LR : ce que le parti devrait retenir de la stratégie sans concession de Rachida Dati<!-- --> | Atlantico.fr
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Rachida Dati
Rachida Dati
©Reuters

Une stratégie sans faille ?

La commission de campagne des Républicains devrait annoncer la composition finale de ses listes pour les élections municipales mercredi après-midi. Dans certaines, pour booster leurs chances de victoires, les candidats LR devraient faire alliance avec les candidats LREM. Pourtant, à Paris, Rachida Dati, est la preuve que cette stratégie n'est ni forcément nécessaire ni forcément la bonne.

Maxime  Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est un haut fonctionnaire français, qui a été conseiller de Nicolas Sarkozy sur les questions relatives à l'immigration, l'intégration des populations d'origine étrangère, ainsi que les sujets relatifs au ministère de l'intérieur.

Il commente l'actualité sur son blog  personnel

 

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Rachida Dati fait campagne seule, et ne fait aucune concession. Comment expliquer que sa stratégie fonctionne si bien ? Que devraient en retenir les autres candidats LR aux municipales ?

Maxime Tandonnet : Plusieurs facteurs expliquent sa réussite. D’abord, elle s’est forgée une belle image dans sa mairie du 7ème arrondissement depuis 2008. Elle n’est pas parachutée, elle dispose d’un ancrage parisien depuis plus de dix ans et d’une réputation positive, de proximité et d’efficacité. Ensuite elle donne une image de dynamisme, de volonté et de pragmatisme. Elle n’avance pas à « reculons », elle montre qu’elle y croit et tient un discours de victoire. Elle manifeste une énergie qui plaît voire qui impressionne, rappelant, consciemment ou inconsciemment, celle de son mentor Nicolas Sarkozy en 2007. Elle est claire et sans ambiguïté dans ses propositions, elle ne fait aucune concession aux modes idéologiques : elle veut remettre de l’ordre à Paris, par exemple rendre aux bois de Vincennes et de Boulogne leur vocation d’accueil des familles, rétablir en partie la circulation sur les voies sur berges. Enfin, elle est droite dans ses bottes, refuse toute concession et toute compromission, notamment avec les candidats en Marche. 

Chirstophe Boutin : Il est toujours amusant de voir le vilain petit canard donner une bonne leçon à ses frères. Que n'a-t-on dit en effet sur Rachida Dati ? Sur son parcours « universitaire » ? Sur sa manière de s'imposer auprès de personnalités politiques vieillissantes qui se croyaient pygmalions ? Sur ses liens avec les régimes de plusieurs pays arabes ? Sur sa manière de jouer des rivalités entourant Nicolas Sarkozy dans sa campagne de 2007 ? Sur la manière dont elle vivait ses fonctions de Garde des Sceaux ? Sur son assiduité dans les travées du Parlement européen ? Tout a été dit, et dans ce tout, derrière les aigreurs des uns et les exagérations des autres, il y avait aussi une part de vérité.

En cette époque où des déontologues surveillent les parlementaires, où le plus petit écart, qu'il soit de mœurs ou de langage, entraîne la mort sociale aussi bien que politique, Rachida Dati est une survivante. Une survivante qui veille à toujours sembler sortir d’un reportage d'il y a quinze ans, quand le patron, entre deux boîtes de chocolats, montait en courant le perron de l'Élysée une casquette vissée sur le crâne. 

Elle est entre-temps devenue maire parisienne, réussissant une nouvelle fois à s'imposer contre toute attente, et elle continue d'agir comme elle a toujours fait : en parlant, et en parlant sans détours, sachant combien ses origines - sociales - la préservent des foudres que pourraient lui valoir certains de ses propos. Car, contrairement aux « bébés Chirac » qui peuplent les Républicains, et qui, de repentances en reniements, se fondent dans une même grisaille politiquement correcte, Rachida Dati a de la couleur, du ton, du souffle. Il est vraisemblable que personne ne lui fait totalement confiance, il n'est pas même certain qu'il faille le faire, mais elle est tellement différente des autres candidats qui se présentent pour tenter de détrôner la tenante du titre que les regards se tournent naturellement vers elle. 

On la donnait perdante, has been, dépassée, elle est pourtant, comme vous le remarquez, bel et bien présente. À croire que les électeurs, lassés des circonvolutions de ceux qui prétendent ne céder qu’à l’amicale pression de leurs amis en se présentant, aiment sans doute qu’elle ait cet allant pour affirmer sans fausse honte et sa volonté d'arriver et son amour du pouvoir.

Elle a compris qu'il n'y aurait pas d'alliance avec LREM pour elle. Qu'elle était trop sarkozyste ; trop à droite ; trop « ancien monde », elle qui est tout sauf une héritière. Alors elle joue le jeu – sans trop se forcer d’ailleurs – et cette fraîcheur face au faux angélisme pseudo-branché de ses rivaux explique sans doute une part de son succès. « La meilleure défense c’est l’attaque » dit-on. Elle se défend bien.

Atlantico : Aujourd'hui, Dati a créé une vraie une vraie dynamique, et est donnée deuxième par les sondages juste derrière Anne Hildalgo (20% contre 23%) et devant Benjamin Griveaux qui est de 16% des sondages. N'est-ce pas là la preuve que LR doit sortir de sa réflexion au regard de potentielles alliances avec LREM et que les candidats LR aux municipales peuvent remporter les élections locales seuls ? 

Maxime Tandonnet : Oui, il existe un potentiel électoral pour la droite dont les idées et les valeurs, à conditions d’être clarifiées, pourraient être majoritaires dans le pays, en matière de sécurité, d’immigration, de politique économique et sociale, d’éducation. Son grand problème aujourd’hui est qu’elle est écartelée entre LREM et le RN. Elle a le sentiment qu’entre les deux son espace démocratique est réduit et ne suffit plus pour gagner des élections. Les difficultés rencontrées par le quinquennat Macron, son impopularité et son échec annoncé aux municipales rouvrent un horizon à la droite.

L’exemple de Rachida Dati montre qu’elle peut s’en sortir à la condition toutefois de rejeter toute compromission – car les électeurs détestent les manœuvres politiciennes – et de montrer qu’elle a un projet clair et précis notamment axé sur le rétablissement de l’autorité de l’Etat dans le pays avec une volonté déterminée de le mettre en œuvre. 

Christophe Boutin : Soyons clairs, les élections municipales doivent se penser ville par ville au moins autant que de manière globale. C'est pour cela que l'exemple parisien ne saurait être généralisé à d’autres municipalités. Les éléments sociologiques communs que l’on peut retrouver dans les métropoles comme dans les villes de taille régionale n’y suffisent même pas. 

La question est donc celle de LR dans ces municipales, de sa place et de la possibilité qu’aurait un candidat LR, à l’instar de Dati à Paris, à s’affirmer de droite et de s’afficher seul. Le poids important dans les communes importantes d’un électorat acquis au progressisme, des « premiers de cordée » à leurs commensaux, bobos ou li-lis des centres villes, n’empêche pas d’y penser, et moins encore lorsqu’il s’agit de maires sortants qui disposent souvent d’un avantage - à moins d’avoir commis d’irréparables erreurs. Les alliances ou les soutiens ne sont donc pas indispensables, et ce d’autant moins que, circulaire Castaner oblige, elles pourraient conduire au soir des élections à l’effacement des distinctions derrière l’écran de fumé de la qualification de « centriste ». 

Mais est-ce bien un écran de fumée ? Les municipales de 2020 ne tirent-elles pas les leçons de cette sorte de disparition programmée dans lequel serait LR depuis 2017, descente aux enfers dont les européennes de 2019 auraient été une marche de plus ? Et ces municipales, de par le cadre particulier de cette élection, propice aux relations apaisées, aux listes de réconciliation unies autour du seul intérêt de la commune, ne permettent-elles pas mieux que d’autres échéances électorales d’acter les ressemblances plus que les dissemblances ? Or les candidats LR, pour la plupart, partagent finalement la vision du monde progressiste de LREM, l’idée d’appartenir à un « cercle de la raison » qui doit se défier des menaces populiste et nationaliste, rejeter les émotions des extrêmes,  mener la même politique économique, sociale, et presque sociétale… 
Bien sûr, agir seul serait possible, mais il faudrait alors s’affirmer « de droite ». Insister sur des thématiques – immigration ou insécurité – qui ne se concilient pas toujours avec l’idéologie vertueuse du « vivre ensemble ». Qu’en penserait la presse locale ? Les autres élus du territoire, départementaux, régionaux, nationaux ? Les instances du parti ? Qu’en penserait Monsieur le Préfet ? Et pourquoi risquer de tenter cela, puisque, de toute manière, on se réconciliera, loin des électeurs, en se répartissant les sièges au sein de l’intercommunalité ?

Atlantico : En optant pour cette stratégie, LR pourraient-ils créer la surprise et consolider leur ancrage local ? 

Maxime Tandonnet : La difficulté est que cette stratégie dépend beaucoup de la personnalité des candidats. Mme Dati incarne déjà quelque chose à Paris. En outre, elle a été ministre de la Justice pendant plus de deux ans. Donc ce n’est pas seulement affaire de stratégie mais aussi de personnes. Cependant, elle montre en effet la bonne ligne : celle du refus des compromission ou de la tentation de l’alliance avec LREM et de l’énergie conciliée avec le respect des principes républicains. Il faut aussi un discours clair autour du besoin de rétablissement de la paix civile que ressent plus que jamais le pays.

Il faut répondre au besoin de démocratie et de dialogue authentique, de respect du peuple qui s’exprime un peu partout. A ce prix, un bon résultat de LR aux municipales est envisageable et permettrait d’aborder l’avenir et d’ouvrir une espérance pour les prochaines échéances de 2022, présidentielles et législatives.

Christophe Boutin : Tout dépend et du terrain particulier de la ville en question – le poids de l’évolution démographique et sociologique - et de la personnalité du futur maire. Les éléments problématiques, dont celui du risque de lent effacement ou de lente fusion-acquisition dans un même centro-progressisme actuellement dominé par LREM et la figure d’Emmanuel Macron sont certainement bien compris chez LR. Mais on a l’impression que leur seule politique est d’attendre que le président de ce nouveau monde centro-progressiste se casse la figure, si possible avant 2022, pour lancer une OPA sur son fauteuil. 

Il est vrai que l’autre solution d’alliance reste impossible Car pour renforcer son ancrage local en étant de droite, l’élu LR peut aussi envisager de briser le « cordon sanitaire » isolant ce qui était, peut-être, il y a 20 ans, une « extrême droite », mais qui, dans les faits, en 2020, a simplement repris - en l’édulcorant - le programme du RPR des années 80. Mais cela conduirait aussitôt à un tollé de la gauche, de LREM, de la direction du parti, et, plus grave encore, à une scission locale d’avec ceux des LR qui s’y refuseraient, qui feraient liste commune avec LREM et pourraient ainsi l’emporter. Tout dépend donc de considérations locales : du poids des votes LREM et RN, bien sûr, mais aussi du vote EELV ; des alliances ou non sur des listes communes des autres listes que LR avant le premier tour ; des alliances possibles et des fusions de listes que l’on peut attendre entre les deux tours ; de l’existence de personnalités plus ou moins ancrées dans le terrain, jeunes loups ou chevaux de retour… Ces municipales permettent de  rester dans le flou ? Certains auraient aimé s’affirmer comme une opposition au progressisme, et courant si besoin est le risque d’un désaveu semblable à celui de 2019 ; d’autres, plus prudents, pensent qu’il serait trop risqué de se compter aujourd’hui, et qu’il vaut mieux attendre l’affaiblissement du Président… Ce sont visiblement ces derniers qui l’emportent.

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