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Et si le fait-maison faisait gagner de l’argent ET une bonne dose de sérénité face à l’angoisse générée par un monde qui nous échappe ?
©CARMEN JASPERSEN / DPA / AFP

Gagnant-gagnant

Une étude Ipsos réalisée pour Leclerc rapporte que le "fait maison" (bricolage, cuisine...) ferait économiser jusqu'à 270 euros par an.

Bérénice Levet

Bérénice Levet

Bérénice Levet est philosophe et essayiste, auteur entre autres de La Théorie du Genre ou le monde rêvé des anges (Livre de Poche, préface de Michel Onfray), le Crépuscule des idoles progressistes (Stock) et vient de paraître : Libérons-nous du féminisme ! (Editions de L’Observatoire)

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Atlantico : Au delà de lutter contre la surconsommation, dans quelle mesure retrouver le sens du travail manuel est-il gage d'une véritable autonomie ?

Bérénice Levet : Cette pratique du « do it yourself » peut sans doute s’interpréter comme une volonté d’autonomie, en tout cas de reprendre la main, de s’affranchir de l’industrie, notamment alimentaire. Entre ouvrir un sachet et mitonner un « petit » plat, le consommateur gagne assurément en maîtrise. Il sait les produits qu’il utilise, il les choisit et son choix de tel produit, cultivé par un « petit » producteur et non pas les grandes marques industrielles, est lui-même chargé de sens. « Manger, c’est voter ! », pour reprendre le titre de l’émission, diffusée sur Public-Sénat, du critique gastronomique de l’hebdomadaire Marianne, Périco Légasse.

Autonomie aussi en cela que fabriquer soi-même son ordinateur par exemple, c’est comprendre, pénétrer les secrets de l’objet, contrairement à celui qui se contente  d’utiliser la machine, servilement, docilement.

Notons au passage que l’épithète « petit » va de pair avec le « do it yourself » : « petit » est un signe distinctif, une sorte de clin d’œil, qui distingue le bon du méchant en quelque sorte, l’éleveur, l’agriculteur, du gros capitaliste, et range d’emblée celui qu’il gratifie dans le camp des sauveurs de la planète, des résistants au capitalisme mondialisé, ainsi du « petit producteur. Le règne des prénoms aussi pour donner un sentiment de proximité, de familiarité, quand ces marques sont en réalité désormais rachetées par des grandes groupes industriels, tels Michel & Augustin.

Ne soyons pas dupes, en effet : le « do it yourself » est un phénomène de mode, il n’échappe pas à la société de consommation, il relève de la prescription : rien n’est plus tendance que de se faire soi-même ses produits. Et puis il est un bon filon commercial, ce que les grandes enseignes pressentent très bien : il n’est pas fortuit que l’étude soit commandée par les Centres Leclerc.

Le « do it yourself » a son salon annuel, ses magazines, ses salons de thé où l’on se retrouve pour tricoter, ses ateliers … La motivation première serait d’ordre économique, nous dit l’étude, mais cela ne se vérifie pas nécessairement : Récemment, prenant acte de la vogue du « do it yourself », le magazine Que Choisir a conduit une étude sur la cosmétique fait maison, notamment du côté de l’enseigne Aroma-Zone, leader en ce domaine et plébiscitée par les convertis à la pratique du « Do it yourself », la facture se révélait fort élevée.

La pratique séduit tout particulièrement les bobos mondialisés. Il est tout à fait significatif que ce soit une expression anglo-saxonne qui se soit imposée : Si l’esprit de l’artisanat renaît, ainsi qu’on tente de nous le faire accroire, pourquoi ne pas parler français, l’artisan est une figure bien française !

Attention,  qu’on ne mésinterprète pas mes propos, je suis très favorable au grand ménage dans les produits d’entretien, et à leur remplacement par le fait maison,  je suis une adepte du vinaigre blanc et du bicarbonate de soude ! De même en matière alimentaire, j’y ai déjà fait allusion.  Ce que je persifle, c’est l’enveloppe idéologique, les injonctions à « changer les mentalités », le miroirs embellissant que l’on se tend…regardez comme je suis vertueux ! Quand en réalité on fraye avec le plus grand conformisme…

La réappropriation des savoirs et des pratiques permet un encrage dans le réel et par là, dans une identité particulière qui se traduit par des actes concrets dans la vie quotidienne. Savoir planter des tomates, faire du feu et de la pâte à tarte, ou connaitre les "remèdes de grand-mère" traditionnels permet de s'inscrire dans une culture et un art de vivre. La crise d'identité de l'Occident est-elle alimentée par ce phénomène d'abandon du "fait-main" ?

La crise d’identité de l’Occident, permettez-moi de ne pas prétendre par ces quelques mots, répondre à cette ample question.  Disons que cette vogue du « fait soi-même », du « fait maison » est à mettre en relation avec les doutes qu’inspirent très vivement, très impérieusement, nos civilisations dominées par la technique et l’économie.  Contre l’abstraction du monde actuel, nos contemporains aspirent à renouer  avec la matière, avec le concret, le charnel. Mettre la pâte au sens littéral du terme signe les retrouvailles avec le sensible, avec le geste, la main. 

A cet égard, il faut lire l’ouvrage du philosophe Matthew Crawford, Eloge du Carburateur. Lui-même, diplômé en philosophie politique a éprouvé le besoin de revenir à une activité manuelle, à l’iontelligence de la main, aux facultés et aux dispositions qu’elle exige, forme et cultive, et a choisi de réparer des motos. Bergson préconisait d’exercer à l’école l’enfant au travail manuel, il regrettait que cette activité ne soit perçue que comme un « délassement » : « Adressons-nous à un vrai maître pour qu’il perfectionne le toucher, au point d’en faire un tact : l’intelligence remontera de la main à la tête »                     

Ensuite, il y a la satisfaction, la fierté du travail bien fait, ce que Charles Péguy, fils de rempailleuse, appelle dans L’Argent, « la piété de l’ouvrage bien faite ».  Ce qui est tout à fait différent du discours

Fabriquer un objet, c’est se vouer à une activité qui a un sens, dans la double acception du mot,  une direction – vous conduisez le processus du début à la fin – et une signification : le résultat est immédiatement visible. Vous n’êtes pas un simple rouage   dans un  vaste processus dont les tenants et les aboutissants vous échappent. Or, c’est bien que le bât blesse.

Crise de civilisation, disiez-vous, crise en effet induite par la division du travail, par le travail à la chaîne. L’homme n’y est plus qu’une simple fonction, ainsi qu’on le voit dans Les Temps modernes de Chaplin. « Le système social qui relègue le travailleur – fût-il convenablement rémunéré – au rang d’instrument et d’engrenage est, suivant moi, disait le Général de Gaulle, en contradiction en contradiction avec la nature de notre espèce ». Il qualifiait ce sacrifice de la personne humaine, l’ « infirmité morale » du capitalisme !  

Et c’est de cette infirmité, de cette blessure narcissique qu’inflige à l’individu la vie actuelle que se saisissent les promoteurs du « do it yourself ! ».  Les discours qui enveloppent ces pratiques fleurent bon  en effet leur théorie et leurs gourous du  « développement personnel » : valorisation de soi, créativité – puisque libre à vous d’innover, d’y ajouter votre « petite touche personnelle »…Et c’est bien ce fil que tirent les marques et les  publicitaires.

Ne plus pouvoir réparer soi-même sa voiture, avoir de l’électroménager ou des smartphone tellement complexes dans leur utilisation que ça angoisse les personnes âgées ou les technophobes... : tout cela participe d’une fragilisation des individus. Autrefois, notamment à la campagne, les personnes défavorisées pouvaient avoir un niveau de vie correct grâce à la débrouille, à leur connaissance des saisons, de la nature, de la couture, de la mécanique etc...Aujourd'hui, quant on est contraint de tout acheter, produits comme services, on est à la merci des autres et à la merci de sa propre fragilité économique : si les revenus baissent, on est totalement piégé. Comment sortir de cet engrenage ?

La revalorisation du fait maison, du fait soi-même peut y contribuer. Cette civilisation consumériste et mécanique est à bout de souffle, nous avons besoin d’être rapatriés sur terre, de retrouver la chair du monde ! Et ce serait très heureux. Le manuel ne doit pas rougir devant l’intellectuel, pas plus que le savoir-faire devant le savoir.  Il est grand temps que l’intelligence de la main, dont parlait Bergson, retrouve sa noblesse et sa gloire. Souvenons-nous des Encyclopédistes du XVIIIe siècle et de l’intérêt qu’il portait aux « métiers ».

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