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Post-Brexit : entre un Singapour britannique et un cavalier solitaire allemand, quel destin pour l’économie française ?
©CHRISTIAN HARTMANN / POOL / AFP

Concurrence européenne

Le Fonds monétaire international a réduit sa prévision de croissance mondiale pour cette année 2020. Malgré le Brexit, le Royaume-Uni devrait néanmoins bénéficier d'une croissance supérieure à celle de l'Union européenne, selon les estimations du FMI.

Jean-Hervé Lorenzi

Jean-Hervé Lorenzi

Jean-Hervé Lorenzi est économiste.

Président du Cercle des économistes, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Le fabuleux destin d'une puissance intermédiaire (Grasset, 2011). Son dernier livre s'intitule Un monde de violences, l'économie mondiale 2015-2030 (Eyrolles, juillet 2014).

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Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico.fr : Que penser des prévisions de croissance mondiale du FMI

Michel Ruimy : Le Fonds monétaire international (FMI) a revu à la marge ses précédentes prévisions de croissance. La baisse envisagée est avant tout justifiée par la situation de certains pays émergents sur lesquels repose la reprise de la croissance mondiale. En effet, la croissance du Chiliest affectée par des troubles sociaux etcelle du Mexique par la faiblesse prolongée de l’investissement.

Mais si les risques de dégradation des perspectives à l’échelle mondiale ont diminué grâce à une atténuation partielle des tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis (un signe favorable pour le commerce mondial et l’industrie), le Fonds estime toujours comme importantsle risque géopolitique au Moyen-Orient. En particulier, les tensions entre les Etats-Unis et l’Iran pourraient perturber l’approvisionnement mondial en pétrole, nuire au moral et affaiblir, au final, les investissements commerciaux déjà timides. De même, l’intensification des troubles sociaux dans de nombreux paysreflète l’érosion de la confiance dans les institutions établies et le manque de représentativité des structures de gouvernement.

Reste que toutes ces projections dépendent, dans une large mesure, de la capacité des dirigeants à éviter notamment une nouvelle escalade des tensions commerciales américano-chinoises, à empêcher un Brexit sans accord et à éviter les ramifications économiques des troubles sociaux et des tensions géopolitiques. 

2020 doit être une année d’apaisement sinon la croissance, déjà faible, pourrait être sérieusement entamée. 

Jean-Hervé Lorenzi : Leurs prévisions se révèlent toujours sur-estimées. Il faut qu’il donne de la confiance donc il croit beaucoup à l’auto-réalisation. Ils imaginent une reprise d’activité au niveau mondiale or il n’y a aucune raison que ce soit le cas. Comme personne n’a la moindre idée de ce qu’il peut se passer si Donald Trump est réélu et avec la perspective de la guerre commerciale sino-américaine, tout cela me laisse assez perplexe. 

Il est dit que le Royaume-Uni aura une croissance supérieure à celle de l’UE malgré le Brexit, quels enseignement tirer de cela ? La Grande-Bretagne ne risque-t-elle pas de devenir le Singapour ou le Hong-Kong de l’Europe ? 

Michel Ruimy : Il est nécessaire de préciser que la prévision concernant l’économique britannique se fonde sur un scénario de Brexit « ordonné » et sur une transition graduelle vers de nouvelles relations qui lieront, à l’avenir, l’Union européenne (UE) et le Royaume-Uni. Ce schéma est effectivement le plus probable.

Cette projection n’est pas véritablement aberrante dans la mesure où elle résulte davantage du ralentissement voire l’atonie économique de l’Union européenne observé depuis quelques mois que d’une vigueur de l’économie britannique. Elle peut s’expliquer par le fait que le Royaume-Uni a mieux géré la sortie de crise 2008 que ne l’ont fait certains pays de la zone euro. Les initiatives de la Banque d’Angleterre ont été, en outre,plus efficaces, plus pragmatiques que celles menées par la Banque centrale européenne au cours de ces 10 dernières années. Ensuite, au plan historique, le Royaume Uni est, en quelque sorte, un précurseur du monde occidental. En effet, il a été le premier à sortir de l’étalon-or et de la crise de 1929. Plus proche de nous, en 1979, il est le premier à tenter l’expérience libérale. D’autres exemples peuvent être cités.

Mais, aujourd’hui, l’atout que possède le Royaume Uni, est la majorité politique dont dispose Boris Johnson avec les dernières élections. Ceci lève les incertitudes sur la situation, qui est désormais plus claire, ce qui est un avantage dans le contexte actuel. Le Premier ministre ne devrait pas être entravé dans la mise en place de son programme de relance. Ceci se traduit déjà dans les résultats d’enquêtes d’opinion (amélioration du sentiment des entreprises et des consommateurs) mais aussi dans certaines statistiques : par exemple, le taux de chômage atteint moins de 4%, soit environ la moitié du niveau de la zone euro. Pour le moment, les indicateurs s’améliorent après une année 2019 difficile.

Toutefois, tout le problème réside dans la capacité de Boris Johnson à réaliser ses promesses. Le Premier ministre ambitionne de saisir l’occasion du Brexit pour transformer durablement l’économie du pays. Il souhaite investir massivement, dans le système de santé, ou au travers de travaux d’infrastructure dans le nord de l’Angleterre, etc. Il s’agit de rééquilibrer l’économie du pays et de briser la tendance en cours d’un pays à deux vitesses : Londres et le reste du pays. Pour cela, il devrait, apriori, pouvoir s’appuyer sur la Banque d’Angleterre, dont le nouveau président vient d’être désigné.

Un autre risque politique est la capacité de Boris Johnson à consolider la nouvelle base politique acquise au Labor lors des dernières électionset à rassembler son parti autour d’un tel programme de relance, à négocier correctement l’avenir commercial avec l’Union européenne (le ralentissement européen pourrait inciter la France et L’Allemagne à être plus conciliants) et à obtenir un bon accord avec les États-Unis.

S’il y aura vraisemblablement une perte consécutive due au Brexit, tout l’enjeu, pour le gouvernement, est de soutenir des secteurs d’innovation pour permettre de compenser le déficit subi et d’être capable de mener une politique macroéconomique favorable. Les firmes britanniques devraient vraisemblablement compter sur le soutien apporté à la demande intérieure britannique par les voies budgétaire et monétaire. La prochaine décision de la Banque d’Angleterre (30 janvier) est attendue. Elle sera importante dans cette optique.

Jean-Hervé Lorenzi : Ils parlent assez peu du Royaume-Uni finalement. Ils estiment la croissance à 1,3% sur deux ans puis 1,4% puis 1,5% sur les deux années suivantes mais ils n’ont pas la queue d’une idée en fait ! Personne ne sait ce qu’il va se passer. J’ai fait parti de ceux qui n’ont jamais cru à l’effondrement de la Grande-Bretagne en prévision du Brexit mais je ne crois pas non plus à la rédemption absolue. Ils ont 1,3% de croissance cette année et le plus naturel quand on n’a pas d’idée, c’est de dire qu’ils auront 1,3% l’année prochaine. L’écart avec l’UE est très faible… on parle de dixième alors qu’ils se trompent tout le temps. Ils ont fait des prévisions qui sont des prévisions de débuts d’années qui seront à corriger. Il n’y a aucune raison que la Grande-Bretagne s’effondre, aucune raison que la Grande-Bretagne explose, ni dans un sens ni dans un autre ! Au moment de l’annonce de la sortie, nous avions espéré que Paris devienne la première place financière mondiale après New-York mais cela ne s’est pas passé. Les acteurs se sont plutôt rabattu vers Francfort et surtout Dublin. Il n’y a pas eu de mouvement formidable mais pas non plus de mouvement catastrophique. Les britanniques vont comme toujours trouver une solution pour sortir sans dommage et sans drame, donc je ne pense pas du tout qu’il va y avoir un impact très important du Brexit. Il ne va pas changer la face du monde, et je suis sur que la place financière de Londres va demeurer très importante, mais delà à dire qu’elle va devenir le Hong-Kong ou le Singapour je n’en suis pas sur.

Quelle stratégie la France peut-elle adopter dans ce contexte ? 

Michel Ruimy : Le scénario redouté par les Européens - celui d’un Brexit favorable au Royaume Uni - est désormais possible. Boris Johnson a exclu toute prolongation de la période de transition et il estime qu’un accord commercial complet pourrait être conclu d'ici la fin de l’année… au contraire des dirigeants de l’UE. Cette divergence de points de vue laisse présager un accord partiel, ce qui compromettrait la croissance projetée par le FMI.

En fait, le principal risque qui pèse aujourd’hui sur la croissance britannique est la faible demande (momentanée ?) européenne. Si le marché britannique est fortement dépendant de ses exportations vers l’UE, la zone euro, et principalement l’Allemagne et la France, a un excédent commercial important vis-à-vis du Royaume Uni. Il s’agit d’un client essentiel pour le continent. Dans une telle configuration, il serait dangereux pour l’Union européennede se couper trop sèchement du Royaume Uni sauf à vouloir absolument « punir »ce pays. Dès lors, l’Allemagne et la France ont intérêt à ce que les négociations se déroulentbien, s’ils ne veulent pas fragiliser leur propre croissance.

Plus spécifiquement, dans un contexte où le Royaume-Uni recouvrirait une santé économique et l’Allemagne son dynamisme via des investissements massifs dans les infrastructures et dans le secteur climatique, la France aura un intérêt certain à renforcer ses liens avec ses deux pays pour bénéficier de leur élan.

Jean-Hervé Lorenzi : Je vais vous répondre de manière très brutale : je suis très optimiste sur la France. très optimiste. Cela n’a aucun rapport avec le Brexit. On peut dire que le ralentissement allemand est un  problème car nous sommes très liés avec elle, mais politiquement, pour l’Europe, c’est une bonne chose ! Ils sont moins sur d’avoir raison sur tous les sujets. La France n’est pas non plus dans une période exceptionnelle, on tourne entre 1% et 1,5%. Cela dit, il se trouve deux choses : cette croissance est fondée sur une création d’entreprise très importante. Il y a également une évolution très positive des créations d’emplois. Donc la France, qui est très résiliante par rapport aux évènements qu’elle a connu (ceux-ci vont avoir un impact très marginal sur la croissance française), va connaitre une dynamique positive liée à un pouvoir d’achat qui croit de manière assez forte même si les français pensent l’inverse car les suppressions dont la fin d’une partie de la taxe d’habitation donne beaucoup de pouvoir d’achat. La réalité française, c’est que vu la relative faiblesse de l’épargne, il y a un mouvement qui renforce la mécanique de la création d’emploi. Brexit ou pas Brexit, la France se trouve sur des secteurs d’activité assez porteurs comme le luxe et la défense qui continueront leur expansion quelque soient les deux années qui viennent, les services (environnement, eau, déchets etc…), l’aviation et j’en passe… La croissance française dans le genre, 1,3/1,4 et du genre assez résiliante fondée sur l’emploi et la création d’entreprise. Laissons les prévisions du FMI qui ne nous apportent pas grande chose, et regardons le premier impact des réformes de la fin du mandat de Hollande et celles du gouvernement Macron, quoiqu’on en dise, tout cet impact est globalement positif. 

L’avenir s’annonce donc dynamique pour la France ? 

Michel Ruimy : L’élection de Boris Johnson pourrait avoir un effet en Europe. En effet, il va se retrouver en capacité d’agir sur tous les leviers. La liberté politique dont il va disposer, si celle-ci se matérialise par des résultats économiques et un apaisement politique, pourrait avoir un effet sur les autres dirigeants européens. 

Il n’en demeure pas moins que s’il n’existe pas de risque immédiat, car le niveau actuellement bas des taux d'intérêt suggère qu'une dette plus élevée peut être soutenable, le niveau élevé de la dette n'offre guère de quiétude. Notre pays dispose de peu de marge de manœuvre en cas de crise. Il est nécessaire de procéder à un effort budgétaire structurel ambitieux afin de placer la dette sur une trajectoire ferme à la baisse… sans oublier, malgré tout, que la crise au sein des pays de l’Union européenne est très profonde (pauvreté, quête d'identité, qualité de vie en baisse).

Jean-Hervé Lorenzi : Je suis convaincu que les dix années qui viennent seront des années françaises. La Grande-Bretagne restera toujours dynamique mais sera en dehors et l’Allemagne n’est pas aussi vive qu’auparavant. La variable clef de la croissance des pays est aux dividendes démographiques, à condition qu’il y ait une capacité d’embauche. Sur ce plan là, les chiffres nous disent bien mieux placé que l’Allemagne très plombée par des secteurs comme le commerce mondial (dont elle est le principal bénéficiaire) ou le secteur mécanique qui n’est pas des plus porteurs, et tout nous conduit vers une situation de rééquilibrage des économies des deux pays. Il y a une espèce de convergence des deux économies et elles se croiseront lorsque les populations se croiseront c’est à dire dans une dizaine d’années. 

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