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Inégalités : et le choeur des pleureuses milliardaires repris à Davos
©Fabrice COFFRINI / AFP

Larmes de crocodile

Branko Milanovic évoque la situation et le contexte du forum de Davos qui s'est ouvert en ce début de semaine en Suisse.

Branko Milanovic

Branko Milanovic

Branko Milanovic est chercheur de premier plan sur les questions relatives aux inégalités, notamment de revenus. Ancien économiste en chef du département de recherches économiques de la Banque mondiale, il a rejoint en juin 2014 le Graduate Center en tant que professeur présidentiel invité.

Il est également professeur au LIS Center, et l'auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels Global Inequality - A New Approach for the Age of Globalization et The Haves and the Have-Nots : A Brief and Idiosyncratic History of Global Inequality.

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Vous me trouverez désireux de vous aider,
mais lent à faire le moindre pas.
Euripide, Hécube  

Des milliers de personnes se réunissent cette semaine à Davos. Cumulée leur fortune atteint plusieurs centaines de milliards de dollars, peut-être même près d'un trillion de dollars. Jamais dans l'histoire du monde, le montant de la richesse par mètre carré n'aura été aussi élevé. Et pourtant, cette année, pour la sixième ou septième fois consécutive, l'un des principaux thèmes abordés par ces capitaines d'industrie, milliardaires, employeurs de milliers de personnes aux quatre coins du monde sera : l'inégalité...

Ce n'est qu'ensuite, et probablement en marge du programme officiel, qu'ils pourront parler de l'énorme pouvoir de monopole et de monopsone de leurs entreprises, de la capacité de dresser une juridiction contre une autre afin d'éviter les impôts, de la manière d'interdire les représentants syndicaux dans leurs entreprises, de la manière d'utiliser les services d'ambulance du gouvernement pour transporter les travailleurs qui se sont évanouis à cause de la trop forte chaleur (pour économiser les frais de climatisation), de la manière de faire en sorte que leur main-d'œuvre augmente son salaire par des dons de charité privés, ou peut-être enfin de la manière de payer un taux d'imposition moyen compris entre 0 et 12 % (méthode utilisée par Trump et Romney). S'ils sont issus de pays émergents, ils peuvent également échanger sur la manière de repousser le paiement des salaires de plusieurs mois afin d'investir ces même fonds à des taux d'intérêt élevés ou sur la manière de ne pas dépenser trop d'argent sur le respect des normes du travail, ou encore sur la manière d'acheter des entreprises privatisées à un coût moindre pour ensuite créer des sociétés écrans dans les Caraïbes ou les îles anglo-normandes.

Mais n'en doutons pas la pauvreté et les inégalités, deux problèmes majeurs de notre époque, ne quitteront jamais leurs esprits.

Si les résultats sont moindres, c'est simplement qu'ils n'ont jamais réussi à trouver assez d'argent, de temps, ou peut-être pas assez de lobbyistes prêts à aider à la mise en œuvre de politiques qu'ils seraient tous prêts à accepter et à mettre en place au cours des sessions officielles : augmentation des impôts pour les 1% les plus riches et sur les gros héritages, salaires décents et stables, réduction des écarts entre le salaire du PDG et le salaire moyen, investissement plus important dans l'éducation, rendre l'accès aux actifs financiers plus attrayant pour la classe moyenne et la classe ouvrière, égalisation des impôts sur le capital et le travail, réduire la corruption dans les contrats gouvernementaux et les privatisations.  

Et quand rien n'aura changé, ils regretteront d'avoir singulièrement échoué à convaincre les gouvernements de faire quoi que ce soit pour lutter contre l'augmentation des inégalités. Ou plutôt que des politiques diamétralement opposées aient été menées : Trump a, comme il l'avait promis ou menacé, voté une réduction d'impôts historique pour les plus riches, tandis que Macron a découvert l'attrait du thatchérisme moderne. Rien de positif ne semble avoir été fait non plus dans les économies de marché émergentes (à l'exception de la lutte active contre la corruption en Chine).

Ce retour aux relations industrielles et aux politiques fiscales du début du XIXeme siècle est bizarrement mené par des personnes qui se targuent d'accord beaucoup d'importance à l'égalité, au respect, à la participation et à la transparence. Bien sûr aucun d'entre eux n'est favorable au "Master and Servant Act" ni au travail forcé mais il se trouve que le discours sur l'égalité a été exploité, au cours de ces cinquante dernières années voire plus, dans la poursuite des politiques structurelle les plus inégalitaires. Et en effet, il est beaucoup plus rentable pour eux d'appeler des journalistes et de leur expliquer que dans x années ils donneront 90% de leur fortune à des oeuvres de charité plutôt que de payer leurs fournisseurs et travailleurs raisonnablement ou de cesser de vendre des informations sur les utilisateurs des réseaux sociaux. Il est moins  coûteux de coller des autocollants favorables au commerce équitable plutôt que de renoncer à l'utilisation de contrats zéro heure.

Ils répugnent à payer un salaire décent à leurs employés, mais ils financeront un orchestre philharmonique. Ils interdiront les syndicats, mais ils organiseront un atelier sur la transparence au sein du gouvernement.

Et c'est une histoire dans fin, dans un an, ils seront de retour à Davos et peut-être qu'un nouveau record de richesse en dollars par mettre carré sera atteint, mais les thèmes, dans les salles de conférence et en marge, seront toujours les mêmes. Et cela continuera ainsi... jusqu'à ce que ce ne soit plus le cas.

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