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Cette découverte sur l’immunothérapie qui pourrait aider à traiter TOUS les cancers
©Reuters

Atlantico Santé

Des chercheurs de l'université de Cardiff ont expliqué, dans la revue Nature Immunology, avoir réussi à trouver une cellule (cellule T) qui pourrait potentiellement guérir les cancers de la prostate, du sein ou encore des poumons.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico.fr : Pouvez-vous nous expliquer ce qu'est cette cellule T ? Quelle est sa fonction ? Comment protège-t-elle notre corps ?

Stéphane Gayet : Le terme « globules blancs » ou « leucocytes » désigne les cellules nucléées du sang. Nucléées car elles ont un noyau. Certes, toutes les cellules vivantes en ont un ou une autre structure semblable (bactéries). Mais le tissu sanguin comporte d’autres éléments figurés que les leucocytes et qui n’ont pas de noyau : ce sont les hématies ou érythrocytes ou encore globules rouges et les thrombocytes ou plaquettes sanguines. Les érythrocytes et les thrombocytes, en dépit de leur nom, ne sont pas des cellules, mais des parties de cellule en survie.

Les leucocytes sont des cellules (donc microscopiques) qui jouent toutes un rôle dans la défense de l’organisme contre les agressions microscopiques. Ces agressions peuvent être microbiennes, végétales, chimiques ou encore tumorales. Il faut, pour que les leucocytes se mettent en action, qu’un élément ayant pénétré dans l’organisme soit perçu par eux comme un élément étranger. Une cellule tumorale maligne (cellule cancéreuse) est perçue comme un élément étranger, étant donné qu’elle est le résultat d’une transformation monstrueuse qui l’a dénaturée (son génome a profondément changé). On peut donc voir une analogie entre une cellule cancéreuse et un microorganisme infectieux, mais elle est bien pire car elle n’est qu’à moitié étrangère et elle a un pouvoir pathogène qui surpasse très largement celui des agents microbiens.

Les leucocytes sont donc les principales cellules du système immunitaire. On distingue plusieurs types de leucocyte, déjà sur le plan morphologique : les granulocytes (longtemps appelés « polynucléaires » car leur noyau segmenté pouvait faire penser qu’il était pluriel) dont le cytoplasme (gel qui constitue l’intérieur d’une cellule) contient de nombreux granules ou granulations (soit neutrophiles, soit éosinophiles ou acidophiles, soit basophiles) ; les monocytes ; les lymphocytes. Il y a donc trois grandes catégories de leucocytes dans le sang : granulocytes, monocytes et lymphocytes. Par contraste avec les granulocytes, les monocytes et lymphocytes sont également appelés cellules « mononucléées » : leur noyau est arrondi ou peu segmenté, par opposition aux « polynucléaires ».

Les lymphocytes sont les cellules clefs du système immunitaire, donc de l’immunité. On distingue les lymphocytes B et les lymphocytes T appelés couramment « cellules T ». Dans le sang, les lymphocytes apparaissent comme de petites cellules ayant un noyau arrondi, une quantité variable de cytoplasme et parfois quelques granulations.

Les lymphocytes B se spécialisent et deviennent matures dans la moelle osseuse hématogène (B vient de l’anglais bone qui signifie l’os). Les lymphocytes T se spécialisent et deviennent matures dans le thymus ou d’autres organes similaires (d’où la lettre T pour thymus). La spécialisation et la maturation des lymphocytes consiste en l’activation de certains gènes et la synthèse de molécules immunitaires dans le cytoplasme. Certaines molécules immunitaires sont transportées à travers la membrane cytoplasmique et se fixent sur la face externe de cette membrane : il s’agit d’antigènes et d’immunoglobulines ou anticorps. Il y a différents types d’antigène lymphocytaire de surface qui varient selon la spécialisation du lymphocyte. Les immunoglobulines de surface sont des détecteurs immunitaires : c’est grâce à elles que les lymphocytes qui les portent font la différence entre le « soi » et le « non soi » (ou élément étranger). A côté de cette différence basique, les lymphocytes produisent un très grand nombre d’immunoglobulines différentes, chacune ayant sa spécialité.

On voit que les lymphocytes sont des leucocytes complexes et spécialisés. Ils portent sur la surface de leur membrane à la fois des antigènes et des immunoglobulines (anticorps).

Les antigènes de surface des lymphocytes B et T permettent aux biologistes de les classifier. Depuis 1982, on distingue les sous-populations de lymphocytes en fonction de l’existence ou non de certains antigènes de surface. Ce sont ces antigènes de surface qui sont désignés par le sigle CD (en anglais : cluster of differentiation, soit groupe de différenciation), sigle qui est suivi d’un numéro. Par exemple, une sous-population lymphocytaire est dite CD19+ CD20+ quand les lymphocytes qui la composent possèdent les antigènes de surface CD19 et CD20. On peut aussi, selon le cas, préciser en plus la nature des immunoglobulines de surface également présentes (Ig M : immunoglobulines de type M, Ig G, de type G, etc.).

Les lymphocytes B matures sont CD19+ CD20+ IgM IgD. D’une façon générale, une immunoglobuline (Ig) à la surface des cellules lymphoïdes coïncide avec l'arrêt de leur multiplication et le passage au statut de cellule mature. Les lymphocytes qui n'ont jamais été en contact avec un antigène sont appelés « lymphocytes naïfs ». Ils quittent la moelle osseuse pour le sang périphérique, puis circulent dans l'ensemble des tissus à la recherche de contacts avec un antigène étranger. Ce sont 10 % des lymphocytes circulants.

Dans le thymus et les organes associés, la spécialisation et la différenciation des lymphocytes T se fait en plusieurs étapes. Les lymphocytes T sont tous CD3+.

Les thymocytes (lymphocytes T) corticaux (formés dans la région périphérique du thymus) sont CD3+ CD4+ CD8+, alors que les thymocytes médullaires (formés dans la région centrale du thymus) sont soit CD3+ CD4+ CD8-, soit CD3+ CD4- CD8+.

Les lymphocytes T portent également un récepteur « T » qui est caractéristique des lymphocytes T, aucune autre cellule du corps ne le porte. Le récepteur T est appelé TCR (en anglais : récepteur des cellules T) ; il en existe deux types : Tαβ et Tγδ.

Le type Tαβ est largement majoritaire. Les lymphocytes T représentent au total 70 à 80 % des lymphocytes circulants.

Le rôle des lymphocytes T est majeur dans la régulation de la réponse immunitaire. Par ailleurs, d’une façon générale, les lymphocytes T CD4+ coopèrent avec les cellules B pour la synthèse d'anticorps (par les plasmocytes, qui sont des lymphocytes B très spécialisés) et sont appelés cellules T auxiliaires ; tandis que les lymphocytes CD8+ sont appelés cellules T cytotoxiques.

Il existe aussi de grands lymphocytes contenant des granulations et qui sont CD3− CD16+ CD56+ ; ces grands lymphocytes éliminent les cellules étrangères de l’organisme (comme les cellules cancéreuses) et sont appelés cellules tueuses (« NK », de natural killers en anglais) ; les lymphocytes NK constituent environ 10 % des lymphocytes circulants. Ils sont entre les cellules B et les cellules T, n’appartenant véritablement ni aux uns ni aux autres.

La découverte citée en objet concerne une nouvelle variété de récepteur TCR, appelé TCR-MR1. Ce récepteur TCR-MR1 est capable de reconnaître certaines cellules cancéreuses dites MR1+. Contrairement aux récepteurs TCR déjà connus, il varie très peu dans la population humaine, ce qui est un énorme avantage pour son éventuelle application en thérapeutique. Ainsi, les lymphocytes TCR-MR1 reconnaissent les cellules cancéreuses MR1+ et provoquent leur mort. Ils n’agressent pas du tout les cellules non cancéreuses.

On sait cultiver au laboratoire des cellules cancéreuses humaines qui se multiplient même facilement en dehors du corps humain. Les lymphocytes TCR-MR1 sont efficaces pour tuer les cellules cancéreuses humaines de : poumon, peau, côlon, sein, prostate, d’ovaire et os. Car ces cellules cancéreuses sont MR1+. Et on a pu obtenir une régression de la leucémie chez la souris grâce à des lymphocytes TCR-MR1. L’aspect prometteur de cette découverte réside dans le fait qu’une très grande proportion de cellules cancéreuses est MR1+. De plus, le récepteur TCR-MR1 des lymphocytes T est peu variable, tandis que les récepteurs de cellules cancéreuses déjà connus variaient beaucoup selon l’individu et selon le cancer.

Cette cellule aurait la faculté, selon les chercheurs, de guérir "tous types de cancers". Peut-elle être utilisée pour d'autres maladies ? Le VIH par exemple ?

Stéphane Gayet: Cette découverte est une porte ouverte à une nouvelle thérapie cellulaire des cancers. Mais il n’est pas du tout sûr qu’elle puisse permettre de guérir tous les types de cancer : probablement d’en soigner efficacement un grand nombre.

En fonction de ce que l’on sait aujourd’hui, cette nouvelle thérapie cellulaire ne concernerait que des cancers, et non pas des infections virales très graves. Cependant, la découverte de ce nouveau récepteur sur la membrane des cellules T peut laisser entrevoir la possibilité de découvrir d’autres récepteurs, dont peut-être certains cibleraient des microorganismes.

Pour l'instant, aucun test n'a été effectué sur des patients mais les chercheurs insistent sur "l'immense potentiel" de cette découverte. Sommes-nous sur la bonne voie en termes de guérison des cancers ? Croyez-vous en cette découverte ?

Stéphane Gayet : C’est une découverte pleine d’intérêt et prometteuse, bien sûr. Mais ce n’est pas la première de ce type. Actuellement, il y a une telle compétition nationale et internationale dans la recherche, que les équipes se dépêchent de publier, ne serait-ce qu’une ébauche d’avancée décisive. Il n’est pas certain que ce travail puisse être transposé en thérapeutique. Mais c’est de toute façon un grand pas en avant.

Il est surprenant d’apprendre que le groupe de recherche dirigé par le professeur Gennaro De Libero, du département de biomédecine de l'université de Bâle, avait déjà fait et publié cette découverte en 2017, mais il ne l’avait pas suffisamment exploitée.

Sommes-nous sur la bonne voie en termes de guérison des cancers ? On progresse continument, à n’en pas douter. Mais il faut rappeler que les traitements qui pourraient guérir les cancers ne sont pas forcément l’objectif de recherche de toutes les équipes, notamment privées et financées par les laboratoires pharmaceutiques.

Faut-il croire en cette découverte ? Pourquoi l’équipe suisse n’a-t-elle pas été plus loin après sa découverte de 2017 ? On ne peut qu’y croire, cette publication est semble-t-il digne de confiance et de sérieux. Mais il n’est pas sûr qu’elle débouche effectivement sur la thérapeutique cellulaire qu’elle laisse entrevoir. On a souvent eu l’occasion de déchanter à la suite d’annonces telles que celle-ci. Mais c’est indiscutablement un progrès décisif.

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