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Quand la religion sert de justification à la violence contre les femmes : pour en finir avec la gynépathie
©Eric CABANIS / AFP

Bonnes feuilles

Malik Bezouh publie "Ils ont trahi Allah" aux éditions de l’Observatoire. En réponse aux tabous mortifères qui gangrènent et condamnent la religion musulmane à terme, Malik Bezouh prône une "théologie islamique de la libération". Aujourd'hui, l'islam est à la croisée des chemins. Extrait 1/2.

Malik Bezouh

Malik Bezouh

Malik Bezouh est président de l'association Mémoire et Renaissance, qui travaille à une meilleure connaissance de l'histoire de France à des fins intégrationnistes. Il est l'auteur des livres Crise de la conscience arabo-musulmane, pour la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol),  France-Islam le choc des préjugés (éditions Plon) et Je vais dire à tout le monde que tu es juif (Jourdan éditions, 2021). Physicien de formation, Malik Bezouh est un spécialiste de la question de l'islam de France, de ses représentations sociales dans la société française et des processus historiques à l’origine de l’émergence de l’islamisme.

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Au printemps 2019, je découvre, dans la presse, l’effarante déclaration d’Ahmed el‑Tayeb, recteur de l’université islamique Al‑Azhar, gardienne de l’orthodoxie sunnite, stipulant que tout croyant a le droit de corriger sa femme si celle‑ci se montre désobéissante sous réserve qu’il ne lui brise pas les os (« Justification des violences contre les femmes : les étonnants propos de l’imam de l’université la plus prestigieuse du monde sunnite –  entretien avec Bernard Godard », https://www.atlantico.fr/decryptage/3574172/justification-des-violences-contre-les-femmes-les-etonnants-propos-de-l-imam-de-l-universite-la-plus-prestigieuse-du-monde-sunnite-bernard-godard). Quel terrifiant permis de battre ! Surtout lorsque l’on sait que « les mâles sont le sexe le plus belliqueux dans la quasi‑totalité des espèces de mammifères ». L’homme qui lève la main sur celle qui partage son existence ne vise qu’une et une seule chose : dominer. Son leitmotiv pourrait donc se résumer à cette formule : « Je domine, donc je suis. » Car son manque de confiance maladif le pousse  inexorablement à rabaisser la femme dans l’espoir, inconscient, de se valoriser. C’est ce que résume le psychiatre Jacques Louvrier : « Les conjoints violents ressentent souvent une profonde insécurité psychique. Dans leur logique, violenter l’autre est une manière de reprendre le contrôle dans un contexte de grande précarité identitaire. Un écart de diplôme, de statut social ou de revenu peut être perçu comme susceptible d’accentuer encore leur manque de confiance en eux. » 

La psychothérapeute Marie‑France Hirigoyen abonde dans ce sens :

On ne peut pas parler de violence physique sans parler de violence psychologique car il existe un continuum entre les deux. Quand un homme frappe sa femme, son but n’est pas de lui mettre un œil au beurre noir mais de lui faire peur afin de la soumettre et de garder le pouvoir. L’enjeu de la violence, c’est toujours la domination. La plupart du temps, la violence physique n’intervient que si la femme résiste au contrôle et à la violence psychologique.

Le besoin d’établir un rapport de subordination de la femme à l’homme… c’est là l’une des facettes du trouble « gynépathique » qui, lorsqu’il atteint un point culminant, doit être impérieusement satisfait par ledit gynépathe. D’où l’explosion de violences :

L’agressivité vient servir la cause du processus de domination conjugale en ce que les comportements adoptés le sont intentionnellement dans le but spécifique d’obtenir du pouvoir sur l’autre et le contraindre. On parlera d’instrumentalisation de l’agressivité ou d’agressivité instrumentale. Dans le cas du conflit, l’agression qui apparaît est davantage expressive, la colère et/ou la frustration créent une tension, une charge, qui une fois devenue insupportable éclate et s’exprime sous forme d’agression (verbale ou psychologique).

Ce qui est dramatique, c’est que la religion serve de justification à cet épanchement d’agressivité morbide. D’ailleurs, c’est certainement une lecture ultra‑littéraliste et non distanciée du verset 34 de la sourate 4, « Les femmes », infantilisant « la femme mariée [mise] en pénitence », qui a permis à l’autorité suprême de l’Université islamique égyptienne d’entériner la jurisprudence autorisant les hommes à rosser leur conjointe :

Les hommes ont la charge et la direction des femmes en raison des avantages que Dieu leur a accordés sur elles, et en raison aussi des dépenses qu’ils effectuent pour assurer leur entretien. En revanche, les épouses vertueuses demeurent toujours fidèles à leur mari pendant leur absence et préservent leur honneur, conformément à l’ordre que Dieu a prescrit. Pour celles qui se montrent insubordonnées, commencez par les exhorter, puis ignorez‑les dans votre lit conjugal et, si c’est nécessaire, corrigez‑les.

L’on peut regretter que les doctes de l’islam, du moins ceux d’Al‑Azhar, ne tiennent pas compte de l’évolution prodigieuse des sociétés modernes dans lesquelles les femmes sont de plus en plus auto‑ nomes. Ne sont‑elles pas médecins, chercheuses, sociologues, artistes, chirurgiennes, avocates, juges, ministres ou encore chefs d’État ? Ce temps où l’homme veillait aux « dépenses » de la maison n’est plus. Ne convient‑il pas donc de lire ce passage coranique de manière plus contextualisée ? Autre gêne découlant d’une appréciation dogmatique de ce verset, la prétendue supériorité des hommes « en raison des avantages que Dieu leur a accordés sur [les femmes] ». L’exégète classique du IXe siècle, Le titanesque Al‑Tabari, va jeter les bases d’une théologie de l’infériorité du sexe féminin. Deux siècles plus tard, des réflexions religieuses, prolongeant celle d’Al‑Tabari, mettront en avant la carence morale des femmes, dont la raison serait déficiente. Puis, au XIIIe siècle, un fragment de la sunna est utilisé par des doctes musulmans pour consacrer définitivement l’insubordination de la femme à l’homme. Il s’agit d’un hadith suprêmement douteux car rapporté, au VIIe siècle, par un calomniateur, Abou Bakrata : « Ne connaîtra jamais la prospérité le peuple qui confie ses affaires à une femme. » 

Faisant fi de son caractère apocryphe, des traditionnistes – et non des moindres – vont consolider, au fil du temps, cette vision dévalorisante de la femme que l’on pense émotive, fragile, impulsive, légère, déraisonnable et dont la fonction principale, selon un ordre prétendu divin, serait de s’occuper de son foyer, c’est‑à‑dire d’enfanter et de contenter son mari à qui elle doit obéissance. Plus problématique encore, beaucoup d’exégètes seront d’avis que le jugement de la femme est à prendre avec circonspection puisque, selon l’interprétation qu’ils font du verset coranique suivant, la fiabilité d’un témoignage émis par un homme est deux fois plus grande que celle émanant d’un témoin de sexe féminin : « Ô croyants ! Lorsque vous contractez une dette à terme consignez‑la par écrit […], choisissez deux témoins parmi vous de sexe masculin ou, à défaut, un homme et deux femmes parmi les personnes présentant les qualités requises d’honorabilité, en sorte que si l’une oublie un détail, l’autre [femme] sera là pour le lui rappeler. » 

Il n’en fallait pas plus pour inférioriser la gent féminine ! Rendue invisible par un voile contraignant, répudiable à merci, « polygamable », la musulmane a donc fait les frais du triomphe du littéralisme coranique, couplé à une sunna dont certains pans, désuets aujourd’hui, sont liberticides. Pourtant des femmes, aux premiers temps de l’islam, ont levé haut l’étendard de la résistance « féministe ». L’on songe, entre autres, à l’homérique Sukayna, arrière‑petite‑ fille du prophète Mohamed et petite‑fille de son gendre et cousin Ali. Éclairée, téméraire, éprise de liberté, anticonformiste, indépendante, cette épicurienne, férue de poésie, refusa hardiment de se voiler et d’être sous la férule de son mari… 

Face au théo-conservatisme ambiant, et pour prolonger le juste combat de l’héroïque Sukayna et des femmes qui, en ce moment même, au prix de leur sécurité, voire de leur vie, s’efforcent d’implanter les ferments du libre choix dans les sociétés musulmanes, il est pertinent, comme pour l’homosexualité, de confronter les opinions des juristes de l’islam aux données scientifiques. Rien de tel pour défaire l’os‑ sature d’un système de représentations singulières de la femme ! Formant une masse compacte de stéréotypes, celle‑ci, siècle après siècle, s’est nichée dans les plis et replis de l’imaginaire islamique masculin ; et ce au grand désarroi de nombreuses musulmanes sommées de rentrer dans le moule étroit, étriqué, oppressant de l’islamo‑patriarcat… 

Pour commencer, cet hommage aux femmes en rappelant que les gènes de l’intelligence – contenus dans le chromosome X – se transmettent aux enfants par le biais de leur mère. Peut‑on en conclure que l’humanité est redevable de son « intelligence au sexe féminin » ? Voici la réponse du généticien Horst Hameister de l’université d’Ulm : « Il semble […] que nous devions notre intelligence à des femmes ayant peuplé l’Afrique il y a plusieurs millions d’an‑ nées, et qui ont commencé à choisir leur partenaire partiellement en fonction de leurs capacités intellectuelles. » 

Il en résulte que les femmes sont aussi intelligentes que les hommes. Fait largement corroboré par les diverses campagnes de mesures du quotient intellectuel et que confirme Aljoscha Neubauer, professeur à l’Institut de psychologie de l’université Karl‑Franzens, en Autriche :

En matière de quotient intellectuel reflétant des performances cognitives, la plupart des études ne révèlent aucune différence entre les hommes et les femmes. Afin d’éviter les discriminations, les tests d’intelligence sont construits de façon à éviter tout artefact lié au sexe. S’il semble exister, statistiquement, des différences entre hommes et femmes dans des domaines particuliers, elles sont trop ténues pour que l’on puisse attribuer des facultés particulières à une personne en fonction de son sexe uniquement.

Dès lors, au nom de quoi une femme musulmane ne pourrait pas briguer un mandat de chef d’État et veiller, par là même, aux destinées de son pays ? Sait‑on, au surplus, que les femmes sont de meilleurs chefs d’entreprise que les hommes ? Intelligence et capacité entrepreneuriale aussi fortes, sinon plus que celles des hommes… Voilà qui porte un coup fatal aux idées reçues et stéréotypées ainsi qu’à leurs vecteurs, c’est‑à‑dire ceux qui, hadiths à l’appui, vocifèrent contre l’accession des femmes au pouvoir… 

Continuons avec l’expertise de Serge Ciccotti, chercheur en psychologie à l’université de Bretagne‑Sud, qui discrédite le discours des fondamentalistes musulmans considérant que le témoignage d’un homme vaut celui de deux femmes. En effet. Pour ce scientifique, les femmes ont une plus grande faculté que les hommes à mémoriser une scène de la vie quotidienne, y compris dans ses détails, parce qu’elles ont tendance à porter une plus grande attention à leur environnement social. Quant à la prétendue fragilité de la femme s’abritant sous l’aile protectrice de l’homme fort et dominant, il est bon de faire part des observations de Mariana Alonso, neuroscientifique au laboratoire perception et mémoire de l’Institut Pasteur : « Plus généralement, on sait que la proportion de troubles neuropsychiatriques et d’apprentissage d’origine développementale est plus élevée chez les hommes et que les taux de maladies neurodégénératives liées au vieillissement et de certains troubles mentaux, comme la dépression, sont plus élevés chez les femmes ». 

Complétons cette description, loin d’être exhaustive, des différences homme/femme par cette douloureuse donnée : « La très grande différence entre les sexes […] Partout, les femmes se suicident beaucoup moins que les hommes. » « Fragilité » quand tu nous tiens… 

Bien évidemment, l’homme et la femme ne sont pas semblables. Pour Larry Cahill, neurobiologiste à l’université de Californie, entre le cerveau féminin et le cerveau masculin, des différences « anatomiques et fonctionnelles » semblent attestées. Et ces variations qui impactent « le langage, la mémoire, la vision, les émotions, l’audition et le repérage spatial […] ont des conséquences au plan cognitif ». Mais rien, absolument rien, ne saurait justifier une hiérarchisation des sexes, des discriminations et une mise à l’écart de la femme sous prétexte que des hadiths, équivoques, et autres versets coraniques, phallocratement interprétés, le suggèrent. C’est faire insulte à la création de Dieu que d’agir ainsi car, ce faisant, l’on bafoue le plus cher des principes de la religion musulmane : celui de justice. Et concernant spécifiquement les rapports entre les sexes, il faut tendre vers la notion, toute coranique, de complémentarité. Un objectif que poursuivrait certainement Élisabeth Pacherie, chargée de recherche au CNRS, pour qui « la véritable maturité morale réside dans la découverte de la complémentarité ».

Extrait du livre de Malik Bezouh, "Ils ont trahi Allah", publié aux éditions de l’Observatoire

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