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Thuringe : l’implosion finale du système Merkel
©JENS SCHLUETER / AFP

L'Allemagne ingouvernable ?

Edouard Husson revient sur la situation politique en Allemagne après la crise politique en Thuringe suite à l'élection de Thomas Kemmerich avec les voix de la CDU et de l'AfD et suite à sa soudaine démission.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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En commençant l’analyse de ce qui se passe en Thuringe, il est nécessaire de poser un garde-fou à la discussion: le nazisme fut un système totalitaire fondé sur la guerre d’extermination. C’est pourquoi tous ceux qui crient au retour du nazisme au pouvoir à propos de la tentative de constitution, à Erfurt, d’un gouvernement de coalition AfD/CDU/FDP font dans le grotesque. Comme historien des fascismes, j’ai toujours trouvé insupportable l’antifascisme d’opérette de tous ceux qui crient au retour de la bête immonde pour un oui pour un non, tant il s’agit d’une incompréhension de la nature réelle du fascisme, régime de la guerre de conquête exterminatrice. Pour autant, cela ne veut pas dire que ce qui se passe en Thuringe soit anodin. Trois aspects majeurs des événements en cours sont à relever. 

L’AfD de Thuringe: toutes les ambiguïtés d’un parti peu regardant sur des cadres dirigeants

L’AfD a grandi très vite. Fondée en pleine crise de l’euro par une poignée de professeurs de droit et d’économie hostiles à l’euro, le parti n’aurait vraisemblablement jamais dépassé les 5-6% sans la politique immigrationniste extrême d’Angela Merkel en 2015-2016, lorsque la Chancelière a encouragé un million et demi de personnes à venir s’installer en Allemagne sans aucun contrôle aux frontières entre septembre et décembre 2015. Aux élections générales de septembre 2017, le parti a fait presque 13% des voix à l’échelle de l’Allemagne, avec une poussée encore plus forte en Allemagne de l’Est, où il a atteint entre 20 et 25% des voix. Le prix de cette poussée a été, du point de vue interne du parti, une absence de discernement quant au recrutement de ses cadres. La Thuringe en est un exemple flagrant. Le chef local de l’AfD, Björn Höcke, est l’un des provocateurs les plus connus du parti, ayant des liens établis avec le parti néo-nazi NPD, et auteur de déclarations où l’antisémitisme est à peine dissimulé, comme lorsqu’il a critiqué l’existence d’un Mémorial de la Shoah en plein coeur de Berlin ou déclaré qu’il avait horreur d’entendre parler de « judéo-christianisme » alors que tout opposait les deux religions. Et c’est bien pour cette raison que le système politique allemand tremble sur ses bases: il y a beaucoup de Länder où l’AfD est gouvernée par des conservateurs; en Thuringe, le parti cultive la provocation stupide vis-à-vis du reste de la classe politique, contribuant à alimenter l’antifascisme d’opérette. 

Les partis de droite paient pour leur manque de courage face à Angela Merkel

Aux élections générales de 2017, Angela Merkel a été clairement désavouée par l’électorat. Le fait que son parti fût arrivé en tête ne pouvait pas dissimuler le fait que la grande coalition sortante, composée du SPD et de la CDU/CSU, avait perdu 15% de l’électorat par rapport à 2013. La réaction de la CDU et, surtout, de la CSU bavaroise, à laquelle la politique immigrationniste de la Chancelière avait fait le plus de mal, aurait dû être de demander à Angela Merkel de partir. Mais les chrétiens-démocrates, tels une illustration du Discours de la Servitude Volontaire, ont continué à courber l’échine face à une Chancelière dont ils auraient pu eux même confirmer l’inconsistance s’ils avaient relevé la tête. Le chef du FDP libéral, Christian Lindner, a certes eu le courage de refuser un gouvernement de coalition avec la CDU et les Verts tant que Madame Merkel s’obstinerait à rester Chancelière, mais il n’a plus bougé depuis. La CDU elle-même, en ayant le choix entre trois candidats pour la succession d’Angela Merkel (qui faisait une concession tactique) à la présidence du parti, ont choisi à la fois la candidature la plus insipide et la plus ressemblante à la Chancelière sortante dans son ancrage de centre-gauche, Annegret Kramp-Karrenbauer. Le résultat en a été la prolongation de la crise causée par le déclin du système Merkel. Le résultat des élections régionale de Thuringe, où la constitution d’un gouvernement de droite  était impossible sans l’AfD mais où la Chancelière, à peine ce gouvernement constitué, le désavoue et réclame de nouvelles élections, est tout à fait caractéristique du moment où se situe la politique allemande: nous sommes entrés dans la crise terminale du système Merkel. Mais nous savons que, vu le peu de goût de la Chancelière pour une démocratie réelle (elle a grandi en RDA), l’agonie peut durer. 

L’Allemagne devient ingouvernable. L’Union Européenne va être toujours plus paralysée

Il est proprement scandaleux que la Chancelière, à la tête d’un gouvernement minoritaire dans les sondages, réclame de nouvelles élections en Thuringe. La seule conclusion qu’elle devrait tirer de l’épisode, c’est le fait qu’elle n’a plus d’autorité, ni sa dauphine désignée, sur la CDU en Thuringe et doit donc démissionner. Le résultat des déclarations de Merkel va être d’aggraver la crise politique régionale et nationale. Que se passera-t-il si de nouvelles élections renvoient une nouvelle Chambre sans majorité possible autre que l’alliance avec l’AfD ou bien une coalition hétéroclite, emmenée par Die Linke, le parti héritier des anciens communistes est-allemands? On fera revoter une nouvelle fois? A force de ne pas respecter la volonté profonde des peuples en Europe et d’encourager l’Union Européenne a s’asseoir sur les résultats des élections ou des référendums dans les Etats membres, l’Allemagne est rattrapée par le syndrome que Berthold Brecht avait résumé d’une formule célèbre: « Il faut dissoudre le peuple ». Angela Merkel veut faire revoter ses compatriotes de Thuringe comme elle aurait voulu que les Britanniques revotent concernant le Brexit et comme elle a refusé de respecter la majorité issue des élections grecques en juin 2015 en Grèce. En fait il est devenu quasiment impossible de gouverner l’Allemagne tant que la Chancelière n’aura pas quitté le pouvoir. Et, après son départ, nous n’aurons plus affaire qu’à des gouvernements fragiles, à Berlin ou dans la plupart des Länder. Cela va avoir des conséquences considérables pour la gouvernance de l’Union Européenne: l’Allemagne, de plus en plus absorbée par ses divisions politiques internes maîtrisera de moins en moins Ursula von der Leyen et les Allemands de Bruxelles, en train de pratiquer une sorte de fuite en avant vers le fédéralisme, sans pour autant que la nouvelle Commission européenne puisse compter sur un soutien fort de Berlin. Ce n’est pas seulement l’Allemagne, c’est l’Union Européenne qui devient ingouvernable. A moins que la France saisisse l’occasion et reprenne le leadership de l’UE en constituant des coalitions à laquelle la Commission et les Allemands devraient finir par se rallier. Mais on sait que c’est peu probable tant qu’Emmanuel Macron sera président. 

Le jeu politique allemand est bloqué et l’Union Européenne en sera par contrecoup elle-même de plus en plus paralysée. 

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