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Start-up nation : le pari d’avenir d’Emmanuel Macron pour la France
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Bonnes feuilles

Michel Turin publie "Start-up mania" chez Calmann-Lévy. En France, les start-up sont devenues l’objet d’un véritable culte. Elles font rêver les jeunes diplômés comme les investisseurs en tous genres… et les hommes politiques. Vous avez aimé l’éclatement de la bulle de l’internet en 2000 ? Vous allez adorer celle des start-ups ! Extrait 1/2.

Michel Turin

Michel Turin

Michel Turin a été dix ans journaliste aux Échos, et chroniqueur économique à Radio Classique. Il est l’auteur de La Planète Bourse (« Découvertes Gallimard », 1993), Le Grand Divorce – Pourquoi les Français haïssent leur économie (Calmann- Lévy, 2006), Prix de l’Excellence Économique, et Profession Escroc (François Bourin Éditeur, 2010).

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« Une start-up nation est une nation où chacun pourra se dire qu’il pourra créer une start-up. Je veux que la France en soit une. » Les propos tenus le 13 avril 2017 au deuxième Sommet des start-up organisé par le magazine Challenges au palais Brongniart (l’ancienne Bourse de Paris) par Emmanuel Macron, et qu’il répétera en boucle, ne pèchent pas par leur pusillanimité. Il tiendra des propos encore plus enflammés quelques semaines plus tard, le 15 juin 2017, à l’occasion de Viva Tech, à la porte de Versailles à Paris, le grand salon professionnel de la Tech, notre équivalent du Consumer Electronics Show (CES) qui se tient à Las Vegas, dans le Nevada, la grande messe mondiale des start-up : « La France est un pays d’entrepreneurs. C’est un pays de start-up. Mais je veux qu’il devienne aussi un pays de licornes, de grands groupes nouveaux, le pays des géants de demain. Je veux que la France soit une nation qui pense et bouge comme une start-up. » 

La France macronienne célèbre l’avènement de la start-up nation. Le macronisme a fait du numérique une arme politique. La rupture numérique accrédite l’idée qu’un autre monde a déjà succédé à l’ancien, ou qu’il s’apprête à le faire. 

La start-up nation est un merveilleux élément de langage au service de la communication officielle. L’entrepreneur version digitale est magnifié par l’appareil d’État. Emmanuel Macron a déjà largement participé à la mythologie de la start-up, avant même de remporter l’élection présidentielle le 14 mai 2017. Déjà comme secrétaire général adjoint de la présidence de la République à partir de 2012 après l’élection de François Hollande, puis comme ministre de l’Économie à partir d’août 2014, il n’a cessé de glorifier la French Tech. Quand il était à Bercy, Emmanuel Macron, arborant une barbe de trois jours, avait fait le déplacement à Las Vegas pour se rendre au Consumer Electronics Show (CES). Sa première visite à la grande convention annuelle mondiale des start-up devait d’ailleurs provoquer par la suite quelques remous. L’organisation de la grande soirée French Tech Night à laquelle étaient invités les entrepreneurs français exposant au CES avait été confiée au grand groupe français de conseil en communication Havas sans appel d’offres – ce qui dérogerait a priori aux règles de passation des contrats publics – par Business France, une structure publique qui accompagne les entreprises françaises à l’international.

Emmanuel Macron n’est pas le seul haut dirigeant français à avoir arpenté les allées du Consumer Electronics Show. François Fillon, alors en campagne pour l’élection présidentielle après avoir triomphé à la primaire de la droite et du centre, s’y est rendu début 2017. Le candidat pas encore malheureux des Républicains était persuadé d’avoir trouvé ainsi le meilleur moyen d’incarner la modernité. Le personnel politique français a toujours eu l’habitude de se presser au Salon de l’agriculture où il caresse le cul des vaches, exercice dans lequel excellait Jacques Chirac. Maintenant il passe aussi la main dans le dos des fondateurs de start-up dans les salons de l’électronique. Début 2019, en revanche, aucun ministre de la start-up nation n’a pris l’avion pour Las Vegas. Les Gilets jaunes n’ont jamais bloqué les tarmacs, mais les membres du gouvernement ont préféré s’abstenir. Le ministre de l’Économie, le secrétaire d’État au Numérique, la présidente de la région Île-de-France, celui de la région Nouvelle-Aquitaine et beaucoup d’autres avaient prévu de s’y montrer, mais ils y ont finalement renoncé. 

Emmanuel Macron a toujours été accro à la French Tech. Il n’a pas manqué de s’afficher le 29 juin 2017 aux côtés du maître des lieux, Xavier Niel, et de quelques autres geeks à succès, à l’inauguration de Station F, près de la gare d’Austerlitz à Paris. Le parrain de la Tech française est d’ailleurs très reconnaissant envers le président de la République de  l’intérêt que celui-ci porte à l’écosystème, et il ne laisse pas passer la moindre occasion de renouveler le compliment. Pour lui, « Emmanuel Macron symbolise à merveille la start-up nation que nous voulons être ». Alors que les Gilets jaunes avaient saccagé cinq jours plus tôt l’arc de Triomphe, et que le président de la République vivait depuis reclus au palais de l’Élysée, il sortit le jeudi 6 décembre 2018 sur le perron du « château » pour accueillir à bras ouverts John Chambers, l’ancien PDG du groupe informatique américain Cisco, devenu ambassadeur de la French Tech à l’international, accompagné d’une quarantaine de capital-risqueurs et d’investisseurs venus découvrir l’écosystème français. Toujours très attentionné, Emmanuel Macron a reçu en personnes 80 dirigeants de la Tech mondiale à l’occasion du sommet Tech for Good organisé à la mi-mai 2019 à l’Élysée. C’est dire la passion que le président de la République voue à la Tech, une passion telle qu’il est le seul à être capable d’utiliser trois fois dans la même phrase les mots « French Tech », comme devait le faire remarquer l’irrévérencieux Yann Barthès dans sa très divertissante émission sur TMC, « Quotidien ». C’était à l’occasion du lancement à l’Élysée, le mardi 17 septembre 2019, du French Digital Day, la conférence internationale de l’écosystème French Tech qui se déroulait le lendemain au musée des Arts forains à Paris. Tournez manège ! 

Emmanuel Macron devait d’ailleurs annoncer au cours de la soirée, où il n’a pas craint les répétitions, qu’il avait réussi à convaincre les banquiers et les assureurs français d’investir 5 milliards d’euros au cours des trois prochaines années dans des fonds d’investissement français spécialisés dans la technologie, pour soutenir les start-up tricolores et les aider à se transformer en licornes. N’est-ce pas un de ses prédécesseurs aux hautes fonctions qu’il occupe, Jacques Chirac pour ne pas le (re)nommer, qui avait rendu célèbre la formule si française : « Les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent » ? 

Emmanuel Macron est en immersion complète dans l’écosystème des start-up. 

Il a utilisé les services d’une start-up de stratégie électorale, Liegey Muller Pons, pour organiser la Grande Marche qui l’a mené jusqu’à l’Élysée. Les trois fondateurs qui ont donné leur nom à la start-up s’étaient inspirés des modes opératoires sur les bases desquelles Barack Obama avait construit sa première campagne électorale. La start-up croise les données du ministère de l’Intérieur, les résultats des scrutins depuis quinze ans des 60 000 bureaux de vote et les données des recensements de l’Insee (riches d’enseignements sociodémographiques : âge, sexe, revenu, situation familiale, etc.). Les « Marcheurs », munis de cartographies extrêmement précises, n’avaient plus qu’à pousser les portes des immeubles des quartiers sélectionnés pour essayer de convaincre les indécis repérés de voter en faveur de leur candidat. Les services de Liegey Muller Pons, la start-up qui fait les présidents, sont très demandés par le personnel politique, aussi bien en France qu’à l’étranger. Le mouvement En Marche, l’instrument de l’accession au pouvoir d’Emmanuel Macron, a été lui-même géré depuis son camp de base, rue de l’Abbé-Groult dans le 15e arrondissement à Paris, comme une start-up. Mais il y a mieux encore. Emmanuel Macron, s’il ne s’était pas présenté à l’élection présidentielle, ferait aujourd’hui partie intégrante de l’écosystème. Il avait formé le projet très sérieux de monter un edtech, une start-up dans le secteur de l’éducation, avec deux de ses proches. 

Tellement proches que l’un, Julien Denormandie, est devenu ministre auprès de la ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, chargé de la Ville et du Logement, et que l’autre, Ismaël Emelien, sera promu conseiller spécial du président de la République. Emmanuel Macron était allé assez loin dans sa démarche de futur fondateur de start-up. Il avait rencontré à l’été 2014 un certain nombre d’interlocuteurs dans les milieux universitaires et dans celui des start-up. Xavier Niel aurait, paraît-il, été prêt à l’aider dans son entreprise, ce qui explique l’admiration que se portent les deux hommes. Le business plan était le suivant : « Porter un outil numérique pour aider les enfants, notamment les collégiens, à mieux apprendre », comme devait le préciser quelques années plus tard Julien Denormandie au détour d’une interview consacrée à tout autre chose. Emmanuel Macron avait promis à son épouse Brigitte quelques années plus tôt qu’il abandonnerait la vie politique et qu’il deviendrait entrepreneur. Il a fait allusion à son projet d’edtech à l’occasion de l’inauguration de Station F. « Je lui avais dit que je serais un entrepreneur », rappela-t-il ce jour-là, ajoutant : « C’est vrai et Xavier Niel peut en témoigner. » Emmanuel Macron a failli créer une start-up. Il a finalement préféré créer une start-up nation. Il aurait peut-être rencontré moins de difficultés dans sa première entreprise que dans la seconde. 

L’ambition démesurée, affichée dès le départ par le plus jeune chef d’État que la France ait connu depuis Louis Napoléon Bonaparte, est de faire de la France une start-up nation, à l’image des États-Unis ou d’Israël. Mais la French Tech ne boxe pas dans la même catégorie que la Tech américaine ou que la Tech israélienne. Les États-Unis, n’en parlons pas… Ils ont creusé un fossé avec le reste du monde dans ce domaine comme dans d’autres. La domination de la Tech américaine est écrasante. La Californie, lieu de résidence habituel des grandes entreprises de la Tech américaine, se classe par le produit intérieur brut (PIB), la richesse produite, au sixième rang dans le monde devant la France. Le marché du capital innovation français dans son ensemble n’a mobilisé qu’environ 2,5 milliards de dollars en 2016, alors qu’une seule start-up américaine, Uber, le numéro un mondial des VTC (le service de véhicules de transport avec chauffeur), a levé à elle seule près de 8 milliards de dollars en quatre ans. La Silicon Valley accueille plus d’un quart des investissements mondiaux dans la technologie. Aux États-Unis, la plupart des innovations des GAFA sont issues de la recherche publique. L’État et les universités se situent en amont du processus d’innovation et de recherche fondamentale et laissent les entreprises privées se charger par la suite de la recherche appliquée. Les start-up françaises ne disposent pas de bases arrière aussi solides que celles-là. En France, les chercheurs entretiennent beaucoup moins de relations avec les entreprises qu’aux États-Unis. La Silicon Valley a pu s’appuyer sur les grandes universités et les laboratoires de recherche. Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a organisé, début octobre  2018 à Paris –  une première –, une journée consacrée aux start-up  incubées par des laboratoires évoluant dans son univers. Le président du plus grand organisme de recherche scientifique français, Antoine Petit, a saisi cette occasion pour attirer l’attention sur l’absence de passerelles en France entre les deux mondes, celui des entrepreneurs et celui des chercheurs, citant le bon exemple des États-Unis, où « de nombreux chercheurs passent la moitié de la semaine dans une entreprise et l’autre en laboratoire ». En France, les chercheurs qui ont contribué au succès d’une entreprise n’en tirent aucun bénéfice, que ce soit quand ils demandent des financements pour leurs travaux de recherche ou pour leur progression de carrière. La diffusion de l’innovation y est beaucoup plus lente qu’aux États-Unis, et elle s’y développe beaucoup moins vite. D’après le baromètre EY, un des plus importants cabinets d’audit et de conseil au monde, l’ensemble des start-up françaises avait levé 759 millions d’euros de capitaux au premier trimestre 2015, alors qu’aux États-Unis, Airbnb en avait levé à lui seul deux fois plus. On ne joue décidément pas dans la même cour. 

La French Tech souffre d’un handicap quasi insurmontable par rapport à la Tech américaine. Comme le déplore Frédéric Mazzella, « pendant que les Américains courent un 100  mètres, nous, on court un 110 mètres avec 27 haies ». Le fondateur et P-DG du leader mondial du covoiturage BlaBlaCar est coprésident de l’association France Digitale et défend à ce titre les intérêts de 1 400 start-up et 100 investisseurs en France et en Europe. Frédéric Mazzella appelle de ses vœux un « cadre fiscal unifié en Europe » : il mettrait les start-up européennes sur un pied d’égalité fiscale avec les start-up américaines.

Extrait du livre de Michel Turin, "Start-up mania, la french tech à l'épreuve des faits", publié chez Calmann-Lévy

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