs ont le sentiment que le Président s'est écarté de cet objectif dans sa pratique quotidienne du pouvoir.

L’épisode politiquement très couteux de la proposition de loi pour l’allongement du congé pour le décès d’un enfant est symptomatique à cet égard. Il existe aujourd’hui une vive incompréhension des ressorts de la décision politique de la majorité. Le Président Macron a senti le danger en demandant à ses parlementaires de faire preuve de plus d’humanité. Le mot est extrêmement dur, d’autant plus que la majorité n'a visiblement fait qu'obéir à ce que le gouvernement dictait... mais ce mot est révélateur de ce que pense l’opinion et du danger que cela contient. 

La promesse faite par Emmanuel Macron durant la campagne électorale était celle de l’ouverture aux idées, aux autres forces politiques, d’une rénovation de la vie politique. Le dégagisme opéré lors des élections législatives était le prolongement logique de cette attente. Des parlementaires de tous les bords ont voté la confiance, démontrant qu’ils étaient prêts à jouer le jeu par-delà des différences dont ils réclamaient le respect.  A tort ou à raison, les Français perçoivent de l’exercice du pouvoir un éloignement technocratique, une absence sinon un refus de concertation. Les mouvements sociaux que nous connaissons depuis plus d’un an désormais sont le fruit de cette perception d’une fracture irréductible. La réforme des retraites est de ce point de vue un archétype de ce que les Français reprochent au politique lorsque celui-ci apparaît sourd à ses craintes et incapable de répondre simplement. 

Il y a un point fondamental que les politiques semblent encore majoritairement ignorer. Nous sommes entrés dans l’ère de l’horizontalité. Il est incompréhensible pour les citoyens que l’on puisse les ignorer. En réclamant dans leur immense majorité - selon un sondage Ifop pour l'Humanité - un référendum sur les retraites, les Français disent qu’ils veulent être entendus et suivis. On peut être en même temps favorable au principe d’une réforme fondamentale et résolument opposé aux modalités de sa mise en oeuvre. La formule : « si c’est flou c’est qu’il y a un loup » marche pour tous les sujets politiques. Dans le brouillard apparent, les Français voient un danger. Ils le font aujourd’hui, dans les sondages, payer le Président et la majorité. Nous verrons les résultats de l’élection, ville par ville, circonscription par circonscription. C’est le résultat qui fait l’élection, pas le sondage.    

Alors que le mouvement des Gilets jaunes, les manifestations contre la réforme des retraites et le départ de plusieurs députés avait déjà  mis en valeur l'actuelle faiblesse de la Macronie, quelle tournure pourrait prendre la fin du quinquennat ? La majorité peut-elle résister aux polémiques, scandales et au désaveu des électeurs et se retrouver à  nouveau en position de force en 2022 ?

Il est difficile de tirer les cartes sur ce sujet. A priori, tout observateur tendrait à postuler une descente aux enfers tant depuis un an tout s’est déréglé. Un pouvoir qui semble se désagréger est en général un pouvoir finissant. La perspective d'une victoire présidentielle tient souvent lieu de discipline et de ciment à un parti politique en fin de mandat - Hollande, dont les chances paraissaient nulles, en a fait l'amère expérience, lorsqu'il ne pouvait plus rien imposer à sa majorité durant les derniers mois de son mandat. Il sera intéressant de ce point de vue de voir si la discipline au sein de la majorité résistera aux résultats aux municipales, s'ils devaient être mauvais pour le Président. Cette règle de la discipline imposée par la possibilité de la victoire s'appliquera d'ailleurs à une gauche divisée - qui pourrait être incitée, si elle se voit une chance d'accéder au second tour avec un candidat unique -, et à un parti Les Républicains qui reste encore idéologiquement et humainement très divisé, mais pourrait retrouver sur le chemin d'une victoire à portée de main la réconciliation.

Pour résister à la période difficile que vit la majorité, il faut un personnel politique aguerri, capable de relever le défi politique. Nous devons constater que le manque d’expérience du personnel LREM est de ce point de vue aujourd’hui une grande faiblesse. Résister, cela s’apprend, sur le terrain, longuement, à coups de défaites et de victoires successives. On oublie trop souvent que la politique est un exercice d'humilité, d'abnégation apprise à force de "baffes" électorales données et reçues... 

En outre, la violence grandissante qui entoure les débats politiques actuels est extrêmement couteuse. Si elle peut ressouder les troupes, elle est aussi épuisante, et oblige chacun à se demander si cela en vaut bien la peine. Arriver épuisé dans une nouvelle campagne électorale n’est pas le meilleur gage de motivation et de réussite. Nul ne ressort indemne de l’ambiance que nous connaissons aujourd’hui.

Cela dit, le Président Macron a annoncé qu’il allait se consacrer désormais à deux actions : le régalien et l’environnement. On sait bien que l’on ne gagne pas une élection sur un bilan mais sur un programme, une vision. Est-ce que ces deux sujets seront les bons, et est ce que ses réponses, et sa crédibilité pour les porter, seront suffisantes ?

Le déplacement sur la mer de glace marque une volonté symbolique. Il faudra des actes forts après le départ de Nicolas Hulot pour redorer le blason environnemental du Président aux yeux de l’électorat écologiste. La nomination de Nicolas Hulot qui était un coup politique très fort s’est retournée en signal négatif. Les actes, pour l’instant, ne sont pas considérés à la hauteur. Le projet de loi de simplification administrative recèle à cet égard des trapes à polémiques virulentes qu’il faudra sans doute déminer avec les ONG. Mais il y a des politiques à investir, comme la politique forestière, la protection du foncier, la transition énergétique qui inquiète les citoyens. Ici, tout est ouvert. Emmanuel Macron peut très bien décider de la nomination d’un ministre de la forêt, mettre la mer - si cher à Jean-Luc Mélenchon, qui en avait fait un élément majeur de son programme dès 2017 - en avant… On peut être parfaitement disruptif en matière environnementale. C’est une terre d’innovation que nos politiques n’ont pas su, jusqu’ici, investir. Et il peut marquer les esprits et entamer un programme qui devra dépasser les frontières du quinquennat à cet égard. 

La question qui se pose alors est celle du changement de pied et de personnel. Symboliquement, on ne change pas de politique sans changer les ministres. C’est un choix difficile mais que tous les Présidents ont opéré à un moment pour se redonner du souffle, à l'exception de Nicolas Sarkozy. Faut-il se séparer du Premier ministre, ou des ministres les plus en vue pour marquer une rupture, reconquérir les coeurs ? Ce n’est pas si simple. Il faut les remplacer. Par exemple, on ne remplace pas un Edouard Philippe comme ça après trois années de services rendus qui, en outre, sont plutôt appréciés de la majorité. Là, il faudra faire un choix. Si l’on peut faire en même temps, il est plus difficile aux yeux des électeurs de faire le lendemain ce que l’on a négligé de faire la veille. 

Reste l’autre sujet : le régalien. Ici, les polémiques autour des violences policières peuvent clairement écarter l’électorat de gauche qui s’était porté sur Emmanuel Macron en 2017. Faire le pari de la droite, notamment sur l’immigration, parait risqué et pourrait même être perçu comme de la duplicité. Pour garder le cap d’un « En même temps », il faut donc montrer une ouverture. Il va y avoir la question institutionnelle. La reforme constitutionnelle ne se fera plus. Le Président ne l’a pas mentionnée dans ses voeux pour 2020.  Mais va-t-on assister à une nouvelle étape de la décentralisation après une période ultra centralisatrice ? C’est une tentation que nous pouvons deviner. Mais le Sénat sera ici certainement très en avant, cherchant à déstabiliser la majorité. Il y a aussi un projet sur la haute fonction publique, qui pourrait marquer une rupture. Emmanuel Marron a notamment promis de remettre en cause l’ENA, il avait annoncé sa volonté d’assouplir les cadres des nominations hors fonction publique… Il avait évoqué la mise en place d'un spoil system… autant de perspectives qui étaient plutôt bien perçues par l’opinion. 

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