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La sécurité, ce critère oublié sans lequel la relance des trains de nuit ne pourra pas marcher
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Transport boudé par les usagers

Face à la montée grandissante d’une conscience écologique et d'une mise au ban du transport aérien, les trains de nuit reviennent au cœur du débat.

Alain Bonnafous

Alain Bonnafous

Alain Bonnafous est Professeur honoraire à l’Université de Lyon et chercheur au Laboratoire d’Economie des Transports dont il a été le premier directeur. Auteur de nombreuses publications, il a été lauréat du « Jules Dupuit Award » de la World Conference on Transport Research (Lisbonne 2010, décerné tous les trois ans).

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Atlantico.fr : Le réseau de train de nuit n’a cessé de se réduire en France. En 2020, seulement deux lignes sont encore en activité. Ce mode de transport populaire dans les souvenirs de chacun a connu une désaffection des voyageurs, il a connu une chute de sa fréquentation de 25% entre 2011 et 2016. À quoi a été dû un tel désamour ? Le problème central n'est-il pas à l'insécurité des trains de nuit ?

Alain Bonnafous : En effet, ce type de service n’a cessé de perdre des parts de marché à mesure que l’aérien s’est développé et que les lignes à grande vitesse ont couvert le territoire là où les trains de nuit se remplissaient encore. Ce repli historique, qui n’est pas propre à la France, a été jalonné par l’abandon en 2012 de la marque Lunéa par la SNCF qui desservait depuis Paris presque toutes les régions françaises ; puis en2016 par la décision de l’Etat de ne plus assurer d’autre desserte que Paris-Briançon (pour les skieurs en particulier) et Paris-Occitanie (vers Rodez d’une part et La Tour de Carol via Toulouse d’autre part). Enfin, par le très symbolique abandon du Paris-Nice en 2018. Il reste une ligne qui semble solide qui est celle de Paris-Venise exploitée par Thello, une filiale privée de l’opérateur public Trenitalia et de Transdev qui a repris l’activité de la Compagnie Internationale des Wagons-lits sur cette liaison.

Je ne pense pas que le problème de sécurité soit la véritable explication de cette désaffection. Il semble que la concurrence de l’aérien et du TGV, avec des tarifs qui peuvent être très attractifs sous certaines conditions, soit la principale explication. D’autant que s’y ajoutent les « cars Macron » et le co-voiturage, en particulier pour la clientèle jeune et à faible revenu. Lorsque se sont conjuguées ces baisses de trafic et l’augmentation des coûts de production de la SNCF (inscrite dans sa réglementation sociale), ces services sont systématiquement passés dans le rouge. Il ne reste ainsi que le train pour les skieurs (qui gagnent deux nuitées coûteuses en station) et les trains de nuit vers l’Occitanie subventionnés par cette région.

Après de nombreux investissements pour améliorer les temps de trajet entre les différentes villes, n’est-ce pas un retour en arrière ? Les entreprises privées comme Flixbus (l’entreprise a proposé de relancer la ligne Paris-Nice) peuvent-elles prendre le relai de la SNCF et essuyer les plâtres de la rentabilité ?

Selon les aveux officiels de la SNCF, diffusés lors des grèves de la réforme du ferroviaire en 2018, ce que la société nomme elle-même « l’écart de compétitivité de la SNCF » est évalué à un surcoût de 27 %. On peut imaginer qu’un opérateur qui a un niveau normal de compétitivité puisse dans certains cas compenser le déficit observé avec les coûts de production de la SNCF. Dans un domaine proche, on a vu des trains de la vie quotidienne remis en service par des opérateurs privés là où les coûts de l’opérateur historique avaient conduit à leur abandon, en particulier en Allemagne ou en Suède. Pourquoi pas sur quelques trains de nuit avec une ouverture effective à la concurrence ?

Cela suppose cependant que les plans d’affaire soient convenablement établis et que l’on appréhende convenablement les cibles commerciales (les jeunes, les touristes, les navetteurs hebdomadaires,...).

La député Karima Delli, présidente EELV de la commission transport au Parlement européen va émettre l’idée d’une taxe kérosène sur le transport aérien pour subventionner le train de nuit. Taxer le transport aérien pour financer des projets qui mettront des années à voir le jour ne va-t-il pas se répercuter sur le consommateur ?

C’est assez illustratif de ce que j’appelle « le populisme écologiste » : on taxe le méchant pollueur et on subventionne le gentil. Cela plait dans les bistrots de lycéens. On ne se pose même pas la question de savoir si le gentil pollue moins que le méchant. Cela me rappelle un résultat établi par un institut allemand de recherche de très bon niveau qui a fait le bilan carbone du transfert d’un camion (le méchant) sur un train de transport combiné (le gentil) pour différentes liaisons. Pour une liaison de type Calais-Marseille le bilan est fortement positif, pour une liaison Munich-Milan, il est toujours négatif (même avec un taux de remplissage du train de 150 % !). Cela s’explique évidemment par le bilan carbone comparé d’une électricité principalement électronucléaire et d’une électricité principalement fossile. 

Sur un même trajet, que l’on fasse donc un bilan carbone entre un train de nuit mal rempli et un autocar de Munich à Milan et, pourquoi pas, avec un moyen-courrier récent et bien rempli. Au moins saura-t-on ce que sont les enjeux. 

Mais le problème avec les suggestions des écologistes c’est qu’il y a bien une anomalie quelque part qui appelle un remède. Dans ce cas, il s’agit de la sous-taxation du kérosène qui est un vieux problème commun à l’économie des transports et à l’économie de l’environnement. Deux évidences sont admises par la communauté scientifique :

1) Une taxation cohérente avec toutes les autres taxations carbones est évidement souhaitable pour l’aérien mais elle n’a de sens que si elle est acceptée mondialement, à défaut de quoi, ceux qui en seraient exonérés chasseraient rapidement ceux qui y seraient soumis avec, donc, toutes les chances de favoriser dans la durée les plus pollueurs. Le remède serait alors pire que le mal.

2) A supposer que la taxation globale soit mise en œuvre, ce qui devrait arriver un jour dans l’après Trump, il faut être aussi fort que Greta Thunberg pour démontrer que le meilleur usage pour l’environnement de la recette additionnelle soit de subventionner des trains de nuit.

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