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Ce duel nationaux/mondialistes auquel s’accrochent Marine Le Pen et Emmanuel Macron alors qu’il n’intéresse pas vraiment les Français
©BERTRAND GUAY / AFP

Alternative

Marine Le Pen a annoncé sa candidature à l'élection présidentielle de 2022, en opposition à Emmanuel Macron. Mais le duel entre populistes et mondialistes est-il inévitable ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Marine Le Pen pronnonçait jeudi ses voeux à la presse, durant lesquels elle a annoncé sa candidature à l'élection présidentielle de 2022, expliquant qu'elle ne pouvait pas laisser Emmanuel Macron "courir seul". Si selon Marine Le Pen le duel entre populistes et mondialistes est inévitable et attendu de tous, est-ce vraiment le cas ? 

Edouard Husson : Il y a un paradoxe dans l’attitude de Marine Le Pen. La meilleure chance de gagner l’élection présidentielle, pour n’importe quel candidat autre que Macron, c’est de ne surtout pas entrer dans les coordonnées du débat posées par le président en place. Emmanuel Macron est à nouveau mal en point dans l’opinion, nul ne peut dire comment vont dérouler les 26 derniers mois de son quinquennat. A côté de la réforme des retraites, la Bérézina pourrait devenir synonyme de victoire. Ce vendredi soir 17 janvier, le président a dû quitter une représentation théâtrale à laquelle il assistait aux Bouffes du Nord à cause d’un début d’intrusion de manifestants. Les images des manifestants menaçant sa voiture rappellent celles du Puy en Velay, le 3 décembre 2018, lorsque le Président avait dû quitter la préfecture au milieu des huées des manifestants. Marine Le Pen risque de se trouver face à un adversaire inexistant. Or ce sera son drame: elle a besoin d’Emmanuel Macron, du candidat « mondialiste » pour affirmer une candidature « populiste ». D’où, sans doute, sa décision d’affirmer dès à présent qu’elle sera candidate. 

Vincent Tournier : La confrontation entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen est en effet hautement prévisible, mais il est encore beaucoup trop tôt pour savoir qu’elle sera la configuration politique en 2022.

Pour l’heure, la question est plutôt de savoir pourquoi Marine Le Pen a lancé sa candidature si tôt. Sur le plan des principes démocratiques, ce n’est pas une mauvaise chose car il est plutôt sain pour les électeurs de savoir à quoi s’en tenir. Inversement, Anne Hidalgo vient tout juste d’annoncer sa candidature à la mairie de Paris, ce qui est très tardif. Bien sûr, il ne faut pas se leurrer : le timing des annonces dépend des intérêts de chacun. Les « outsiders » ont généralement intérêt à se déclarer précocement car ils doivent rattraper leur retard, tandis que les « insiders » ont au contraire intérêt à attendre le plus possible de façon à limiter les attaques. Cette disparité  incite d’ailleurs à se demander s’il ne serait pas plus sain d’imposer un dépôt des candidatures officielles plus longtemps à l’avance.

Cela dit, pourquoi Marine Le Pen a-t-elle fait cette annonce si tôt ? Le contexte électoral a sans doute joué. A cause des mobilisations contre la réforme des retraites, les thèmes fétiches du Rassemblement national sont mis en retrait, ce qui le place en mauvaise posture pour aborder les échéances municipales, scrutin pour lequel il est déjà mal placé : il a donc intérêt à lancer une piqure de rappel pour mobiliser ses électeurs.

Une deuxième raison peut concerner Emmanuel Macron. Ce dernier a probablement l’intention de déclarer sa candidature le plus tard possible de façon à bénéficier de son statut de président de la République. En se déclarant candidate, Marine Le Pen peut espérer lui forcer la main pour le ramener à un candidat comme les autres.

Enfin, on peut se demander si la candidature de Marine Le Pen ne révèle pas des tensions internes au sein de son parti. En effet, la présidente du RN n’est pas à l’abri d’une candidature rivale. Après tout, ses rivaux pourraient très bien faire valoir que Marine Le Pen a déjà tenté sa chance à deux reprises et qu’elle a échoué, voire que sa progression entre 2012 et 2017 n’a pas été extraordinaire (17,9% en 2012 et 21,3% en 2017). De plus, en 2021, les grands partis organiseront très probablement des élections primaires pour désigner leur candidat. Dans son parti, certains pourraient alors être tentés de demander la même procédure. Les médias pourraient être tentés de l’interpeller et de la mettre en difficulté : pourquoi n’organise-t-il pas ses propres primaires ? N’est-ce pas la preuve que ce parti n’est pas démocratique ? En habituant les esprits à sa candidature, Marie Le Pen peut donc espérer couper court aux critiques externes comme aux contestations internes.

Plutôt que d'attendre un tel duel, les Français n'y sont-ils pas en réalité résignés ? Ne préféreraient-ils pas un juste milieu ? 

Edouard Husson : Pour 2017, on nous avait annoncé un nouveau duel Sarkozy-Hollande. Nous avons eu Macron contre Marine Le Pen. Il y a fort à parier que la même chose se passera en 2022. Et quitte à parier, j’aurais tendance à penser que, de Marine Le Pen et d’Emmanuel Macron, celui qui a le plus de risques de ne pas être au deuxième tour, c’est l’actuel président. Cependant, la faiblesse d’Emmanuel Macron peut entraîner l’affaiblissement de Marine Le Pen. A partir du moment où surgirait, par exemple, un candidat de gauche consistant - pourquoi enterrer Mélenchon trop vite?- il pourrait y avoir un surgissement à droite d’un candidat capable de faire vivre un retour à l’affrontement droite-gauche. Je ne crois pas du tout que les Français soient résignés. Je pense au contraire qu’ils vont tout faire pour imposer d’autres choix. On sous-estime souvent l’intelligence collective du corps électoral. 

Vincent Tournier : C’est une question intéressante parce qu’elle invite à se demander d’où vient la polarisation entre les deux tendances que représentent Emmanuel Macron et Marine Le Pen : cette polarisation est-elle un effet de l’offre politique ou un effet de la demande de la société ? Autrement dit, dépend-elle de la structure des candidatures ou des attentes des électeurs ?

Si la polarisation dépend de l’offre, cela laisse entendre qu’il existe potentiellement un espace politique à combler. Un candidat un peu adroit pourrait donc trouver sa voie entre les deux en proposant une synthèse entre le discours du RN et celui de LREM. En revanche, si le problème vient des électeurs, c’est plus compliqué car cela signifie que les électeurs sont très polarisés. Or, cette seconde option est la plus vraisemblable car les études sur l’opinion publique montrent qu’un nouveau clivage est en train de recomposer la carte électorale, et pas seulement en France. Ce clivage oppose d’un côté un électorat urbain, diplômé et cosmopolite, de l’autre un électorat rural ou péri-urbain, moins diplômé et plus traditionnaliste. C’est un clivage que l’on retrouve dans d’autres pays, notamment aux Etats-Unis avec Donald Trump et Hillary Clinton ou au Royaume-Uni entre les pro-Brexit et les anti-Brexit. Cela ne veut pas dire que tous les électeurs entrent dans ces deux groupes, mais cela veut dire que ces deux groupes deviennent les pôles antagonistes de la société, donc ceux qui ont le plus de chance de pouvoir qualifier leur poulain au second tour de l’élection présidentielle.

Quel type de projet politique les Français attendent-ils réellement ? Qui aujourd'hui pourrait l'incarner ? 

Edouard Husson : Les Français attendent de la protection, de la sécurité mais aussi du rassemblement. Emmanuel Macron divise profondément les Français. Et il ne les protège contre rien. Son gouvernement laisse revenir en France ou sortir de prison des jihadistes. Les zones islamisées se multiplient. L’immigration n’est pas maîtrisée. La politique familiale est, par contraste, très mal en point. La criminalité est en hausse. L’école est en proie aux découragement des professeurs et à la violence des élèves dans des quartiers difficiles. L'hôpital public est en lambeaux. Le gouvernement, en s’attaquant aux retraites, détruit une des dernières sécurités des Français. Le niveau de vie baisse.  Les investissements publics sont insuffisants.  L’effort de défense est insuffisant. Nos gouvernants sont de plus en plus incapables de placer des Français aux postes-clé de l’Union Européenne. Le pays ne se défend pas contre des investissements chinois tous azimuts etc... On pourrait multiplier les exemples. Le candidat qui garantira aux Français la protection et la mise en place des multiples sécurités qu’ils sont en droit d’attendre de leurs gouvernants  a de bonnes chances de gagner. Protection des frontières, sécurité intérieure, lutte contre la criminalité, construction de prisons, révision de la durée des peines, immigration zéro, abolition de la réforme des retraites, soutien à la natalité, invention d’un nouveau bac, qui ait de la valeur, protection commerciale etc... Et ce qui importera aux Français, aussi, c’est d’être rassurés sur les capacités de l’homme ou la femme qu’ils éliront. Or Marine Le Pen ne convainc pas. Quant à Emmanuel Macron, on le découvre, en politique internationale comme à l’occasion de la réforme des retraites, dépassé par les événements, au fond peu compétent. Le vide de compétences peut faire surgir une personnalité nouvelle plutôt que de donner une chance à un candidat issu de LR: ils sont trop copie conforme de LREM pour que les Français s'enthousiasment, que le candidat s’appelle Xavier Bertrand ou François Baroin. 

Vincent Tournier : Il est difficile de répondre parce que, malgré le développement des sondages et des études d’opinion, nous sommes toujours bien en peine de cerner les attentes des Français. Techniquement, ce n’est pas si évident, du moins si l’on veut aller plus loin que les grandes généralités sur les sujets qui préoccupent prioritairement les Français. Les sondages sont un instrument précieux, mais ils ont leurs limites. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils portent plus souvent sur la popularité des personnalités politiques que sur les attentes des électeurs. Une autre possibilité serait d’exploiter les cahiers de doléances rédigés lors du débat national lancé pour répondre à la crise des Gilets jaunes, mais le gouvernement a finalement renoncé à mettre ces cahiers en libre accès, officiellement pour des raisons de coûts.

Quoiqu’il en soit, même si on se donnait vraiment les moyens de scruter en détail le cerveau des Français, pourrait-on définir un programme idéal, susceptible de plaire au plus grand nombre ? C’est une vision un peu naïve. La société est composée de groupes qui ont des attentes et des préoccupations divergentes, parfois contradictoires. Certaines idées plaisent à des électeurs mais en révoltent les autres : c’est le cas par exemple avec la taxation du diesel, la réintroduction du loup dans les massifs alpins ou la procréation médicalement assistée. Et souvent, les compromis sont difficiles parce qu’on est sur des choix binaires.

On voit d’ailleurs qu’aucun président ne réussit à rassembler très largement. Les scores des présidents au premier tour ont même tendance à baisser : 31% pour Nicolas Sarkozy en 2007 (ce qui était pourtant nettement mieux que les 20% de Chirac en 2002), 28% pour Hollande en 2012 et 24% pour Macron en 2017. Il est donc de plus en plus difficile pour un candidat de satisfaire une large partie des Français, ce qui peut être interprété comme le signe d’une fragmentation croissante de la société. La source du problème ne se trouve pas seulement dans la mauvaise volonté des acteurs politiques, elle se trouve aussi dans la difficulté à proposer des mesures consensuelles et praticables. Par exemple, l’immigration lance de nombreux défis, mais quelle peut être la bonne réponse ? De même, les Français sont conscients des enjeux environnementaux, mais existe-t-il des solutions réalistes ? La même difficulté se retrouve pour définir les caractéristiques du président. Si l’on demandait aux Français de faire le portrait-robot de leur président idéal, et si on faisait la moyenne de leurs souhaits, il y a toutes les chances qu’on obtienne un monstre qui ne plairait à personne. C’est un peu comme pour l’achat d’une voiture : chacun exprime des souhaits très différents, et la voiture moyenne ne plaira sans doute à personne. La difficulté de l’élection présidentielle, c’est qu’elle demande aux Français de choisir une voiture dans une liste très hétéroclite, et d’accepter que le choix majoritaire devienne la voiture de tout le monde.

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