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Brexit : la fin du "en même temps"
©Adrian DENNIS / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXe siècle.

Disraeli Scanner

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Londres, 
Le 30 janvier 2020

Mon cher ami, 

Emmanuel Macron, premier perdant du Brexit

La pitié n’est pas un sentiment politique. C’est pourtant ce qu’inspire votre président, en ce moment, vu de Londres. Il ne maîtrise plus rien dans son propre pays. Et il est désavoué sur toute la ligne en politique étrangère. Le monde entier peut voir ces vidéos où vos Compagnies Républicaines de Sécurité matraquent des pompiers, où votre police s’acharne sur des citoyens tombés à terre, où vos forces de l’ordre imitent les jeunes gens de vos banlieues - à moins que ce ne soit le contraire - et se mettent à cinq pour frapper une femme. Récemment, Emmanuel Macron a quitté piteusement un théâtre où une poignée de manifestants essayait de rentrer. Mais croyez-moi, le plus terrible pour lui se situe ailleurs. 

C’est le Brexit ! Emmanuel Macron, de tous les dirigeants de l’Union Européenne, est celui qui a mis le plus d’acharnement à vouloir punir la Grande-Bretagne. Il était même sur ce point « plus Allemand que les Allemands ». Eh bien, il aura obtenu exactement le contraire de ce qu’il recherchait. La Grande-Bretagne sort de l’Union Européenne pour entrer dans une phase de croissance; l’Europe continentale au contraire est menacée par la récession. Londres entame les négociations en position de force: ces trois dernières années, notre pays s’est rendu toujours moins dépendant des débouchés à l’exportation vers l’UE; alors que l’Europe continentale est extrêmement dépendante du maintien de l’ouverture du marché britannique pour ses exportations. 

La grande illusion de l’Union Européenne: le « en même temps »

En fait votre Emmanuel Macron n’est que la version exagérée d’une attitude générale de l’Union tout au long des trois ans qui viennent de d’écouler. A Bruxelles, à Paris et à Berlin, on a cru qu’il était possible d’annuler le résultat du Brexit. Il y avait eu un référendum et en même temps la Grande-Bretagne devait rester dans l’Union. Vous remarquerez, d’ailleurs, que, ces dernières semaines, l’Union Européenne a montré qu’elle ne changeait pas d’habitude: le Brexit va avoir lieu et en même temps il faudrait que la Cour de Justice Européenne soit l’autorité de tutelle du futur traité de commerce entre l’UE et le Royaume-Uni. La Grande-Bretagne s’en va et en même temps vous voudriez avoir accès libre à nos zones de pêche nationales. On pourrait multiplier les exemples de l’incapacité à choisir de votre Europe fédérale. Vous n’aviez pas pris David cameron au sérieux quand il vous expliquait que la population britannique pouvait quitter l’Union. Ensuite, vous avez pensé pouvoir forcer la population à accepter un Brexit In Name Only. A présent, vous êtes bien malheureux de nous voir partir. 

La fin du « en même temps » va avoir des conséquences pour votre actuel président. Mais c’est toute l’Union Européenne qui est mise en cause. C’est le principe directeur de Jean Monnet, qui est mis en cause: avoir voulu substituer l’administration des choses au gouvernement des hommes. Le « en même temps » n’est qu’une façon pseudo-politique de camoufler une vision purement bureaucratique. 

Le retour de la politique

Les formules les plus éculées peuvent être les plus justes: gouverner c’est choisir. La politique est affaire de choix. Le peuple britannique avait clairement choisi mais Theresa May s’est laissé enfermer dans une logique technocratique. Jeremy Corbyn a imaginé qu’il puisse devenir le représentant d’un « soft Brexit ». Les électeurs britanniques ont confirmé par trois fois qu’ils avaient bien réfléchi avant de faire le choix du Brexit: d’abord aux  élections générales de 2017 puis aux élections européennes de mai 2019 puis aux élections générales de décembre 2019. 

En regardant, cet après-midi tous ces membres du Parlement européen qui se donnaient la main pour chanter « Ce n’est qu’un au revoir », en brandissant des écharpes où il y avait à la fois les couleurs britanniques et européennes, c’était autant du mépris que de la pitié que j’éprouvais. Nous avions sous les yeux des enfants dans un corps d’adulte, incapables de comprendre le sérieux de la situation et la marche de leur époque. L’heure des choix est revenue. 

C’est d’ailleurs le point sur lequel je donnerai tort à Nigel Farage. Dans un discours plein de panache, il a, ce 29 janvier, expliqué au Parlement Européen que l’on était dans l’ère d’affrontement du mondialisme et du populisme. En fait non , nous avons déjà changé d’époque: le retour de la politique implique aussi le retour d’une droite et d’une gauche. C’est le conservateur Johnson, non le populiste Farage qui est aux commandes de la Grande-Bretagne aujourd’hui. Et Boris Johnson est le contraire d’Emmanuel Macron: il choisit, il tranche. Il est un cauchemar à venir pour l’UE tout au long des négociations, puisqu’il va mettre les négociateurs continentaux devant des choix, simultanés ou successifs. 

Mon cher ami, vous aurez remarqué combien, maintenant que le Brexit va avoir lieu, il est banalisé dans l’esprit des gens, en particulier de tous ceux qui voulaient le retarder voire l’annuler. Beaucoup vont vouloir rabaisser l’événement. Mais c’est un événement majeur, un tremblement de terre ! Il a été obtenu grâce au courage de Nigel Farage, qui a forcé, en 2013-2014, la classe politique britannique à organiser un référendum; grâce à l’indifférence du peuple britannique aux mensonges qu’on leur déversait sur l’effondrement économique qu’allait causer le Brexit; grâce à l’obstination d’une poignée de députés conservateurs, en 2019, qui ont refusé l’accord de Theresa May; grâce au sens stratégique, au talent diplomatique et au professionnalisme de Boris Johnson. 

Nous y voici. Nous tournons la page du néo-libéralisme où « il n’y avait pas d’alternative », pour reprendre la formule d’Angela Merkel. Une nouvelle ère, celle du conservatisme commence. 

Bien fidèlement à vous. 

Benjamin Disraëli

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