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Succès passager ? Attention bulle politique en vue chez les Verts
©Reuters

Vote par défaut

Après un vrai succès aux élections européennes, le parti écologiste EELV pourrait signer une performance similaire aux municipales. Pourtant le parti ne semble pas réussir à rassembler au-delà des métropoles pour s’imposer comme une formation capable de diriger le pays.

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

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Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico.fr : On attend un score élevé d’Europe Écologie Les Verts aux municipales. Peuvent-ils en assumer le résultat et aller au-delà du vote par défaut ou du vote de bonne conscience?

Chloé Morin : Il ne faut pas se tromper sur ce que disent les scores EELV - aux Européennes, comme aux municipales à venir. EELV est un vote de cause, dans un espace politique qui souffre de défiance et de désintérêt, et où les citoyens ont le sentiment que le vote ne change plus la vie. C’est un vote qui paraît pragmatique et « désidéologisé » - de nombreux électeurs EELV ne se placent nulle part sur l’échiquier politique, en tout cas pour ceux qui sont des électeurs intermittents - à l’heure où la plupart des grandes idéologies suscitent la méfiance, voire ont été disqualifiées par l’Histoire. Enfin, c’est un vote lisible, car associé à un sujet clair et simple, dans un grand bazar où les étiquettes ne cessent de changer et de valser, lorsqu’elles ne sont pas purement et simplement cachées…

Pour toutes ces raisons, EELV est (avec le Modem, pendant un temps du moins…) un des seuls partis à défier la gravité politique : 50% de popularité pour ce petit parti, et jusqu’à 63% en juin dernier dans l’élan des élections victorieuses.. quand on sait que LREM est à 26% (Kantar), malgré sa nouveauté relative, le PS à 23, LFI à 22 ou LR à 19, on mesure l’ampleur de l’avantage d’image de ce parti associé à une cause juste et non clivante. Pour autant, les personnalités qui sont supposées l’incarner sont soit inconnues, soit relativement peu populaires : après un envol à 26% de cote d’avenir (chez Kantar), Jadot est retombé à 15% de Français qui souhaitent qu’il ait davantage d’influence à l’avenir.

EELV veut manifestement se compter lors de ses élections. Y aller seule, c’est exploiter à plein les atouts que j’ai listés plus haut - au risque de l’incohérence, lorsque les candidats EELV sortants se trouvent opposés à des candidats avec qui ils gouvernent les villes depuis un voire deux mandats, comme c’est le cas à Paris. Mais cette stratégie solitaire ne veut nullement dire qu’au second tour il n’y aura pas de discussions, et que EELV ne reconstituera pas de coalitions. Il est toujours mieux d’arriver dans des négociations en position de force… Car à ce stade, EELV pourra certainement gouverner des villes seule, mais nous savons que son objectif est de changer de dimension, de passer de la ligue 2 à la première, si l’on peut utiliser une métaphore footbalistique, et espérer accéder au second tour de la Présidentielle. Au regard de sa culture, qui n’est pas celle d’une personnalisation imposée par les institutions de la Ve République, et de l’ancrage de ses militants à gauche - traditionnellement plus à gauche que le PS, même -, il lui reste beaucoup de chemin à parcourir et il n’est pas du tout certain qu’elle y parvienne sans alliés ou transformation radicale et profonde du parti...

Eddy Fougier : Je reste prudent quant à la vague verte attendue aux municipales. Il faudra déjà voir si le parti écologiste parvient à conserver des villes phares comme Grenoble, s’il arrive à transformer l’essai des législatives. Mais les Verts ont pour eux deux éléments structurels.

D’abord, l’idée que nous sommes dans la dernière ligne droite de la lutte contre le réchauffement climatique. Le rapport du GIEC donnait en 2018 deux ans aux populations pour réagir avant de devoir prendre des décisions radicales pour stopper le réchauffement de la planète.

Le deuxième élément est la montée en puissance des générations Y et Z, sensibles aux questions environnementales, qui font leur entrée sur le marché du travail. 

Ces éléments, associés aux évènements climatiques violents qui ont eu lieu en France en 2018 et 2019, ont fait de la question écologique un enjeu central de toute élection.

Pourtant, malgré cette tendance favorable à l’écologie politique, EELV n’a pas encore réussi à s’imposer comme un parti capable d’assumer un rôle de premier plan au sein d’un gouvernement, encore moins de diriger le pays. EELV demeure un parti de métropole, estampillé « bobo », insupportable aux yeux de nombreux acteurs de l’écologie française, comme les agriculteurs. Le parti conserve une certaine forme d’élitisme qui demeure un frein à son développement. Cette écologie de la bonne conscience reste totalement étrangère aux catégories sociales les plus faibles, qui lui préfèrent une écologie pratique. De plus, EELV conserve son discours « pastèque », vert à l’extérieur, rouge à l’intérieur, critiqué depuis longtemps déjà, qui ne lui permet pas de transcender les barrières sociales. 

La possibilité de l’émergence d’une figure verte au sein d’un parti de gauche pour les présidentielles, comme François Ruffin chez La France Insoumise, est également un paramètre à prendre un compte. Si cela devait arriver, EELV devrait faire face à des choix compliqués, notamment celui de se présenter ou non aux présidentielles, et surtout avec quelle figure pour l’incarner.

Peut-on imaginer pour EELV un parcours semblable à celui d’En Marche, qui vendrait à nouveau bouleverser l’ensemble du champ politique français en rebattant les cartes ?

Chloé Morin : Comme je le disais à l’instant, EELV n’a pas intérêt à rester seul, mais elle a intérêt à se compter pour peser dans des discussions ultérieures, au niveau local comme national. La difficulté des alliances à géométrie variable est que cela engendrera nécessairement de la confusion : comment prétendre avoir une idéologie nationale cohérente, si l’on gouverne des villes tantôt avec la droite tantôt avec la gauche, avec les différences tout de même significatives que cela peut engendrer sur la question de l’accueil des réfugiés, par exemple? Sauf, évidemment, à ce que le parti au niveau national ne soit ramené à son plus petit dénominateur commun, c’est à dire l’écologie. Mais l’écologie seule ne pourra suffire pour gouverner un pays… pas pour le moment, en tout cas. 

Les Verts cherchent à sortir de la fonction de caution morale ou de béquille du Parti socialiste, qu’ils ont occupée depuis des années. C’est normal, et le rapport de force électoral le leur permet. Maintenant, il serait étonnant que plutôt que rassembler autour d’eux une gauche certes divisée mais qui existe encore - 30% à Marseille, au total, ce n’est pas rien -, ce qu’ils ont les moyens de faire en théorie, ils choisissent l’isolement au risque de l’échec au pied des marches du second tour en 2022. Le manque d’humilité que l’on a reproché à un PS hégémonique, pourrait lui jouer des tours. Car les électeurs de gauche souhaitent, eux, toujours que leurs idées parviennent au pouvoir, et risquent de sanctionner ceux qui choisissent la division.

Eddy Fougier : Je n’en suis pas certain. Cette écologie politique a certes un gros potentiel mais dans sa volonté d’horizontalité, de constamment « couper ses têtes », elle reste incompatible avec notre système institutionnel. Mais les bouleversements actuels sont tels que tout devient possible. Si la peur s’empare de la population au sujet des questions climatiques, des décisions coercitives devront être prises et les partis écologiques pourraient alors entrer dans de nouvelles coalitions au sein du gouvernement.

Les tendances au sein du parti sont nombreuses, et les volontés d’alliances peuvent encore surprendre, notamment le mouvement initié par Yannick Jadot vers les conservateurs au Parlement Européen. Ce parti politique, s’il devait aller aux présidentielles, doit-il s’ouvrir?

Chloé Morin : Évidemment, LREM a créé un précédent que tous les partis et responsables politiques veulent suivre… la véritable question est « Est-ce que EELV saura maintenir son monopole sur la question écologique? ». Anne Hidalgo démontre à Paris qu’il est possible sinon de leur ravir ce monopole, du moins de leur contester sérieusement : elle rassemble sur son nom, selon l’Ifop, un quart des sympathisants EELV au premier tour, et 39% de ceux qui ont fait le choix de l’écologie aux dernières européennes ! Soit autant d’électeurs EELV-2019 que le candidat écologiste…  

Partout, droite, gauche, En Marche ou même FN, l’assaut est lancé pour venir s’approprier une part de cette nouvelle « rente » politique qu’est devenue l’écologie. EELV saura-il résister? Combien de temps? De la même manière qu’aujourd’hui, la question identitaire a infusé dans tous les partis, la question sociale aussi, etc, il serait étonnant qu’il reste un parti « mono sujet ». D’autant que comme je le disais plus haut, le monopole de l’écologie a l’avantage de la clarté, mais l’inconvénient de susciter une forme de défiance lorsqu’il s’agit d’élections dont on attend aussi et avant tout des solutions sociales et régaliennes, comme c’est le cas de la Présidentielle…

Suivre la trajectoire d’En Marche relève sans doute à ce stade du Wishful Thinking, même si ce n’est jamais impossible compte tenu du climat politique actuel, extrêmement volatil. En revanche, un sujet va se poser aux écologistes de manière de plus en plus pressante dans les mois à venir : si le sujet se présente, vont-ils s’allier avec LREM dans la perspective d’un second mandat présidentiel? Pour le moment, ils se montrent très critiques vis à vis du Président et de son bilan. Mais leur électorat est, sur certains points, proche de celui du Président. Ils pourraient avoir envie de sortir de la marginalité, et d’accéder pleinement aux responsabilités. Ils vont donc devoir faire un choix, et ce, si ce n’est aux municipales, du moins dès les régionales : l’opposition, ou l’alliance? Il n’est stratégiquement pas anormal qu’ils réservent le sujet pour le moment, car ils cherchent à bénéficier d’une éventuelle vague de « correction » du Président, dont on constate l’impopularité dans le pays… mais on voit que certains chez LREM commencent à poser la question…

Eddy Fougier : La question des alliances a toujours été le dilemme de l’écologie en France, c’est un vieux débat. Soit le parti garde sa ligne du « ni droite ni gauche », soit il choisit d’aller sur sa gauche en s’alliant avec des partis qu’il estime compatibles avec sa ligne. Souvenons-nous du duel entre Nicolas Hulot et Eva Joly aux primaires écologistes de 2017. Hulot a perdu à cause de ses positions jugées trop libérales. On parlait même de lui dans un gouvernement Fillon. Au final, il a terminé chez Macron. Mais l’élection d’Eva Joly n’a pas empêché le départ, tout au long du quinquennat Hollande, de toutes les figures du parti. EELV oscille constamment entre l’élargissement et le rétrécissement de sa base. Pour les municipales, clairement, les écologistes ne peuvent pas y aller seuls.  Mais avec 69% des français qui ne veulent pas de Macron en 2022 et les changements de mentalité vis-à-vis des phénomènes climatiques, EELV pourrait avoir son mot à dire dans les prochaines élections présidentielles.

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